[Dissent-fr-info] Calais : analyse critique d'un groupe et commentaires

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Thu Jul 9 15:27:54 BST 2009


Récits et analyses du camp No Border – Aux frontières du réel

Calais, sa plage, ses frites, ses migrants, ses keuf-e-s et ses
militant-e-s. Ah tiens, pourquoi on est là déjà ?

On est là parce que tout d’abord la condition des sans-pap’ ça nous
interpelle, c’est une lutte dans laquelle on s’implique et à travers
laquelle on se pose des questions. On se dit que c’est l’occasion de
se remettre au goût du jour sur le plan juridique. On est là parce que
pour une fois c’est nous qui créons l’évènement et c’est pas un
rendez-vous que nous donnent les autorités comme pour un
contre-sommet. En plus c’est à Calais, ville assez caractéristique en
ce qui concerne la situation des sans-pap’ actuellement. On est là
parce qu’à priori on est sensé-e y retrouver des camarades, des
gen-te-s assez proches de nous politiquement, tant dans nos formes de
lutte que dans nos formes de vie au quotidien. En profiter aussi pour
échanger sur d’autres thèmes. On est là parce qu’on a envie de créer
des liens dans la durée avec les migrants*, avec la population locale,
avec des gen-te-s d’autres villes et d’autres pays.

Après réflexion, on s’est bien rendu compte qu’on y était allé avec
des espoirs pas très réalistes et qu’on s’était un peu voilé la face.
La suite du texte expose nos différentes critiques par rapport au
camp, et pourquoi on n’a pas réussi à s’y sentir à l’aise, mais avant
on veut parler de nos looses sur certains points et en quoi on a aussi
contribué à créer ces situations. D’abord, Calais, c’était un peu «
the place to be », c’est une des raisons pour lesquelles on y est
allé-e, et du coup on était pas mal dans une logique de consommation
de la lutte (discussion-manif-plage-frites). On a « un peu » zappé le
fait que c’est pas en quatre jours qu’on peut créer des liens sur la
durée ni apporter une aide concrète aux migrants : leur principal but
est de passer en Angleterre, ce à quoi on ne pouvait contribuer. De
même, dans nos têtes, le camp No Border, c’était du 23 au 29, et on
s’est pas donné-e la possibilité de s’investir plus en amont pour
préparer ni de rester sur place après pour gérer les suites. Et une
fois sur le camp, quand on a constaté que certains fonctionnements ne
nous allaient pas, on est resté-e entre nous à rifougner• plutôt que
d’essayer de porter collectivement des questionnements, hormis à la
legal team pour contrer des mécanismes de chefferie.

Alors ok on n’est peut-être pas dans le « top 5 des militant-e-s de la
mort qui tue », mais ça ne nous empêche pas d’avoir des critiques
(dé)constructives à faire.

Le rapport aux migrants : On nous avait menti, c’était un camp
humanitaire ! Humanitaire dans toute sa splendeur : les gentil-le-s
ptit-e-s blanc-he-s qui débarquent pour faire leur B.A. de l’année.
Sur un terrain, donné par la préf’ et déjà occupé par des migrants
(les a-t-on concertés ?). On arrive avec nos modes de fonctionnement
occidentaux, nos langues, nos valeurs et on cherche pas à s’adapter à
ce qui existe déjà. On a senti que certaines problématiques n’ont pas
été résolues à l’avance : La question des rapports inter-culturels :
on fonctionne pas de la même manière mais c’est eux qui se sont
adaptés à nous et pas l’inverse -eh oui blanc-he-s, riches,
politisé-e-s, ça suffit pour imposer nos façons de vivre aux autres,
n’est-ce pas ?! La question des genres : parce qu’à Calais, la
population des migrants n’est constituée que de gars, ce qui n’était
pas notre cas et on ne s’est jamais demandé-e ce que ça peut entraîner
(d’où les problèmes de harcèlements qui auraient pu être prévenus si
on s’était souvenu-e que des gars hétéro, quels qu’ils soient, sans
meufs pendant longtemps, n’ont pas de retenue...). D’ailleurs,
globalement, aucune attention collective n’était consacrée à cette
question des genres, et le virilisme et l’hétéronormalité s’imposaient
dans le camp... Des questions techniques : on n’a pas arrêté de dire
que ce serait bien que les migrants participent aux discussions mais
il n’y avait pas toujours de traducteur-rice-s et pour la manif
personne ne savait dire ce qu’ils risquaient s’ils se faisaient
embarquer...Enfin ne s’est posée que tardivement la question de ce
qu’on laissait derrière (par exemple à quel point les migrants qui ont
passé du temps sur le camp risquaient de se faire emmerder par les
flics ??). Et dans les discussions, beaucoup d’infos, un peu de
recherche de solutions, mais aucune remise en cause personnelle ni
collective : qu’en est-il de notre racisme intégré ??? En dehors de
ces problématiques non résolues, il existait nombre de comportements
pourris qui n’ont pas été remis en questions voire qui ont été
félicités. On ne peut s’empêcher de vous parler de cette douce maman
qui se vantait de « promener SON afghan sans honte au supermarché »
(http://www.dailymotion.com/relevanc..., 5’51’’). Mais bon on ne s’est
pas trop étonné-e de l’apathie des gen-te-s face à son discours vu le
climat misérabilisto-paternalisto-colonialiste
(http://calaisnoborder.eu.org/sites/... surtout les portraits page 5)
qui régnait : parler des migrants à la troisième personne alors qu’ils
sont présents, attendre d’eux un certain comportement et un certain
discours (qu’ils aient l’air miséreux tout en ayant le sourire, qu’ils
soient reconnaissants, bref qu’ils soient bien braves quoi...), avoir
une attitude bienveillante et protectrice, en somme, infantilisante
(bon c’était pas le cas de tout le monde mais quand même). D’ailleurs,
le paternalisme ne s’appliquait pas qu’aux migrants, mais également
aux enfants du quartier... Finalement, on a l’impression que pour la
majorité des gen-te-s présent-e-s c’était un voyage exotique où la «
jungaï »** (en farsi ) devenait vraiment une jungle...

Et puis comme tout ça ne suffisait pas, il a fallu qu’il y ait 3500 keuf-e-s...

3500 keuf-e-s ça veut dire impossibilité d’agir, pression
psychologique, démotivation, conformation, blasage, etc. Voilà les
prémisses d’une société de contrôle où on tend à nous faire
intérioriser l’omniprésence policière et la répression sans limite, où
le délit d’intention est roi. Face à ça il n’y a eu aucune réponse
collective qui aurait pu nous permettre de rééquilibrer le rapport de
force voire d’obtenir certaines choses (éviter une fouille
individuelle quand on est plusieurs centaines et qu’on va à une manif
déposée !). Au lieu de ça, l’énergie s’est divisée entre les « oï-oï »
et les crédules, entre des réactions viriles parfois inconsidérées et
une soumission plus ou moins intégrée...(« mais vous nous aviez
promis, vous n’avez pas de parole !! » adressé à des keuf-e-s // « de
toute façon, on n’a rien à se reprocher ! »). La stratégie du pouvoir
a fonctionné, ce qui nous fait dire qu’il va falloir s’habituer à agir
dans des contextes comme celui-ci, trouver de nouvelles formes de
luttes, si on ne veut pas tout arrêter demain, ou faire des manifs
comme celle du samedi où c’est le pouvoir qui a décidé de tout et où
nous n’étions que des mouton-ne-s guidé-e-s par des syndicalistes
vendu-e-s. Comment peuvent-illes dirent d’une manif silencieuse et
parquée, entre un port (des porcs), une zone industrielle et un
cimetière, que c’était une victoire ??? Leur conclusion victorieuse
était qu’il n’y avait pas de casseureuses. Et qu’advient-il du thème
de la manif et de tous les migrants qui n’ont pas pu y participer ?
Durant toute la durée du camp, l’image médiatique des « casseureuses »
aura d’ailleurs prédominé, supplantant toutes les analyses et
réflexions sur les objectifs et moyens de lutte, les revendications,
etc... L’obéissance n’est pas une victoire. Ou alors c’est celle des
keuf-e-s qui en ont profité pour bien se foutre de notre gueule. Au
passage on voulait rappeler pourquoi certaines personnes se masquent.
A tou-te-s celleux qui croient que les gen-te-s qui se masquent
n’assument pas leur engagement, on voudrait dire que c’est qu’illes
n’ont pas envie que leurs moindres faits et gestes soient enregistrés,
c’est que pour des raisons politiques illes refusent le fichage et
illes s’en protègent (http://squat.net/contre-attaque/tex...). De
même, celleux qui craignent les « casseureuses » et les « débordements
de violence » acceptent un peu vite la violence policée et quotidienne
mise en place par l’Etat et autres institutions « légitimes et
démocratiques »...

Mais heureusement nous avons « gagné la bataille de l’image », puisque
les médias - très, trop présents - ont pu continuer à véhiculer
clichés et beaux discours.

Quant à nous, nous sortons globalement déçu-e-s et frustré-e-s de
cette expérience, et nous espérons que ces quelques pistes d’analyse
permettront à l’avenir de porter plus attention à certaines questions
et fonctionnements dans des contextes collectifs tels qu’un camp No
Border.

Big-up à tou-te-s les participant-e-s et aux monos du camp !!!

Des snowborder-euse-s

* Si nous parlons de « migrants » c’est que les sans pap’ vivant à
Calais y sont de manière provisoire afin de passer en Angleterre,
c’était le terme employé pendant le No Border. Et si on ne féminise
pas, c’est qu’il n’y avait aucune femme sur le camp.

** Mot utilisé par les migrants Afghans pour désigner l’endroit où ils vivent.

• Rifougner : v. (néologisme) fait de marmonner tout en se moquant et
critiquant.

publié le 7 juillet 2009

4  Commentaires

Une analyse intéressante je trouve. Ceci dit, même si l’auto critique
est un peu présente, elle est bien légère vis à vis de celle sur les
autres...le diy n’est pas à oublier il me semble, et il est plutôt
nécessaire quand on a une telle capacité à "apporter des choses" (là
ce n’est qu’après, c’est un peu décevant, ce n’est pas inutile mais
apparaît comme gratuit...)

Ne serait ce que la traduction, les autres auraient dut y penser tout
le temps pour d’autres ? Vous refusez les "monos", ou les voulez,
faudrait savoir...Les personnes migrantes ont pris ce rôle d’eux mêmes
quand cela était nécessaire et possible pour eux/elles (et oui c’est
pas que des migrant-e-s, mais avant tous des personnes, vous l’aviez
oublié comme critique, d’ailleurs c’est pas inutile de féminiser car
pour ma part j’ai vu des femmes, mais bon vous n’étiez peut être plus
là...) D’autres fois, les "monos" se sont débrouillé-e-s pour que cela
se fasse...

Les idées de chefferies en legal team, si elles ont pu exister par des
questions de domination par l’information et de méfiance quant à ce
partage (une potentielle arrogance n’a pas toujours que du bon pour la
confiance, on peut pas tjrs débarquer et tout avoir sur un plat, vous
le dites vous mêmes et voila un juste retour), n’obligent pas à
prendre des positions contraires aux principes de fonctionnement de la
legal team.

D’ailleurs, si j’ai bien deviné qui vous êtes, il fallait peut être
discuter de la charte avant d’assurer le suivi legal, voire la lire si
c’était pas fait..., c’est toujours mieux pour en tenir compte et ne
pas discréditer les participant-e-s d’une ou plusieurs actions au
travers d’un sermon infondée destiné à une personne.

Par contre, sur l’image du casseur, au risque de vous décevoir, elle
est désormais infirmée (vous avez vraiment discuté-e-s avec des
calaisien-ne-s ?)

Pour finir, votre frustration est compréhensible, et partagée je
pense. Pour autant certain-e-s n’en restent pas là, et n’attendent pas
qu’on leur dise de continuer pour penser que quelques chose est
possible...

Au plaisir de vous voir à calais et d’échanger avec toutes vos idées
"(dé)constructives" (j’en viens à me demander l’utilité des
parenthèses pour ma part...)

Un lillois (qui ne se revendique pas mono, pas de chance, je ne pense
pas avoir adopté le rôle que vous semblez désigner à ce statut, pour
autant ça ne m’a pas empêché de m’investir...avant, pendant et après)

7 juillet 2009 03:28


Ce qui me choque presque le plus dans le premier post, c’est le mépris
de classe avec lequel on parle de la femme qui est intervenue à la fin
de la manif. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit. Est-ce un
crime si elle ne sait pas aussi bien manipuler les mots que vous ?

Oui, il y avait des migrantes.

Le jour de la manif, je pense que si on avait refusé la fouille, il
n’y avait pas de manif pour nous.

Au risque d’aller à contre-courant, je suis plutôt satisfaite de ce
camp dont je n’attendais pas plus car, en règle générale, dans toute
lutte le terrain se gagne petit à petit.

Ah bon, y’a des gens qui sont allés à la plage et qui ont mangé des
frites ? S’ils/elles s’ennuyaient, ils auraient pu prendre
l’initiative de vider les chiottes en causant politique.

8 juillet 2009 00:12


Nous avons, c’est vrai, été très génés par la propagande médiatique
initiée par Nord Littoral, le spécialiste de la désinformation et de
la propagande UMPiste, en ce qui concerne les militants et les
réfugiés et bien sûr par l’arrivée de ce tas de policiers.

Moi aussi je regrette de n’avoir pu participer à des actions
marquantes. Mais je pense que l’on peut sortir quelque chose de très
positif de la tenue de ce camp. On a ouvert un autre espace que le
traditionnel espace respectable des humanitaires, espace accordé avec
charité et parcimonie par des journaux locaux qui sont écartelés entre
la recherche de sensationnalisme et la publication directe de la
propagande d’Etat et de sa police.

Je regrette également beaucoup de n’avoir pu travailler avec les
réfugiés sur une lutte qui va devenir vitale, vus les derniers accords
entre les gouvernements français et anglais. Les pouvoirs en place
tentent de nous prendre de vitesse et agissent dans plusieurs
directions à la fois. Il faudrait que notre lutte s’inspire de leur
manière de procéder pour les contrer.

En ce qui concerne la police, pas dit qu’ils recommencent encore une
fois le même exploit. Une semaine de plus, et c’était toute la ville
de Calais qui fonçait sur les policiers. J’ai bien vu des véhicules
tentant de forcer les barrages de chevaux. et j’ai des tas de
témoignages de personnes qui n’ont pas du tout apprécié la présence de
la police. donc, sur ce point, il faudrait compter encore plus sur la
population et s’en servir.

Mais à l’évidence, nous devrons analyser la stratégie policière pour
la contrecarrer si on ne veut pas suivre bêtement les routes tracées
par la préfecture.

8 juillet 2009 00:52


Evidemment que cette analyse n’est en soi pas fausse, de part le fait,
qu’elle critique de manière théorique les pratiques du camp.

Quelques éléments sont tout de même dérangeant...

C’est vrai que la gestion de ce camp ne s’est pas toujours faites de
la manière la plus partagés possible, mais plutôt que de faire ce
constat (juste bien évidemment), il s’agit d’en comprendre les
raisons.

Si il n y avait pas de traducteurs, c’est peut être que, désolé, nous
ne parlons pas toutes et tous le farsi.

Si vous trouvez que le rapport était trop pa/ma ternaliste, à vous
d’intervenir en AG ou dans l’informel pour faire changer la donne.

Lors du choix du terrain, vous dites (en croyant tous savoir), que les
migrants n’ont pas été concerté, c’est autant faux que vrai. C’est
vrai que ce terrain a été choisie avant de demander l’avis des gens
résidant dessus, mais dans le contexte précis de recherche de terrain,
c’est une erreur qui peut se comprendre. D’autant plus que la semaine
d’avant, plusieurs personnes en ont discuté avec les migrants, qui ont
approuvé l’idée du camp. Cela s’est confirmé, dès le début de
l’installation du camp, qui s’est de manière collective avec les
migrants présents sur le site.

Enfin j’ai du mal à comprendre le lien vers Nomade.

En effet, le comité de rédaction a toujours été ouvert à tout le
monde, et de nombreux appel à contribution ont été fait. Je ne pense
pas dans ce cas, qu’on peut faire de procès à ce quotidien.

L’article incriminé en page 5 fut écrit par une personne, qui connaît
très bien les migrants, et qui est une des personne qui infantilise le
moins les migrants. D’autant plus que l’article en question permet
d’humaniser les migrants, et de sortir des analyses pompeuses publiés
ici et là.

Je vais conclure en rebondissant sur le dernier paragraphe.

Je trouve facile de critiquer les personnes qui connaissent les
migrants plutôt bien (moment de vie partagé avec eux)... que ce soit
au sujet d’un article ou d’une action.

A priori, je partage la même vision que vous sur le rapport aux
migrantEs, mais j’ai l’impression votre analyse théorique, n’est pas
toujours mise en applications en pratique.

Je ne peux que vous encourager à vous rendre sur Calais, à comprendre,
à échanger sur place...

Personnellement, je suis très loin d’être exempt de tout reproches,
mais je trouve plus intéressant de faire avancer les choses en
m’impliquant dans le projet, que en faire une critique à posteriori.

Un individu, impliqué par moment dans le camp.

9 juillet 2009 13:12



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