[Dissent-fr-info] De Villiers-le-Bel à Tarnac nouvelles d'un front - Face à un pouvoir toujours plus absurde, nous ne dirons plus rien

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Mar 17 Mar 04:13:09 GMT 2009


Face à un pouvoir toujours plus absurde, nous ne dirons plus rien

Voilà quatre mois que le feuilleton médiatico-judiciaire intitulé l'«
affaire de Tarnac » ne cesse de ne plus vouloir finir. Julien (Coupat)
va-t-il sortir à Noël ? Pour le Nouvel An ? Aura-t-il plus de chance
vendredi 13 ? Non, finalement on le gardera encore un peu en prison,
enfermé dans son nouveau rôle de chef d'une cellule invisible. Puisqu'il
semble que quelques personnes aient encore intérêt à faire perdurer
cette mascarade, même au-delà du grotesque, il va nous falloir endosser,
encore une fois, le rôle que l'on nous a taillé (« les 9 de Tarnac »),
pour un nécessaire éclaircissement collectif. Alors voilà. Primo.
Pendant que des journalistes fouillaient jusque dans nos poubelles, les
flics reluquaient jusqu'à l'intérieur de nos rectums. C'est assez
désagréable. Depuis des mois vous ouvrez notre courrier, vous écoutez
nos téléphones, vous traquez nos amis, vous filmez nos maisons. Vous
jouissez de ces moyens.

Nous, les neuf, nous les subissons, comme tant d'autres. Atomisés par
vos procédures, neuf fois un, alors que vous, vous êtes toute une
administration, toute une police et toute la logique d'un monde. Au
point où nous en sommes, les dés sont un peu pipés, le bûcher déjà
dressé. Aussi, qu'on ne nous demande pas d'être beaux joueurs.

Deuzio. Bien sûr vous avez besoin d'« individus », constitués en «
cellule », appartenant à une « mouvance » d'une fraction de l'échiquier
politique. Vous en avez besoin, car c'est votre seule et dernière prise
sur toute une part grandissante du monde, irréductible à la société que
vous prétendez défendre. Vous avez raison, il se passe quelque chose en
France, mais ce n'est certainement pas la renaissance d'une «
ultragauche. » Nous ne sommes ici que des figures, qu'une
cristallisation somme toute plutôt vulgaire d'un conflit qui traverse
notre époque. La pointe médiatico-policière d'un affrontement sans merci
que mène un ordre qui s'effondre contre tout ce qui prétend pouvoir lui
survivre.

Il va sans dire qu'à la vue de ce qui se passe en Guadeloupe, en
Martinique, dans les banlieues et les universités, chez les vignerons,
les pêcheurs, les cheminots et les sans-papiers, il vous faudra bientôt
plus de juges que de profs pour contenir tout ça. Vous n'y comprenez
rien. Et ne comptez pas sur les fins limiers de la DCRI pour vous expliquer.

Tertio. Nous constatons qu'il y a plus de joie dans nos amitiés et nos «
associations de malfaiteurs » que dans vos bureaux et vos tribunaux.

Quarto. S'il semble aller de soi pour vous que le sérieux de votre
emploi vous amène jusqu'à nous questionner sur nos pensées politiques et
sur nos amitiés, nous ne nous sentons pas, quant à nous, le devoir de
vous en parler. Aucune vie ne sera jamais absolument transparente aux
yeux de l'Etat et de sa justice. Là où vous avez voulu y voir plus
clair, il semble plutôt que vous ayez propagé l'opacité. Et l'on nous
dit que, désormais, pour ne pas subir votre regard, ils sont toujours
plus nombreux ceux qui se rendent à des manifestations sans téléphone
portable, qui cryptent les textes qu'ils écrivent, qui font d'habiles
détours en rentrant chez eux. Comme on dit : c'est ballot.

Quinto. Depuis le début de cette « affaire », vous avez semblé vouloir
accorder beaucoup d'importance au témoignage d'un mythomane, aussi
appelé « sous X. » Vous vous obstinez, c'est courageux, à accorder un
peu de foi à ce ramassis de mensonges, et à cette pratique qui a fait
l'honneur de la France il y a quelques décennies – la délation. C'en
serait presque touchant, si ça ne conditionnait pas l'accusation de chef
à l'encontre de Julien, et donc son maintien en détention. Si ce genre
de « témoignage » ne justifiait pas des arrestations arbitraires, comme
à Villiers-le-Bel après les émeutes.

Enfin, étant entendu que la marge de liberté qu'il nous reste est
désormais fort réduite, que le seul point à partir duquel nous pouvons
nous soustraire à votre emprise réside dans les interrogatoires auxquels
vous nous soumettez à intervalles réguliers. Que Julien s'est déjà vu
refuser quatre demandes de remise en liberté. Qu'il est notre ami. Qu'il
n'est rien de plus que ce que nous sommes. Nous décidons qu'à partir de
ce jour, dans l'héroïque tradition d'un Bartleby, « nous préférerons ne
pas. » En gros, nous ne vous dirons plus rien et cela jusqu'à ce que
vous le libériez, jusqu'à ce que vous abandonniez la qualification de
chef pour lui et de terrorisme pour nous tous. En résumé, jusqu'à ce que
vous abandonniez les poursuites.

Pour tous ceux qui, là où ils sont, se battent et ne se résignent pas.
Pour tous ceux que le ressentiment n'étouffe pas et qui font de la joie
une question d'offensive. Pour nos amis, nos enfants, nos frères et nos
soeurs, les comités de soutien. Pas de peur, pas d'apitoiement. Pas de
héros, pas de martyrs. C'est précisément parce que cette affaire n'a
jamais été juridique qu'il faut transporter le conflit sur le terrain du
politique. Ce que la multiplication des attaques d'un pouvoir toujours
plus absurde appelle de notre part, ce n'est rien d'autre que la
généralisation de pratiques collectives d'autodéfense partout où cela
devient nécessaire.

Il n'y a pas neuf personnes à sauver mais un ordre à faire tomber.

Aria, Benjamin, Bertrand, Elsa, Gabrielle, Manon, Matthieu, Yldune sont,
avec Julien Coupat, mis en examen dans l'« affaire de Tarnac. »

Tribune publiée dans Le Monde - 16.03.09

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De Villiers-le-Bel à Tarnac nouvelles d'un front...

15 Mars 2009 Par Benjamin

Souvenez-vous Villiers-le-Bel, la mort des deux adolescents fauchés par
une voiture de police, deux jours d'émeutes d'une rare intensité et le
déploiement d'une véritable force militaire et de toutes les dernières
technologies de la contre insurrection (hélicoptères, drones...). C'était
fin novembre 2007.

Février 2008, tout le monde s'en souvient, nous sommes bombardés d'images
d'une opération massive d'encerclement du quartier et de perquisitions en
série menées par un dispositif policier complètement surdimensionné avec
journalistes "embarqués". Arrestations en série, interrogatoires, garde à
vues, relaxe pour la plupart, rien, aucun éléments trouvés. Alors on monte
encore d'un cran, appels à la délation contre rémunération, et protection
spéciale du statut de "témoin sous x". Nouvelles arrestations, cinq
personnes sont mises en examen, sur cette seule base, la délation
rémunérée.

Qu'en est il aujourd'hui, qui se préoccupe de leur sort sinon leurs amis
et les habitants du quartier?

Ils ont tous fait un an de ''prison préventive'', ponctué d'auditions d'un
juge d'instruction, mais rien, de l'avis de tous et principalement de la
défense, le dossier est entièrement vide. Mais quand il faut des
coupables, surtout quand en partie civile on a une soixantaine d'agents
des forces de l'ordre, mises à mal, ces forces là, sur le terrain autant
que dans le procès pour la mort des jeunes qui piétinne toujours, on ne
s'attarde pas sur ce genre de détails.

Fin février de cette année, comme c'est prévu par la loi qui régit la
détention préventive, ces cinq personnes ont été représentées devant un
juge des libertés pour juger de l'éventualité de leur mise en liberté ou
de la prolongation de la détention. Par ce qui semble être un pur hasard
ou un dérapage conscient du juge, la première des personnes présentées est
libérée... puis par un étrange phénomène qu'on pourra supposer "de
couloir", les quatre autres qui ne présentaient rien de plus "à charge"
dans leur dossier, voient leur mandat de dépôt prolongé pour six nouveaux
mois. Sans perspective de procès. En silence. Personne n'en parle, jamais.

Alors on pourra comprendre que certains s'étonnent de la pourtant déjà
minime agitation autour du maintien en détention de Julien Coupat.Qui est
finalement loin d'être une exception, un cas isolé...

Il faudrait pouvoir ne pas toujours prendre les choses par le petit bout
de la lorgnette, ne pas "réagir" à chaque fois comme si c'était la
première fois, ne pas faire mine de découvrir toujours, les rouages de la
raison d'état, les comportements politiques dictés par la rente
électorale, le journalisme toujours plus ramené à un simple rôle d'échos
des dépêches du parti de l'ordre, pas tant du fait d'une quelconque
tutelle officieuse sinon du fait d'une incompétence chronique, d'un défaut
de sens historique, d'une amnésie crasse, d'un manque d'exigence patent.
Les exceptions à cette règle sont beaucoup trop rares pour prétendre
sauver la profession, désolé pour eux.

A leur décharge toutefois, c'est vrai qu'on imagine mal comment il
pourraient porter à eux seuls la tâche qui devrait revenir à chacun. Nous
sommes jusqu'au cou dans une époque ou dire et "parler de" ne suffit plus
depuis longtemps, et contribue même peut-être à renforcer le sentiment
d'impuissance généralisé. Alors comment faire?

Comment ne plus juste "parler de", mais répondre, pied à pied, chacun à sa
manière, à la guerre qui nous est faite.


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