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Dim 17 Mai 21:55:17 BST 2009


LETTRE DES INCULPÉS TOURANGEAUX DE STRASBOURG

« ...il ne faudrait surtout pas oublier que ce nous gérons, ce ne sont
pas des choses, mais de la matière humaine... » Un maton de fleuris lors
des grèves d’avril 09

Je garde en mémoire le souvenir obsédant d’un crissement de pneu, du
fracas d’un train qui déraille, des portière qui claquent. Ensuite le
cliquetis strident des menottes sur mes poignets, un écusson de la
B.A.C., une panthère noire la gueule grande ouverte. Après plus rien, si
ce n’est la sueur froide des auditions, la lumière blanche d’une cellule
de garde à vue et la pellicule de ce faux monde qui continue pourtant de
défiler...

La république, l’ordre bourgeois, ou tout autre appellation du consensus
social, cherche à nous maintenir dans un mode de vie unique et obsolète.
L’ordre des choses tel que nous le connaissons s’effrite, il est prêt à
voler en éclat. Les vieux mécanismes de cruauté et d’humiliation qui
nous maintenaient dans la docilité et l’individualisme sont dorénavant
insuffisant à dissimuler les conséquences de la débâcle. La bourgeoisie
n’a plus rien à offrir, pas même l’illusion d’un espoir. En tant que
pouvoir, ils ont déjà consommés toutes leurs fortunes. Ils n’exercent
plus la moindre fascination, au sens fasciste du terme. Sous le pas
lourd de leur désenchantement, ils laissent place à un sentiment
nauséeux de déjà vu, déjà vécu. Tout est pellicule, fiction. Partout
autour de nous se resserre l’étau de la légalité et du contrôle, partout
s’allonge la portée des armes d’état. L’Europe sentant son déclin venir
s’est érigée en forteresse. Arguant de ses prétentions démocratiques,
elle se sert d’organe tel que l’OTAN pour armer ses intérêts et protéger
ses privilèges.

Lors des événements « otanesques » de Strasbourg, les autorités s’en
sont données à cœur joie pour nous instrumentaliser en tant qu’exutoire
chimérique, d’un peuple qui partout se rapproprie déjà par lui même les
moyens de sa défense, que ce soit dans la rue, dans le bureau du patron,
ou lors d’actions d’auto-réduction, ... La boulimie du pouvoir s’exerce
toujours plus concrètement sur nos vies nos corps et maintenant notre
pensé. Ce que l’on nous reproche est d’ordre abstrait, nous sommes
suspectés d’avoir nourris de mauvaises intentions et donc incarcérés en
raison de ces éventuelles volontés délictueuses. En réalité aucun acte
matériel. Mais puisque porter des accusations n’est pas encore suffisant
à prouver, les tribunaux vont alors devoir sonder nos moralités et nous
punir en conséquences... Pour se purger de ses traumatismes et pour
gérer sa propre production de frustration, la société a besoin de ses
victimes expiatoire. Conscient des logiques et des intérêts
spectaculaires dans lesquels nous nous débattions, nous avons refusé
d’être jugés en comparutions immédiates, ce qui nous a valu d’être
placés 1 mois en détention provisoire. Nous avons été libérés depuis, à
l’issue d’un premier procès pour cause de nullités procédurières. Mais
l’état ne compte pas en rester là, nous allons être rejuger.

La république se décline en un grand nombres de prisons. Il y a bien sûr
les institutions, les écoles, les foyers, les hôpitaux, les maisons de
retraite, les camps de rétentions, les maisons d’arrêts et tant
d’autres. Tous ces lieux d’enfermement dans lesquelles nous sommes
placés sous dépendance, contraint les yeux rivés sur la pendule à
patienter, à abandonné nos désirs, nos volontés. Notre course effrénée
s’est momentanément échouée dans l’une de ces nombreuses cellules en
forme d’impasse, dans lesquelles le pouvoir aime tant à nous enfermer.
Tout comme à l’extérieur, ils s’imaginent pouvoir nous apprivoiser en
exerçant un contrôle stricte sur nos sens, en soumettant nos corps à
leur disciplines arbitraires. Tous ce que nous voyons, jusqu’aux odeurs
que nous respirons (un mélange d’odeurs rances et de produits
détergents), sans nous attarder sur la bouffe qui y est servie, tout est
là pour nous rappeler notre condition de prisonnier. Un espace conçu à
l’image de notre société, pour être démesurément fade et glacial. La
prison tout entière est prévue pour que nous ne puissions pas nous en
faire une représentation claire. Jusqu’aux fenêtres orientés de manière
à former un angle restreint avec le mur, contrôlant ainsi le paysage à
porté de vue. Chaque couloirs, chaque escaliers débouchent sur son poste
de garde et son armada de caméra vidéo. Tout est compartimenté, enclavé,
pour limiter nos déplacements, nos échanges. La prison constitue un
immense champs d’expérimentation, pour des techniques sécuritaires qui
seront ou sont déjà en application dans nos sociétés. Enfermés dans ces
sinistres cages, le monde nous apparaît comme une immense source
inépuisable de liberté. Mais la prison sert cette illusion, en se
donnant pour but de nous isoler, pour nous affaiblir et nous briser. Par
la contraintes et la privation, elle tente de semer le trouble et la
confusion entre une éventuelle et éphémère libération et la possibilité
même, le véritable devenir de la liberté.

Un vent frais nous parvient parfois de l’extérieur. Chargé
d’électricité, il nous annonce que dehors c’est partout le même
ravissement, le même spectacle. Des bandes de jeunes et d’autres un peu
moins, toutes conditions sociales confondues, qui refusent de jouer leur
rôles. Ils ne vivent désormais l’instant présent que pour se rapproprier
et assumer leurs désirs. Un front fière et indécent à l’égard d’une
société desséchée, qui ne nous a jamais laissé d’issue que dans
l’obéissance citoyenniste, la soumission et la monotonie des jours gris.
Au hasard des rencontres, nous nous découvrons comme force collective.
Une puissance enfin amène de nous libérer de la rage, que nous inflige
tous les jours ces étalages insolent de biens et d’espoirs nauséeux.
Auxquels nous le savons, nous n’aurons jamais accès. Et à vrai dire,
tant mieux !

Les séquences se figent, les enchainements se brouillent. On entend
maintenant distinctement depuis la cabine de projection, le claquement
de la pellicule qui tourne dans le vide. La bobine arrive enfin à son
terme, et nous nous réveillons groggy, glacés, cherchant à tâtons un
quelconque point de fuite dans cette atmosphère oppressive. Ce que l’on
nous reproche concrètement c’est notre refus de la société telle que
nous la subissons. C’est le fait que nous vivions en marge de celle-ci,
que nous expérimentions de nouvelles formes de vie, de lutte. Les tyrans
et les tenants de l’ordre ont décidés d’ignorer toutes formes de
contestations traditionnelles, ouvrant ainsi la voie à une jeunesse tout
de noir vêtu, célébrant le deuil de ses libertés. Comme une majestueuse
fuite en avant, nous ne trouverons désormais de réponses que dans le
mouvement qui détruit l’ordre existant des choses. La répression auquel
fait face notre combat, nous a ramenés pour un temps au cœur même de la
traque et de l’oppression. Mais dehors, comme depuis nos cellules, nous
continuons de fomenter de nouvelles lignes de fuite, de nouveaux
rapports de force, utilisant pour cela chaque brèches dans la
forteresse. Ici plus que jamais nous avons conscience de la nécessité de
nos pratiques, de nos solidarités, de nos luttes auxquelles semble
répondre comme en échos, le lent vacillement de l’architecture
sécuritaire et individualisante que nous fuyons.

En tous lieux, toutes circonstances, nous continuons autant que possible
d’aménager de nouveaux espaces de liberté. Ainsi s’il nous arrive
parfois d’être pris ou même vaincus, nous restons à jamais insoumis.
Ami-es soyez heureux, car j’ai la vague impression que de notre capacité
à être heureux dépend notre seul espoir.

F.A.P.



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