Texte trouve sur internet.<br><br><a href="http://rebellyon.info/Apres-avoir-tout-brule.html">http://rebellyon.info/Apres-avoir-tout-brule.html</a><br><br><h1 class="crayon article-titre-6610 titre-texte">Après avoir tout brûlé...</h1>

                                
                                <dl><dd class="date">Publié mercredi 9 septembre 2009</dd></dl>                
                        

                <div style="line-height: 0em;"> </div>
                
                
                <blockquote class="crayon article-chapo-6610 chapo"><p>Des réflexions que l’on pourra relier aux débats déjà amorcés ici suite  au sommet de l’OTAN à Strasbourg en avril 2009</p></blockquote>
                <p>Texte imprimable en version brochure sur
<a href="https://nantes.indymedia.org/attachments/jul2009/apres.pdf" class="spip_out">indymedia-nantes</a>
<br>Disponible aussi en anglais sur le web.</p>

<h3 class="spip">Sommaire :</h3>

<p><strong>
# Note</strong></p>

<p><strong># Lettre</strong></p>

<p><strong># Réponses / morceaux choisis…</strong></p>

<p><strong># annexe “Otan en emportent les black blocs”</strong></p>

<p><span class="spip_document_9824 spip_documents spip_documents_center">
<img src="http://rebellyon.info/spip.php?action=acceder_document&amp;arg=9824&amp;cle=a327f42744f712e9b95690db9af2374d&amp;file=jpg%2Fburn.jpg" alt="" height="359" width="500"></span></p>

<p><strong># Note</strong></p>

<p>Ce texte et les réponses qui suivent sont écrits au “je”, comme si
ils reflétaient les pensées d’une personne et les réponses d’une série
d’autres. En fait ces personnes n’existent pas. Chacun de ces textes
contiennent des voix diverses qui ont fusionné. Le premier provient de
discussions qui se sont déroulées après les actions contre l’OTAN à
Strasbourg en 2009, et d’extraits d’écrits de différentes personnes à
différents moments. Les réponses sont compilées à partir de discussions
et de correspondances avec des personnes qui avaient lu le premier
texte.</p>

<p>Ces textes se présentent comme un projet collectif, mais il n’y a
pas réellement de groupe ou de collectif derrière ces écrits. Il n’y a
pas de réunion ou de projet commun qui ont abouti à la mise en place de
ces idées. Beaucoup d’entre nous, dont les idées sont exprimées ici
étions à Strasbourg en avril 2009, et probablement que nos chemins se
sont croisés à différents autres moments, derrière des banderoles et
des barricades, ou dans divers espaces libérés à travers l’Europe. Ce
que nous partageons tous est le besoin de générer et participer à des
débats autour des actions qui se sont déroulés à Strasbourg pendant le
sommet de l’OTAN, et au-delà.</p>

<p>Cette manière d’écrire a été choisie pour se libérer des
polarisations politiques qui structurent notre pensée à propos d’une
idée ou d’une approche. C’est un exercice qui requiert un niveau de
confiance et d’acceptation de pensées “autres”, inhabituel dans une
culture politique qui tend à valider ou rejeter un argument en fonction
de la position idéologique sur laquelle nous percevons qu’il repose.
Les doutes et questions soulevés par les personnes qui ont vécu
différents moments des actions à Strasbourg (durant les quatre journées
et pas seulement le samedi) et qui venaient de différents pays,
contextes, genres, avec différentes expériences de luttes, étaient bien
sûr très variées et parfois contradictoires. Nous avons choisi de les
traiter, non comme des positions uniquement conflictuelles, mais comme
des doutes internes, des questionnements, des contradictions et des
ambivalences, qui peuvent potentiellement se retrouver au sein d’un
même mouvement ou même coexister dans un seul esprit.</p>

<p>Cette manière d’écrire a été choisie pour aller à l’encontre de la
tendance à considérer les questionnements comme des menaces. La
diversité d’idées exprimée signifie qu’il y a très peu de chances que
de quelconques consensus émergent autour de ces textes. De plus il n’y
a pas ici de prise de position définitive et sans appel face à laquelle
nous devrions défendre nos groupes ou nos actions.</p>

<p>Penser à la manière de présenter ces questions a été un processus
collectif lent et difficile, ce qui explique que ces textes ne soient
publiés que trois mois après Strasbourg. Toutefois, nous pensons que
les problématiques soulevées ici risquent de rester pertinentes pendant
un moment encore, et nous espérons que la manière dont ils sont écrits
aidera à alimenter des réflexions et à créer des débats autour des
dynamiques d’actions et de relations dans le cadre de nos luttes pour
la liberté.</p>

<p>Ces textes ont été publié sur Indymedia en Juillet 2009.</p>

<p><strong># Lettre…</strong></p>

<p>Pendant dix ans, j’ai couru avec le black bloc, saisissant chaque
opportunité, chaque moment où nous étions suffisamment forts pour mener
des émeutes, et remplir l’air du son des vitres cassées et des
moulinets de bâtons, des odeurs tenaces de l’adrénaline, de l’essence,
de la testostérone et des gaz lacrymogènes. Pendant dix ans, j’ai pris
parti pour la “diversité tactique” et poussé à la radicalisation : des
mouvements sociaux aux luttes sociales et à la guerre sociale. Alors il
est difficile pour moi d’écrire ce texte…</p>

<p>Pendant les journées contre l’OTAN à Strasbourg, j’étais toujours à
l’intérieur ou à proximité des actions de type black bloc, parce que
c’est là que va mon affinité. Selon moi, il était approprié de réagir à
la complicité policière dans une nouvelle mort au cours des manifs du
G20 à Londres. Nous avions raison d’être véners de la manière dont la
manifestation avait été reléguée dans une zone industrielle et coupée
en deux par des milliers de flics sur la frontière franco-germanique.
J’ai soutenu la décision de combattre la police pour essayer de briser
l’espace dans lequel ils nous avaient enfermés avec leurs négociations
et leur armes de contrôle des foules, et d’essayer ainsi de mener nos
actions quelque part où cela faisait plus de sens, et cela m’a remplie
de joie de voir le poste-frontière brûler.</p>

<p>Même l’action à l’Hôtel Ibis m’a réjouit. C’est un sujet plus
complexe : je ne pense pas que nos actions de ce samedi (et peut-être
en général) vaillent de prendre le risque de blesser grièvement des
personnes. Mais quoi qu’il en soit, j’ai compris que personne n’avait
été blessé dans cette action, et il est important de se remémorer que
l’hôtel en question était partie prenante du sommet de l’OTAN. C’était
un des 5 hôtels qui avait été publiquement mis de côté pour loger les
milliers de journalistes qui étaient là pour couvrir les
“célébrations”, ainsi qu’un lieu d’où la police espionnait les
manifestants. Donc même en ignorant les profits qu’Ibis fait sur les
expulsions de sans-papiers, il est difficile de dire que ce n’était pas
une cible légitime.</p>

<p>Mais malgré tout cela, les expériences de cette semaine m’ont laissé
un sentiment de malaise et de confusion. Nous avons pris le dessus sur
une marche pacifiste pour la faire ressembler à une guerre… Nous avons
utilisé l’espace du campement, bouffé à la cuisine collective et chié
dans les toilettes. Mais comparé aux évènements et campements autogérés
auxquels j’ai participé auparavant, notre implication dans le village
s’est limitée cette fois ci principalement à boire des bières, à nous
retrouver discrètement pour de petites réunions d’actions fermées, ou à
combattre les flics autour du campement, construire des barricades
enflammées, et à faire que ça ressemble à une guerre… Et à travers tout
ça je me suis retrouvée à me questionner de plus en plus sur la manière
dont nos actions se reliaient à nos visions politiques, à nous-mêmes, à
nos rencontres avec d’autres et à nos “valeurs”.</p>

<p>Je ne dis pas que nous avions tort d’agir de la manière dont nous
l’avons fait. Je suis critique depuis fort longtemps de notre tendance
à mettre tellement d’énergie à construire “une industrie de services
activistes” (soutien légal, équipes médicales, organisation du
campement, médias indépendants…), jusqu’à ce qu’il n’y ait pratiquement
plus personne pour mener à bien les actions (qui deviennent à la fin de
plus en plus symboliques). Dans ce sens, Strasbourg offrait en partie
un changement plutôt bienvenu. Mais notre arrogance m’a perturbée. Je
ne voyais pas d’intérêt autour de moi à participer au reste, à
expliquer, ou au minimum à montrer une simple reconnaissance du fait de
faire partie d’une dynamique commune. Une dynamique commune dans
laquelle des gens qui se préoccupent de différents éléments permettent
à une action globale de se mettre en place et d’avoir une force de
frappe. La focalisation, peut-être le seul intérêt était dans la
confrontation violente. Et nous semblions regarder de haut toute
personne qui le questionnait où ne semblait pas immédiatement
comprendre pourquoi nous agissions et pensions de cette manière.</p>

<p>Comme d’habitude, dans les journées qui ont suivi la manifestation
de Strasbourg, les leaders des partis politiques momifiés de la gauche
ont dénoncé et se sont dissociés de la “minorité violente”. Les
pacifistes ont de leur côté expliqué que leurs actions avaient été
ruinées par des hooligans “apolitiques”. C’est toujours frustrant de
lire ce genre de commentaires, et cela crée facilement la division
entre “eux” et “nous”, qui nous permet à notre tour de descendre en
flammes les “démocrates” et les “réformistes” qui mènent leur actions
pacifiques et retournent ensuite à leur confortable vie bourgeoise.
Mais dans le même temps j’étais gênée par le manque de respect ou
d’intérêt montré par les participants aux black blocs pour les autres
participants aux actions anti-OTAN, tout particulièrement parce que si
un certain nombre d’entre eux auraient pu mener leurs actions à bien
sans nous, nous ne pouvions entreprendre nos actions sans eux.</p>

<p>Bien sûr, nous sommes “sexy”, tous en noir, offrant une nouvelle
pose de riot-porn aux caméras. Mais nous n’étions qu’une petite partie
d’un ensemble. C’est d’ailleurs assez ironique que les participants aux
black-blocs qui critiquent tellement les médias, soient aussi les
premiers à accepter la tendance à faire du bris de vitrine et de
l’incendie de poubelle, l’unique focus de la journée. Il est pourtant
important de reconnaitre que sans l’infrastructure mise en place par
les organisateurs du campement (que nous avons surtout consommé), sans
le boulot extrêmement tendu de l’équipe légale qui a pu nécessité
certaines négociations avec les flics et le fait de créer des pressions
politiques et juridiques (ce que nous méprisions), et sans la
protection physique et politique offerte par la présence de milliers de
manifestants dont beaucoup avaient des visions politiques et des
manières d’agir différentes des nôtres, il n’aurait pas été possible de
brûler la frontière, de détruire les caméras ou d’attaquer la police de
la manière dont nous l’avons fait.</p>

<p>J’ai vu des groupes de pacifistes, des personnes plus vieilles, des
gens avec des enfants qui courraient dans tous les sens terrifiés par
les lacrymos, les flash-balls, mais aussi les pierres qui leur
tombaient dessus (parce qu’il y a toujours des personnes qui ne
regardent pas vraiment où elles lancent, ou des idiots qui tirent sur
les premiers rangs depuis l’arrière.). Et pour la première fois je me
suis demandé ce que l’on pouvait ressentir quand on était à l’extérieur
du black bloc.</p>

<p>Nous nous sommes organisés en réunions chuchotées, en petits groupes
fermés et paranoïaques. Si vous n’êtes pas à l’intérieur, il n’y a
quasiment aucune possibilité de participer. Toutefois nous portons nos
actions au sein d’espaces (comme la manif) où elles affectent
directement des personnes qui n’ont pas eu d’opportunités de dialoguer,
de douter, de débattre, ou de décider. Et nous attendons d’eux qu’ils
en assument les conséquences. Nous attendons d’eux qu’ils ne critiquent
pas publiquement, mais nous ne leur donnons que peu d’opportunités pour
critiquer en privé. Nous attendons d’eux qu’ils ne se dissocient pas de
quelque chose dont ils n’ont pu, de fait, s’emparer, ni dans la
préparation ni dans la mise en acte. Nous attendons d’eux qu’ils
respectent nos positions politiques et nos formes d’actions, tandis que
nous nous comportons souvent d’une manière qui suggère que nous n’avons
ni respect ni intérêt quant aux leurs.</p>

<p>Je ne suis pas une hippie. Je ne suis pas une pacifiste. Je ne crois
pas que les États, les multinationales, les armées et la police, vont
un jour, si elles sont confrontées à suffisamment d’information et de
persuasion, être convaincue de baisser les armes, de renoncer à leurs
pouvoirs et leurs assauts à l’encontre de la terre et de ceux qui la
peuplent. Je ne pense pas que les manifestations pacifiques “marchent”.
En fait, je ne suis pas non plus convaincue que les actions violentes
“marchent”, puisque notre violence sera toujours moindre que la leur,
du fait de leur accès aux nouvelles technologies, à la main d’œuvre et
aux armements. Mais je suis prête à faire les deux puisque nous devons
nous battre de toute manière ou baisser les bras.</p>

<p>Je ressens que je suis sûrement plus vieille que beaucoup des
personnes qui ont participé aux black blocs à Strasbourg. Je viens de
la génération qui a pris les rues et a combattu dans une sorte de pure
joie démente au milieu des années 90. J’imagine que je viens d’une
période d’innocence : avant la mort de Giuliani, avant qu’ils nous
appellent des terroristes, avant que toute notre créativité soit
absorbée dans le spectacle du “mouvement de masse” aux blocages
d’Heiligendamm, où dans le vide politique des forums sociaux. Je me
remémore un temps, où nous croyions dans l’avenir et où nous sentions
même quelquefois que nous avions des choses à gagner. Dans ce contexte,
la “diversité tactique” renvoyait à une volonté de prendre en
considération toutes les formes d’actions possible pour atteindre nos
buts. Mais pour ça il nous fallait des buts.</p>

<p>Une des choses qui m’a perturbée à Strasbourg était le sentiment de
ne plus être vraiment sûre de quels étaient nos buts. Les personnes
impliquées dans les tactiques de type black bloc ne semblaient pas
intéressées par le blocage du sommet, ou dans la mise en place
d’actions moins prévisibles, mais seulement par la manifestation. Selon
nos propres analyses, les manifestations sont souvent un maigre
substitut à l’”action directe”. Mais nous avons concentré notre énergie
à créer l’espace ou la situation au sein desquels nous pourrions faire
une émeute (même si le seul endroit où nous pouvions le faire était une
zone industrielle située à des kilomètres de tout). Le succès ou
l’échec de l’action, semblait-il, pourrait se mesurer au nombre de
pierres lancées, de poubelles brûlées, de vitres cassées, où de flics
blessés.</p>

<p>Les émeutes cessent alors d’être une tactique et deviennent une fin
en soi. Dans ce cadre, nous n’avons pas besoin d’argumentation
politique pour défendre ou définir nos actions. Nos actions sont notre
argumentation politique : elles ne requièrent pas plus de
contextualisation que le capitalisme lui-même dans toutes ses formes,
et elles s’auto-définissent et parlent pour elles-mêmes.</p>

<p>Cela a des aspects positifs. La politique devrait venir des tripes
et pas seulement de la tête. Mais si nous nous référons seulement des
appels aux armes poético-insurrectionalistes comme “Appel” où “A
couteaux tirés” pour définir ce que nous faisons, nous finissons par
abstraire nos actions de la réalité. Quand je suis revenue à la maison
j’ai relu un livre que j’avais entamé il y a longtemps, l’”amant du
démon : sur la sexualité du terrorisme”, de Robin Morgan (une
ex-wheathermen). Elle y décrit un certain processus de radicalisation
des luttes :</p>

<p>« [celui-ci] conduit à une dynamique de “la fin justifie les
moyens”. Comme les abstractions se mettent à proliférer, les
thématiques originelles de luttes sont enclines à être oubliée
entièrement… De la rhétorique, un territoire, des outils, des armes,
des uniformes deviennent les fétiches de la combattivité masculine…
L’orientation – de vivre pour une cause – par exemple combattre pour
une meilleure qualité de vie – se referme vers le fait de mourir pour
une cause. La violence. Ceux qui la remettent en question sont des
traîtres. Une politique de l’espoir devient une politique du désespoir.
Le but devient maintenant beaucoup trop abstrait pour être atteint et
la virilité ne peut se satisfaire de moins. Le cynisme surgit, tout
comme les stratégies orientées sur la provocation et la polarisation.
Ce qui visait autrefois à un triomphe humain se dirige maintenant vers
une défaite de puriste. L’État ne peut que nous en être reconnaissant. »</p>

<p>Le tableau qu’elle décrit est sombre, elle voie la violence
politique comme une impasse. Selon elle, en étreignant la violence,
nous nous condamnons à reproduire les schémas du patriarcat, de
l’autoritarisme et des systèmes de valeur masculins dans nos actions,
nos relations et nos collectifs jusqu’à une fin amère. J’ai rejeté ce
bouquin comme de la merde pacifiste quand je l’ai lu pour la première
fois, mais aujourd’hui certains de ses arguments me font réfléchir.</p>

<p>Quelquefois, je ressens que nos faiblesses, notre manque de
direction et de projections, crée une culture où nous nous enfermons
dans une esthétique politique (pas même une idéologie !) et où nous
limitons nos actes et nos paroles aux formes d’actions qui sont perçues
comme suffisamment combattives/guerrières pour être acceptables. Nous
devenons imperméables à la complexité. Nous ne laissons pas de place
aux doutes ou aux questionnements. Il n’y a pas d’assemblées ouvertes,
pas de forums, pas de portes-paroles et notre seule forme de
communication politique se situe dans nos actions et les images
qu’elles projettent. Nous nous structurons dans l’image de la guérilla
en bande sombres, nous donnons un sens symbolique à ce qui n’est
souvent que de l’action violente indirecte (et s’oppose parfois à
l’action directe non-violente)… Mais nous devrions être capable d’être
honnête et sincère quant au contenu de ce que nous faisons ou nous
allons finir par n’être plus constitué que d’images..</p>

<p>Sous l’ombre d’un chêne, nous communiquons par des chuchotements. Ma
mâchoire est tendue par le frisson de la conspiration…et par la fierté.
Le secret et l’importance que se donne ce groupe est contagieuse. Dans
ma frustration, cloîtrée par le désert de l’existant, je suis gagné par
leur pouvoir, leur langage et leur conviction arrogante d’avoir raison.
Mon besoin de faire quelque chose, quoi que ce soit, est séduit par
leur combattivité. Alors j’apprends vite, à parler ce langage de la
violence, avec confiance et en cachant mes doutes et mes ambivalences,
comme ils le font…. mais aujourd’hui j’observe les visages de mes
compagnons, les lèvres serrées et promptes à désapprouver, prompts à
condamner ceci et cela, cette brèche dans la sécurité ou cet échec dans
la combattivité, ou de simples démonstrations de faiblesse. Et je
ressens un besoin inattendu, obstiné et anti-autoritaire de dire à voix
haute “J’ai peur”.</p>

<p>Et peut-être est-ce parce que je vieillis (et que je vois que les
visages autour de moi changent : certains camarades qui se fatiguent,
dépriment, disparaissent tandis que l’âge moyen de ceux qui prennent
les rues reste identique), où peut-être est-ce parce que derrière ma
cagoule, je suis toujours une femme. Et que ça vous plaise ou non, en
tant que femme dans nos milieux j’ai travaillé dur pour obtenir mes
“qualifications au combat”, pour dire les choses justes, et pour me
prouver à moi-même et aux autres régulièrement à l’épreuve du feu. Mais
même à présent, les valeurs de l’insurrection au masculin, de la
conviction idéologique inébranlable et de la capacité à faire mal pour
la cause ne me viennent pas toujours “naturellement”.</p>

<p>Et si nous ne sommes pas honnêtes avec nous-même, si nous cachons
continuellement nos sentiments et nos faiblesses, nos déprimes et nos
intimités derrière des masques et des postures guerrières, alors nous
nous auto-limitons. Nous nous empêchons d’analyser notre position
réelle et de savoir ainsi dans quelle direction aller ensuite. Dans ce
cas nous ne sommes plus en train de gagner mais de perdre. C’est
seulement en reconnaissant et en comprenant les problèmes que nous
traversons que nous pouvons commencer à chercher des solutions. J’écris
ce texte parce que je ressens que nous avons besoin de communiquer
quelque chose de plus que l’arrogance de la jeunesse et des images de
guerre.</p>

<p>J’ai trouvé excitant d’être dans les rues avec les gars de la
banlieue d’à coté, qui speedaient et donnaient la direction sur leurs
scooters, confortés par notre présence dans le fait de prendre les rues
à ce moment là aussi. C’était fort et cela faisait sens de se
confronter aux flics ensemble. La violence peut (et c’était le cas en
l’occurrence) unir et aider à construire des liens. Je doute en
l’occurrence que ces gars auraient été très intéressés si nous avions
déambulé dans un défilé pacifique à travers leur quartier en
distribuant des tracts sur l’OTAN.</p>

<p>Toutefois, j’étais aussi perturbée à d’autres moments par un type de
tranchant que je ressentais dans l’atmosphère. C’était parfois présent
dans la rue, et peut-être encore plus dans le campement, où aiguisé par
l’alcool, cela ressortait en petits combats de chiens macho se
confrontant pour établir la hiérarchie de la journée… Peut-être que je
ne suis pas assez nihiliste mais je me débat avec les contradictions
que cela fait surgi en moi.</p>

<p>J’ai envie de sortir de nos milieux pour rentrer en contact,
interagir et agir avec d’autres, pour trouver les terrains communs qui
nous permettent de détruire ensemble la prison de néon et de plastique
dans laquelle se comprime notre quotidien. Mais si nous nous mettons à
fétichiser sans recul critique la combattivité des bandes, des
“banlieues”, l’incarnation de la “rage du peuple”, si nous orientons
nos actions vers certains type de violence sans leur donner plus de
contenu, alors nous ne devenons pas si différents des supporters de
foot et des gangs qui se donnent un temps et un lieu pour un combat
prévu (samedi après-midi à la manif, au lieu d’après le match !). Pour
le dire simplement, il y a des dynamiques, des valeurs et des attitudes
qu’il ne m’intéressent pas de reproduire, quel que soit leur
authenticité de “rue”.</p>

<p>Cela m’intrigue de comprendre pourquoi certaines personnes sont
attirées par un type particulier de pensée politique et d’actions. Je
sais pour ma part combien je trouve séduisant l’”uniforme” des
autonomes, comment je me sens stimulée par un black bloc, et combien
j’aime les actions secrètes. Mais quelles sont les valeurs esthétiques,
culturelles et genrées sur lesquelles reposent cette attraction ? D’où
viennent-elles ? Où mènent-elles et qui servent-elles ?</p>

<p>Je ne suis pas en train de suggérer que nous devrions quitter la
voie dans laquelle nous nous trouvons, pas le moins du monde, seulement
que nous la poursuivions avec précaution, considération et une
compréhension de la manière dont elle agit sur nous. Nous devrions
constamment pouvoir analyser la manière dont nous réagissons à nos
actes, ce que nous avons besoin de mettre en place collectivement et
personnellement pour les mener à bien et la manière dont cela affecte
nos relations et attitudes envers les autres.</p>

<p>La violence – quels que soit ceux qui l’utilisent – a des
répercussions sur la “santé” affective, pas seulement de ceux qui vont
la recevoir au final, mais aussi de ceux qui la génèrent, quel que soit
leurs objectifs et leur idéologie. Je n’ai aucune sympathie pour le
pacifisme en tant qu’idéologie. Je ressens par contre un besoin à ce
que nous nous entraidions à combattre ardemment pendant plus longtemps
et avec une meilleure “santé” personnelle et collective. Le fait de
choisir le chemin de la violence aux prix de risques personnels et
collectifs, implique de se donner une culture de sécurité dont
certaines des caractéristiques inhérentes sont l’exclusion, la
paranoïa, les non-dits et un tissage relationnel au sein duquel des
parties importantes de votre vie doivent rester cachées et ne peuvent
être partagées. Cela entraîne des tensions et des sentiments
particuliers (de la jalousie, de l’insécurité, le fait de se donner des
critères de valorisation parfois très réduits, ou de ne pouvoir
partager ce que l’on fait). C’est une voie dans laquelle on peut
parfois paradoxalement se retrouver à traiter les gens dont les visages
nous sont pourtant familiers, non comme des camarades, mais comme des
ennemis potentiels. Je pense que cela a un impact important sur nous :
sur la manière dont nous considérons les autres et nous mêmes.</p>

<p>J’ai peur que de poser ces doutes et ces questions entraîne que je
sois rejetée. Mais des valeurs aussi “non-guerrières” que l’empathie,
l’ambivalence, la réflexion, et le fait d’ancrer nos comportements dans
le personnel et le réel, sont politiques aussi. Je vais donc prendre le
risque de ce rejet et écrire. J’espère que ce texte sera pris comme une
auto-critique et pas comme une attaque. J’espère que quelques unes de
ces idées trouveront un terrain fertile pour générer des débats : pour
briser nos images et scruter la substance en deçà.</p>

<p>Nous vivons des temps passionnants. La résistance devient de plus en
plus évidente face aux crises économiques, écologiques, sociales et
politiques qui ébranlent le monde, et il semble que les États et
corporations ne cherchent même plus à dissimuler la figure véritable du
capitalisme, de la guerre et du contrôle social. Le changement (dans un
sens ou dans un autre) pourrait bien s’avérer inévitable et il va nous
falloir combattre en son sein, que nous aimions cela ou pas. Dans ce
contexte, j’écris avec espoir et avec le désir de rechercher des
réponses à la question posée par des amis grecs au pic des révoltes de
décembre 2008 :</p>

<p>“et après avoir tout brûlé ?…”</p>

<p><strong># Réponses / morceaux choisis…</strong></p>

<p>« (…) Je suis venue combattre le sommet de l’OTAN à Strasbourg,
pleine de l’espoir que ça allait vraiment clacher. Je cherchai des
gestes forts de résistance qui expriment dans notre présence une remise
en cause du système dans son ensemble. Et nous avons claché… Même si
cela peut renvoyer aux lacunes de certaines de nos luttes quotidiennes,
même si il y a sans doute là dedans une part de tromperie politique et
d’illusion spectaculaire, il m’est inutile de nier le plaisir et la
force de ces moments collectifs débordants ou pendant quelques minutes
ou quelques heures, « en masse », nous ne sommes plus encerclées par
l’hégémonie du “nous ne pouvons rien changer, de toute façon”.</p>

<p>Toutefois, mes expériences autour du pont de l’Europe à Strasbourg
le samedi laissent place à certains malaises et frustrations. La
stratégie policière, à ce qu’il semblait, était d’isoler la
manifestation, et avec elle le “black-bloc”, sur une friche
industrielle atteignable seulement par des ponts, sur une route pour
nulle part. Et leur stratégie a fonctionné de ce point de vue. Malgré
les tentatives du groupe de blocage parti à l’aube, l’intérieur de la
ville est resté calme et tranquille. Tandis que je marchai à travers le
centre ville plus tard cet après-midi là, je pouvais voir des
délégations et convois de l’OTAN défiler devant moi en voiture à
travers les rues sans être attaqués, et je ne pouvais m’empêcher de
penser que nous aurions peut être réussi à créer plus de troubles
pertinents à l’écart du champs de bataille sur lequel nous étions
attendu.</p>

<p>Cela m’a donc intéressé de lire ton texte et d’y trouver des pistes
pour mettre en forme mes propres questionnements, sans tomber dans les
dénonciations aussi typiques que stupide du genre “le black bloc
travaille avec la police.”. Il y a quand même certains de tes arguments
qui me perturbent, alors histoire de continuer à faire progresser le
débat, je t’ai écrit une réponse.</p>

<p>Tout d’abord, je pense qu’il est important d’insister sur le fait
que le contenu des actions initiées samedi – la destruction de banques,
du poste frontière, de l’hôtel ibis, de caméras de vidéo-surveillance
et autres outils de domination n’étaient pas déconnectées de la
présence de l’OTAN dans la ville. Ces actions marquaient un lien entre
les politiques de l’OTAN et les banques, multinationales, institutions
étatiques et complexes industriels et militaires qui entouraient le
sommet. Elles visaient, au-delà de l’institution et de sa cérémonie,
l’architecture globale de sécurité, que l’OTAN annonce mettre en œuvre
en réponse aux soulèvements et aux actions directes qui se multiplient
face à la “crise” du capitalisme et du système post-colonial.</p>

<p>Dans un contexte où les États français et allemands avaient posé le
défi que rien ne se passe par une débauche de moyens policiers, il y
avait un enjeu politique fort à montrer que quel soit le nombre de
flics, d’hélicos, de contrôles, de propagande pour effrayer la
population, cela peut encore déborder, faire émerger des rencontres et
alliances… et ce pari risqué a marché. Ce qui ne signifie pas pour
autant que ce soit toujours le plus pertinent d’aller se frotter au
corps à corps là où ils concentrent leur force. L’important c’est aussi
d’arriver à rester imprévisible, et de ne pas rentrer dans des
systématismes. (…) »</p>

<h3 class="spip">***</h3>

<p>« (…) Comme ton texte se réfère à un “nous”, il me semble nécessaire
de préciser ce qu’il peut définir. Aussi vague et contradictoire
soit-il, ce “nous” me semble renvoyer à des regroupements multiformes
qui visent à dépasser l’État et le capitalisme, l’oppression
patriarcale et post-coloniale sur des bases anti-autoritaires, par le
biais d’actions directes d’attaques et d’autonomisation, et sans dogme
non-violent. C’est une manière de le dire, il y en aurait 2000 autres.
Et comme ce “nous” d’une certaine “internationale révolutionnaire”
n’est pas un parti et n’a pas d’existence formelle figée, on peut s’en
sentir plus ou moins partie prenante et on peut le délimiter ou le
percevoir de manière très différente. Certains vont se référer à un
“nous” comme interconnecté à une échelle internationale par des
réseaux, organisations, voyages, actions, échanges stratégiques,
relations amoureuses et amicales… D’autres auront du mal à ressentir un
“nous” au-delà d’un ancrage local, plus restreint et contextualisé.
Certains se sentent aisément partie prenante d’un mouvement et d’une
histoire commune, d’autres seront beaucoup plus réticents à partir d’un
ensemble aussi hétéroclite et divisé, sans définition politique plus
précise. (…) »</p>

<h3 class="spip">***</h3>

<p>« Quand tu évoques un “nous” , ton texte peut donner l’impression
faussée qu’il y aurait eu un black bloc à Strasbourg, plus ou moins
organisé comme un ensemble, formé de groupes et personnes qui se
reconnaissent dans cette identité et porteraient une histoire commune à
travers cette tactique. Mais le black bloc n’est pas un groupe. C’est
un terme beaucoup trop simpliste qui rassemble à un moment donné des
groupes qui peuvent porter par ailleurs des stratégies de confrontation
et des visions politiques différentes. Il n’est jamais inutile de
rappeler que les tactiques de type black bloc et la présence au
contre-sommet ne sont qu’une des formes, souvent marginales, de
l’action politiques des personnes qui y participent. Beaucoup des
personnes qui pouvaient être considérées à ce moment là comme faisant
partie du “black bloc” participent quotidiennement à des luttes, des
formes d’autonomisation et des espaces de vie de beaucoup d’autres
manières. Beaucoup de ceux qui peuvent se retrouver dans ces tactiques
émeutières font aussi le choix politique de ne pas venir à des
contre-sommets du type de Strasbourg. Un certain nombre de personne
perçoivent peut-être effectivement une histoire et une ligne politique
commune qui peut se retracer maladroitement à travers les apparitions
multiformes et communiqués de « black blocs » dans les actions
anticapitalistes de cette dernière décennie et au delà. Mais beaucoup
de celles et ceux qui ont choisi ces tactiques à Strasbourg ou ailleurs
ne se représentent pas en tant que black bloc et critiquent même cette
étiquette et ses postures comme un piège identitaire et une case
médiatique. Une étiquette qui risque avant tout de créer des barrières
avec des personnes avec qui il serait possible de partager ce type
d’actions. Il n’y avait en tout cas pas de coordination unitaire des
tactiques de “Black blocs” à Strasbourg, mais des groupes plus ou moins
larges qui se sont préparés pour un certain type d’actions dans ce
contexte, et des connexions basées sur diverses affinités. (…)</p>

<p>Le fait de ne pas se refermer autour d’une identité “black bloc” est
particulièrement important parce que cette diversité des personnes
partageant des tactiques offensives risque d’aller croissant. La
“crise” que tu évoques signifie surtout un ré-agencement de la
domination capitaliste où la situation sociale et le contrôle vont se
durcir ; ainsi que, espérons le aussi, des mouvements de résistance.
Des groupes et mouvements divers font ressurgir dans leurs luttes
quotidiennes des tactiques illégales et conflictuelles telles que la
séquestration de patrons, la menace d’exploser leurs usines, les
blocages de l’économie, les auto-réductions, les occupations, les
sabotages et les manifestations offensives. En Europe (et notamment par
le biais de l’OTAN et de l’harmonisation et de la coordination des
politiques de sécurité), les armées et polices collaborent et se
préparent à réagir plus fort vis à vis des mouvements sociaux parce
qu’ils s’attendent explicitement à ce que ceux-ci s’intensifient et que
les gens expriment de plus en plus leur rage dans la rue. Ce contexte
va mettre au défi notre intelligence stratégique, notre capacité à ne
pas sombrer dans dynamiques avant-gardistes, messianiques ou
identitaires, et notre capacité à créer et maintenir des connexions
depuis l’intérieur des mouvements sociaux, avec toute leurs
complexités, leurs diversités tactiques et leurs débats
contradictoires. (…) »</p>

<h3 class="spip">***</h3>

<p>« (…) Dans le contexte de Strasbourg la culpabilité du fait d’avoir
“détourné” la manifestation me semble quelque peu déplacée. Il est vrai
que nous l’avons rendu plus offensive et contribué à mettre dans
l’impossibilité ceux qui le souhaitaient de marcher pacifiquement dans
une zone industrielle isolée, ou de tenter de négocier un passage à
travers les lignes policières. Mais ceux d’entre nous qui ont rejoint
cette marche “pacifiste” avec le visage masqué et une volonté de
confrontation n’étaient pas une petite minorité. Nous étions plusieurs
milliers. Cette manifestation était aussi “notre” manifestation.</p>

<p>Lors du G8 à Gênes en 2001 et en diverses autres occasions, beaucoup
de personnes du “black bloc” vivaient dans les “campements citoyens et
pacifistes” pour ne pas se faire directement réprimer et isoler par la
police. Par comparaison, et même si beaucoup de gens ont
(malheureusement) dédaigné de contribuer d’une manière ou d’une autre à
son organisation, le campement de Strasbourg donnait beaucoup plus le
sentiment d’être à “nous”. Beaucoup des personnes au campement étaient
anarchistes ou révolutionnaires avec des approches diverses. Et cette
position offensive s’est reflétée dans les actions qui en sont parties
aux cours de la semaine. Cette lutte est aussi notre lutte, et une
bonne partie (beaucoup plus que lors de précédents sommets à ce que
j’en ai ressenti) des personnes participant à la manifestation étaient
soit activement impliquées dans des tactiques confrontationelles, soit
à minima dans un soutien plus passif aux actions offensives qui ont été
initiées. (…) »</p>

<h3 class="spip">***</h3>

<p>« Il est intéressant, quand tu évoques l’incendie de l’hôtel, que tu
te demandes si cela valait le coup de prendre le risque de blesser
grièvement quelqu’un pour une de nos actions. Posée de manière aussi
générale, cette question me gêne. De fait beaucoup des actions que nous
initions (tout comme beaucoup de choses moins politiques dans la vie)
entraînent que nous prenions ce risque. Quand nous prenons parti contre
le militarisme et le contrôle social, nous nous attaquons à certaines
des institutions les plus brutales et puissantes dans le monde. A
chaque fois que nous portons cette critique dans les rues, surtout si
nous ne nous contentons pas de défiler passivement, il y a des risques
pour que nos compagnons ou d’autres personnes soient blessés, arrêtées
ou plombées affectivement par les évènements de la journée. Chaque
personne participant à une manifestation devrait être consciente que
quelles que soient nos actions, il y a de toute façon toujours des
risques pour que nous nous fassions attaquer par la police (qui ne
s’est d’ailleurs pas gênée pour gazer et matraquer les manifestants
non-violents le matin même). Toutefois le niveau de violence que nous
sommes prêt à assumer ou créer dans chaque contexte et situation ne
devrait jamais être un sujet évident. Notre éthique, le niveau de
répression auquel nous devrons faire face, et le soutien que nous
pouvons recevoir en dépendent.</p>

<p>Ceci est un sujet profond et complexe, mais peut-être peut on se
risquer à l’aborder par quelques considérations simples (simplistes ?).
Par exemple, il est possible de dire qu’il y a une différence assez
claire en terme de rapport à la prise de risque entre ceux d’entre nous
qui ont volontairement choisi une situation de combat et s’y sont
préparés (comme “nous” ou à l’autre extrême les flics sur-protégés et
qui sont là dans le but de nous bloquer et de nous attaquer), et des
passants ou compagnons de manifs qui n’ont pas choisi ces tactiques et
ne se sont pas préparés à des situations de conflits violents. Et il y
a une différence à faire entre prendre le risque de blesser un flic
lors d’une action et même s’attaquer volontairement à eux quand ils
barrent notre route, ou prendre le risque de blesser quelqu’un qui se
trouvait là plus ou moins au mauvais endroit et au mauvais moment. Ce
qui ne signifie pas pour autant que blesser un flic puisse devenir en
soi et pour soi un objectif politique très intéressant, à moins de
chercher simplement à reproduire en négatif la logique punitive de
l’État.</p>

<p>De manière générale, les décisions et processus d’actions qui
tendent à transformer les manifestations en zone de combat nécessitent
des considérations prudentes. Le fait dans une action ou manif, d’avoir
divers blocs divisés suivant les tactiques privilégiées a parfois
relativement bien marché dans le passé, tout comme le fait de se donner
des moments différents pour différents types de manifestation. Pourtant
cela fait sens aussi que la conflictualité physique puisse venir de
partout et ne soit pas isolée dans un coin où un temps séparé. C’est un
choix tactique qui peut trouver son efficacité dans le fait qu’il soit
alors beaucoup plus difficile pour la police de contenir le chaos et
qu’il peut permettre aussi à plus de gens de s’emparer de cette
conflictualité. Ce sont aussi les imprévus et élans spontanés qui
déboulent avec plus ou moins de bonheur et peuvent changer la donne
quel qu’aient été les prévisions. Quoi qu’il en soit, le fait de
rejeter les formes politiques de la gauche traditionnelle, avec ses
discours vides, ses manifestations sans buts et son évitement permanent
du conflit, ne devrait pas signifier pour autant que l’on abandonne une
solidarité basique, qui implique de s’organiser pour protéger les
personnes qui sont du même coté que nous mais qui ne veulent ou ne
peuvent pas assumer de tels niveaux de risques et de répression. »</p>

<h3 class="spip">***</h3>

<p>« Durant la manifestation contre le G8 à Rostock en 2007, j’ai dû
prendre la décision de rejoindre le black bloc ou de rester avec un ami
proche qui s’était récemment brisé le dos et ne pouvait nous rejoindre
par peur de s’endommager la colonne vertébrale, et parce qu’il était
bloqué par le fait que son corps, auparavant fort et invincible, lui
ait fait tout à coup défaut. J’ai rejoint le black bloc, mais ce
n’était pas un choix facile. Cela m’a fait réaliser que nos
possibilités d’engagement physique confrontationnel dans la guerre
sociale peuvent être fragiles. Cela m’a conforté dans le fait de
chercher des formes d’engagement radical sur le long terme qui aillent
au-delà de la création de ghetto pseudo-militaires ou de terrain de
jeux pour des révolutionnaires de vingt ans. Quelquefois j’ai le
sentiment que pour un participant au black bloc de 25 ans, le fait
d’avoir 40 ans ou d’être handicapé semble très loin, improbable ou
juste foutrement embarrassant. Dans ce cas, cela semble encore plus
improbable d’atteindre cet âge en étant toujours impliqué dans des
formes de luttes radicales.</p>

<p>Les niveaux de risques ne sont pas simplement une question
d’idéologie politique. Des personnes qui risquent la prison pour
d’autres actions, vivent sans papiers, des parents et leurs gosses, ou
ma grand-mère peuvent vouloir prendre le risque de se rendre à
certaines manifestations tout en essayant de rester en dehors des
troubles. Sans se paralyser dans nos actions sous prétexte qu’elles ne
conviendront sûrement pas à tout le monde, il n’est pas nécessairement
“contre-révolutionnaire” de chercher des moyens et des temps pour que
des communautés de différents âges et horizons puissent se retrouver
ensemble à se battre, de travailler ensemble à comprendre nos forces et
faiblesses, et d’essayer de se protéger et de briser certaines
barrières face un ennemi commun.</p>

<p>Cette recherche, dans le sens en tout cas d’une assise matérielle et
solidaire, a pu notamment prendre forme dans les structures collectives
que nous avons développés au fils des ans – soutien légal, équipes
médicales, cantines, transports, organisation de campement,
communication et médias indépendants, soutien face aux traumatismes….
Elles sont une preuve que nous avons une capacité à apprendre de nos
expériences et à croître en tant que mouvement. Si elles ne se
transforment pas en service séparé et qu’elles restent partie prenantes
des choix sur les objectifs d’actions, elles sont constitutives de
notre force. A la lumière de la rébellion grecque, et dans un contexte
de mécontentement social croissant, je pense que l’utilisation et la
multiplication de ces structures vont devenir de plus en plus
importantes.(…) »</p>

<h3 class="spip">***</h3>

<p>« (…) Dans ton texte tu décris un piège, un paradoxe par lequel une
critique implacable d’un présent désertique, totalement aliéné, peut
finir par aboutir paradoxalement à une abstraction de nos luttes qui
les vide de sens immédiat et d’objectifs tangibles. La projection
messianique centrée sur le point d’aboutissement de l’insurrection
globale, tend à instaurer une forme de pensée qui dédaigne ou nie tous
les entre-deux, processus, victoires concrètes, les revendications ou
les luttes spécifiques, comme ennuyeuses et forcément parties prenantes
d’un militantisme réformiste qui ne ferait au final que préserver la
paix sociale…. C’est parfois comme si toute amélioration partielle et
concrète de nos vies devient suspecte de reculer l’effondrement du
système. A force de dénicher le citoyennisme dans quasi toutes les
formes de contestation, on en arrive à oublier leurs aspects
conflictuels, leurs forces et leurs évolutions potentielles jusqu’à
réduire drastiquement les formes d’actions et les alliances possibles.
Selon moi, un processus révolutionnaire devrait s’intéresser au
contraire à des résistances sans doutes fragmentaires et lacunaires
mais qui peuvent néanmoins transformer d’ores et déjà la vie des
personnes concernées, et voire dans quelle formes de radicalisation ces
résistances peuvent s’inscrire et se relier à une perspective globale.
Nous avons souvent besoin de points de départ spécifiques, d’ancrage
thématiques, de murs à abattre, de petits victoires concrètes…que l’on
finisse ou non par parvenir à un point d’insurrection généralisée. Les
exemples de mouvement large qui se sont tenus dans cette double
dynamique sont nombreux. On peut avoir en tête le mouvement des roads
protests en Angleterre dans les années 90 qui est parti de luttes et de
victoires très spécifiques, “sur le terrain”, et qui est parvenu à
évoluer à partir de là vers une dynamique anticapitaliste plus globale,
ou encore la manière dont le mouvement autonome italien des années 70 a
pu allier à une vision révolutionnaire globale, des revendications et
luttes spécifiques sur les questions du logement, des conditions de
travail, du l’auto-réduction des factures…tout en parvenant à éviter
jusqu’à un certain point qu’un aspect se retrouve mis en opposition
avec l’autre. »</p>

<h3 class="spip">***</h3>

<p>« Le fait de transformer en une identité des tactiques adaptées à
répondre à une situation spécifique a été un problème récurrent dans un
partie des mouvements anticapitalistes de cette dernière décennie. Nous
avons démarré les groupes de percussions (comme l’Infernal Noise
Brigade aux USA ou le groupe de samba pour le 18 juin à Londres en
1999) en tant que tactique pour faire monter la tension dans
l’atmosphère et ruser la police en mettant des foules en mouvements là
où les sounds-systems dans des vans étaient trop lents ou pas assez
flexibles. Plus tard, de nouvelles personnes qui n’avaient pas
participé à la réflexion tactique et politique initiale s’y sont
retrouvées impliquées et l’idée que la samba était radicale et
révolutionnaire en soi et pour soi a pu finir par émerger, quel que
soit ce que fassent les groupes de samba lors des manifs. La même chose
s’est passée avec les clowns…l’idée de base derrière l’”armée des
clowns” et quoique l’on puisse en penser, s’appuyait au moins sur une
pensée tactique et politique, pas sur l’idée que les clowns sont
révolutionnaires quel que soit le contexte. Il se pourrait que l’on
perçoive plus aisément à travers ces exemples quand des tactiques
commencent à s’abstraire de leurs objectifs, parce que celles-ci
pouvaient nous sembler plus discutables à la base. Mais on peut parfois
dire la même chose de méthodes plus confrontationelles comme de se
cagouler, de brûler des poubelles ou de péter des vitrines. On se
souvient par exemple du black bloc de 4h du mat’ qui est parti du camp
de Retterlich pendant le G8 de 2007 et qui est allé brûler des
poubelles et construire des barricades dans un minuscule village à des
kilomètres de quoi que ce soit. J’y étais et c’était profondément
déprimant !.</p>

<p>Mais je pense que malgré la pertinence des critiques de certains
gestes et postures, ceux-ci offrent néanmoins un moyen de faire face à
nos peurs et de ne pas s’y enfermer, à une époque où il y a de bonnes
raisons d’avoir peur et où nous voulons être capable de les dépasser et
d’agir. Je suis très critique de la tendance actuelle de la société
capitaliste à promouvoir et instrumentaliser une certaine perspective
de la victime comme la seule voie de la vérité. Comme si les formes
possibles de reconnaissance de la domination devaient nous amputer dans
le même temps des moyens de lutter de manière forte et autonome, comme
si la lutte devait paradoxalement se structurer seulement dans notre
fragilité. Bien sûr nous savons et cela ne fait pas de doute que la
fétichisation de la force physique et martiale est au mieux
proto-fasciste. Mais je crois à la nécessité de prendre une bonne
respiration et d’essayer de croire sérieusement à notre capacité d’agir
de manière forte, massive et sauvage. J’ai aussi besoin aussi
d’entretenir une capacité à rire (en notre for intérieur et entre nous)
de nos postures belliqueuses. Il y a pour moi une différence
fondamentale entre partir d’une situation où l’on décide qu’il est
nécessaire de dépasser nos peurs, tout en étant capable d’en rire et de
ne pas se prendre trop au sérieux, et avoir une approche sans critique
de cette même posture belliqueuse.</p>

<p>J’ai vu beaucoup de nouvelles personnes (hommes et femmes) rejoindre
nos “bandes” et tomber directement dans certains des rôles virils que
nous utilisons pour dépasser nos peurs. Souvent, ils apprennent à se
positionner dans les structures de pouvoirs que nous créons (et qui
miment bien trop souvent les structures de pouvoir que nous cherchons à
abattre) et s’immergent dans une certaine culture héroïsante du
“combattant de la guerilla urbaine”. (d’autres exemples de cette
culture de héros dans nos mouvements peuvent inclure le “super-squatter
Do It Yourself” ou le “théoricien intransigeant”). Ils apprennent ces
rôles sociaux d’autonomes et d’anarchistes plus âgés, qui ont parfois
une vision plus critique de l’utilisation de ces façades identitaires,
mais qui rendent rarement ces critiques explicites ou visibles.</p>

<p>Les jeunes gars auront peut-être plus tendance à étreindre sans
critique des processus de “compétition militante/guérrière” récompensé
par un statut social dans le mouvement. Je suspecte que ce soit, tout
comme c’est le cas pour d’autre système patriarcaux de valorisation,
parce que c’est plus aisé pour eux d’en tirer profit. La promotion des
tactiques de violence politique met en jeu, parfois à l’extrême, des
comportements qui se nourrissent et entretiennent des conditionnements
de genre et de pouvoir, et nous confronte, il faut bien l’avouer, au
risque constant de créer nos propres monstruosités !(…) »</p>

<h3 class="spip">
***</h3>

<p>« (…) Il n’est pas tout à fait vrai que le “black bloc” fonctionne
seulement en “groupes fermés et paranoïaques”. Peut-être était-ce plus
le cas à Strasbourg où la structuration en groupes affinitaires était
plus marquée, que durant des mouvements sociaux et “émeutes spontanées”
de ces dernières années, où il a pu être parfois relativement aisé de
se rencontrer dans le feu de l’action et d’agir ensemble. Mais même
dans le black bloc à Strasbourg, je sais que des personnes qui ne se
connaissaient pas se sont retrouvées à agir ensemble spontanément sur
telle ou telle action, comme l’a illustré notamment la manif du jeudi
avec les gens du quartier d’à coté. La paranoïa et les groupes fermés
existent, mais ils existent aussi du fait de menaces réelles de
répression policière, d’infiltration ou d’arrestations, en ce qui
concerne certains types d’actions tout au moins. Ce qui ne devrait pas
empêcher de chercher activement à maintenir des espaces et formes de
luttes beaucoup plus accessibles. Néanmoins, toute tentative d’être
plus ouvert et franc, de soulever des questions et réflexions sur des
sujets dont nous ne parlons habituellement pas doit tenir compte de ce
contexte. Tout comme ton texte et le mien doivent être écrit
anonymement !</p>

<p>Il est difficile de trouver un espace de débat critique où nous ne
prenons pas le risque de créer des divisions et des impressions de
dissociation, ou de révéler des points faibles ou d’autres informations
qui pourraient être utiles à nos ennemis. Les critiques en général,
surtout les auto-critiques sur notre rapport à la “violence” sont
particulièrement dures à entendre. Elle s’inscrive dans un moment
historique où la parole qui prime est une condamnation forte de tous
moyens considérés comme “violents” de se confronter à l’État et à la
violence économique. On nous répète que c’est une impasse, que c’est
contradictoire, que cela va juste attirer la répression… A un moment où
l’État essaie de définir toute action qui pourrait fragiliser les
tenants du pouvoir, comme “terroriste”, et à créer une ligne de
fracture nette entre les militants pacifiques acceptables et les
“hooligans déchaînés”, les “sauvageons des banlieues” ou les
“anarcho-autonomes”, il y a un enjeu crucial à maintenir des options
ouvertes et une diversité d’outils de lutte, et à ne pas se retrouver
totalement désarmés. C’est alors logique que nous nous focalisions sur
la nécessité de défendre la possibilité d’utiliser des tactiques
violentes quant cela est nécessaire. Au vu des attaques auxquelles nous
devons faire face de toute part, il est assez logique que nous soyons
réticents à y ajouter de nouveaux doutes. Pourtant on peut aussi
espérer que la formulation, depuis notre position au sein du mouvement
de critiques « bienveillantes », puissent aussi rapprocher des
personnes souvent maintenue à distance par l’impression d’avoir à faire
face à un rempart idéologique.</p>

<p>Dans cette atmosphère tendue de paranoïa parfois justifiée, nous ne
devons pas accepter de nous enfermer dans des cases. Il n’y a que très
peu de moment de réunions ou d’assemblées dans nos cercles où nous
n’ayons pas des parti pris figés, où nous nous sentions libres de
discuter les réflexions et relations complexes que nous entretenons à
nos manières d’agir et la manière dont cela affecte les autres, où nous
puissions exprimer la passion et l’emportement aussi bien que les
doutes et les sentiments de futilité qui surgissent parfois. Nous
sommes prompts à condamner et à mettre des étiquettes dans notre quête
assoiffée d’identité et de force, et dans ce contexte beaucoup d’entre
nous sont très prudents quand à ce qu’ils expriment, parce que nous
croyons dans la confrontation, parce que nous voulons participer à la
guerre sociale et parce que nous ne voulons pas nous voir marginalisé
de ce “milieu”, où la mise en avant de doutes peut rapidement valoir
d’être perçu comme un « pacifiste” ou un “traître”.</p>

<p>Mais la surenchère radicale peut aussi s’avérer finalement assez
contre-productive si il s’agit de dépasser nos peurs à plus long terme.
Un pourcentage élevé de personnes disparaissent tranquillement de nos
mouvements partout en Europe : trop de gens sont vidés où lâchent,
quelquefois dès la première rencontre réelle avec la peur ou la
répression. C’est ce qui peut en fin de compte arriver quand nous
poussons notre rhétorique au-delà de ce que nous nous sommes donné les
moyens d’assumer dans nos actions, quand nous censurons nos peurs
plutôt que de les dépasser. Tant et si bien que l’on continue à évoquer
des plans, mais qu’il y a parfois mystérieusement de moins en moins de
personnes pour les mettre en oeuvre le moment venu.</p>

<p>Transformer la rhétorique sur la nécessité d’intensifier ”la guerre
civile mondiale” en action concrète signifie plus que de recréer
momentanément les images des parties glorieuses et excitantes de la
guerre, comme le fait n’importe quel film hollywoodien. La lucidité
stratégique exige que nous ne cristallisions pas seulement nos luttes à
travers leurs points d’orgue spectaculaires mais que nous nous
penchions aussi sur la complexité des étapes, des hésitations, des
préalables et des rencontres qui permettent l’existence de ces
résistances et leur donne sens. Sans nier la réalité de la guerre
sociale, nous ne pouvons oblitérer le fait qu’un certain accroissement
de sa violence ne porte pas seulement des germes d’intensité
émancipatrice. Elle pousse généralement aussi, dans chaque camp, à
s’enfermer dans des logiques de vengeance stérile, à pas mal d’ennui,
de stupidité, à une tendance à la cruauté arbitraire, ainsi qu’à des
confrontations souvent douloureuse à la peur et à la mort… Ces
“évidences” n’apparaissent pas plus émancipatrices qu’attirantes et
nous ne devrions ni les glorifier ni les passer sous silence.</p>

<p>On peut sans doute vite se paralyser dans l’auto-critique, à
attendre trop de cohérence dans nos gestes, plutôt que d’arriver aussi
à saisir là où ils peuvent faire levier. D’autant plus que nous sommes
nés dans un environnement individualiste avec un rapport déjà ténu à
l’engagement collectif et à la foi dans la possibilité d’un processus
révolutionnaire, dans la possibilités d’autres formes d’organisation
sociale. Mais si nous arrivons, depuis notre position et sa fragilité
post-moderne, à reconstruire néanmoins de l’implication têtue et de la
force sans retomber dans les pièges idéologiques et religieux des
mouvements révolutionnaires du passé, il se peut que nous trouvions,
sur cette lige de crête, les moyens de nous tenir dans la durée et
d’éviter certaines des désillusions, déprimes, désertions et
retournements de veste qu’ont connu massivement les générations qui
nous ont précédées. (…) »</p>

<p><strong># Annexe…</strong></p>

<p>Voici un communiqué de “quelques “casseurs” d’un groupe affinitaire
parmi les black blocs” publié le 8 avril 2009 sur Indymedia avec un
“florilège de citations bien pensantes”. Ils nous semblait intéressant
de le proposer en complément des textes précédents. Il est aussi
disponible en brochure sur <a href="http://infokiosques.net">infokiosques.net</a> à l’adresse suivante <a href="http://infokiosques.net/spip.php?article684" class="spip_out" rel="nofollow">http://infokiosques.net/spip.php?ar…</a></p>


<h3 class="spip">***</h3>

<p><strong>
OTAN en emportent
les black blocs…</strong></p>

<p>Notes sur la journée strasbourgeoise du 4 avril 2009</p>

<p>« L’insurrection désoriente les partis politiques. Leur doctrine, en
effet, a toujours affirmé l’inefficacité de toute épreuve de force et
leur existence même est une constante condamnation de toute
insurrection »</p>

<p>Frantz Fanon, Les damnés de la terre, 1961.</p>

<p><strong>1</strong></p>

<p>Ce qui s’est passé à Strasbourg était relativement prévisible, et
relativement inévitable. Pourtant, comme après chaque contre-sommet qui
donne lieu à de belles émeutes, de gauche à droite on hurle au
scandale, on accuse les uns et les autres d’avoir laissé faire les
émeutier-e-s, de les avoir incité-e-s, ou, encore plus fort, d’avoir
machiavéliquement organisé tout ça, dans l’ombre.</p>

<p>Tous les partis politiques, y compris à l’extrême-gauche, se font
les porte-voix de discours sécuritaires tous plus puants les uns que
les autres, déplorant explicitement ou implicitement l’impuissance
policière face aux actes émeutiers (voir plus bas, le florilège de
citations bien pensantes).</p>

<p>Au final, c’est toujours le même cinéma, avec dans le fond une idée
commune à l’UMP et au Parti Socialiste, d’Attac jusqu’au Front
National : il est impossible que des gens soient révoltés au point de
se lancer d’eux-mêmes dans des pratiques émeutières. Il faut forcément,
pour cela, que ces gens soient d’une manière ou d’une autre manipulés.</p>

<p><strong>2</strong></p>

<p>Comme cela a pu être fait en juillet 2001 suite aux grandes émeutes
de Gênes lors du sommet du G8, nous le répétons : nous n’avons besoin
de personne pour nous révolter et pour lutter. Ce samedi 4 avril 2009,
à Strasbourg, si nous avons cassé des vitrines ou mis le feu à des
bâtiments qui sont au service de l’État et du capitalisme (douane,
banques, station essence, office de tourisme, hôtel Ibis, etc.), si
nous avons saccagé des caméras de vidéo-surveillance et des panneaux
publicitaires, si nous nous sommes attaqué-e-s à la police, ce n’est
pas parce qu’une organisation occulte nous y a poussé, mais parce que
nous l’avons choisi délibérément.</p>

<p><strong>3</strong></p>

<p>Si nous avons eu autant de facilité à agir, c’est que nous étions
plusieurs centaines à le faire, peut-être même plusieurs milliers (les
fameux black blocs internationaux !).</p>

<p>C’est aussi parce que les flics ne sont pas totalement des robots.
Ce sont des humains, eux aussi peuvent ressentir la peur, par exemple.</p>

<p>Et dans une « démocratie », aussi sarkozyste soit-elle, ça ferait
mauvais genre de tuer des manifestant-e-s. Parce qu’une des
possibilités pour la police de faire taire les émeutes plus rapidement
aurait été de tirer à vue. Et autre chose que des gaz lacrymogènes, des
grenades assourdissantes et des tirs de flash-ball… Le 8 avril 2009,
Luc Chatel, porte-parole du gouvernement, a déclaré que « la priorité
du gouvernement était qu’il n’y ait pas de mort ». Parce que leur
« démocratie » ne se sent pas encore trop en danger.</p>

<p><strong>4</strong></p>

<p>Si nous n’avons pas pu agir ailleurs que dans les quartiers pauvres
du port autonome de Strasbourg, c’est parce que nous n’avons eu ni la
force ni la finesse de parvenir jusqu’au centre-ville. La police et
l’armée ont protégé la fameuse « zone rouge », autrement dit le
centre-ville et les quartiers bourgeois de Strasbourg. Mais personne
n’est dupe : nous aurions été bien plus redoutables dans ces quartiers
riches…</p>

<p>Par ailleurs, personne n’est dupe non plus sur le fait que seuls des
bâtiments institutionnels ou commerciaux ont été attaqués. Les biens de
la population locale n’ont pas été touchés.</p>

<p>Nous luttons contre le pouvoir, pas contre celles et ceux qui le subissent.</p>

<p><strong>5</strong></p>

<p>Le discours médiatico-politicien cherche à donner une image de
« casseurs nihilistes et sanguinaires » aux black blocs. Pourtant, les
pratiques des black blocs ne se limitent pas à des actes de destruction
(tout comme nos existences ne se limitent pas aux black blocs, qui ne
sont que des modes ponctuels et contextuels de manifestation). Les
black blocs pratiquent l’entraide et la complicité avec tou-te-s les
manifestant-e-s, dans l’affrontement, l’auto-défense et la fuite face à
l’ennemi policier.</p>

<p>Dans l’émeute, se créé une solidarité spontanée et anonyme, authentique au sens où chaque geste n’attend rien en retour.</p>

<p>Il y a là deux mondes qui s’opposent dans leurs démarches mêmes :
d’un côté, des manifestant-e-s déterminé-e-s qui sont là pour leurs
convictions, leurs désirs, leur rage de vivre, gratuitement et
pleinement. De l’autre côté, des flics assermentés qui sont là par
contrainte et obéissance, pour l’ordre et pour l’argent, ils sont payés
pour réprimer et doivent réfléchir le moins possible à ce qu’ils font
(le risque de démission serait trop important).</p>

<p><strong>6</strong></p>

<p>Ce qui se discutait lors du sommet de l’OTAN à Strasbourg nous
concerne tou-te-s. Les guerres post-colonialistes menées par les
puissances occidentales nous font gerber et la guerre aux « ennemis
intérieurs » nous révulse également. Contrôle des populations, gestion
des flux migratoires, renforcement des polices, perfectionnement du
renseignement et du fichage, c’est contre tout cela que nous nous
sommes soulevé-e-s.</p>

<p><strong>7</strong></p>

<p>L’enjeu principal, pour le pouvoir, est de continuer à imposer à
tou-te-s la démocratie capitaliste comme unique organisation sociale
possible. Et malgré les vies de merde qui sont les nôtres, malgré
l’aspect chancelant du capitalisme ces derniers temps, force est de
constater que les perspectives révolutionnaires semblent tellement
lointaines qu’on ne les imagine qu’avec difficulté. Pourtant, la
résignation profondément contre-révolutionnaire de notre époque n’est
pas une fatalité. C’est un bel enjeu que celui de réussir à s’émanciper
du capitalisme, par la lutte et l’entraide. Et de fait, cette
émancipation ne peut co-exister avec le pouvoir capitaliste et étatique.</p>

<p><strong>8</strong></p>

<p>Sachant qu’un autre monde ne peut être possible sans
l’anéantissement de la démocratie capitaliste mondialisée, sachant que
« toutes les classes dominantes ont toujours défendu leurs privilèges
jusqu’au bout avec l’énergie la plus acharnée » (Rosa Luxembourg, Que
veut Spartacus ?, 1918), semer le chaos et la destruction (pour
reprendre les termes spectaculaires des médias) au sein de ce monde
d’oppression et de contrôle social ne nous pose pas de problème. Cela
nous semble même insuffisant.</p>

<p>Toute possibilité de transformation révolutionnaire de ce monde ne
peut avoir lieu sans rapport de force tangible. C’est aux dominé-e-s de
poser de nouvelles bases de vie sociale, sans attendre l’assentiment
des dominant-e-s.</p>

<p><strong>9</strong></p>

<p>Ces dernières années ont été traversées par des soulèvements qui
inquiètent le pouvoir : émeutes des quartiers pauvres en novembre 2005,
mouvement anti-CPE au printemps 2006, émeutes anti-Sarko lors des
élections présidentielles de 2007, mouvements étudiants et lycéens de
2007-2008, et dernièrement la quasi insurrection grecque.</p>

<p>Pour ces mouvements comme pour les black blocs qui ont agi à
Strasbourg, les médias focalisent sur la jeunesse de ces mouvements,
comme pour enfermer la révolte dans un phénomène générationnel (avec
toutes les remarques condescendantes qui vont avec : « vous verrez,
dans dix ans, vous aurez oublié tout ça et vous serez résigné-e-s comme
tout le monde »).</p>

<p>Nous pensons qu’il y a là un danger à dépasser absolument. Une
insurrection ne peut être uniquement le fait de la jeunesse (une
révolution encore moins) mais, comme la lutte des classes, elle doit
être traversée et vécue par tou-te-s, au-delà des différences d’âge, de
couleur de peau, de genre, de corporation, etc. Avec une conscience
pleine des dominations et des exploitations.</p>

<p><strong>10</strong></p>

<p>Si nous sommes parti-e-s du constat que pour renverser le pouvoir,
il ne sert pas à grand chose de se contenter de manifester calmement,
aussi nombreux soit-on, même à plusieurs millions de personnes, nous
sommes également conscient-e-s que s’attaquer à la police et vandaliser
des propriétés de l’État et/ou du capital à quelques milliers ne suffit
pas non plus.</p>

<p>A quelques millions, ça aurait déjà plus de gueule. Toutes les
technologies de contrôle et de répression pourraient s’avérer
insuffisantes à maintenir la colère généralisée.</p>

<p>Mettons en place et répandons des pratiques communes de résistance,
des solidarités concrètes, des moyens de lutte hors la loi et des
perspectives révolutionnaires… Tout un programme pour en finir avec le
vieux monde et ses technologies d’un futur déjà bien moisi !</p>

<p>Quelque part en fRance, le 8 avril 2009, quelques « casseurs » d’un
groupe affinitaire actif parmi les black blocs du 4 avril 2009 à
Strasbourg</p>

<p><strong># Florilège de citations bien pensantes…</strong></p>

<p>« Ils viennent exclusivement pour casser et sont au stade ultime de
la bêtise (…). Ils n’ont pas d’autre idéologie que la violence. Ceux
sont des voyous qui auraient même pu devenir des criminels quand on
voit certaines images. »</p>

<p>Robert Herrmann, premier adjoint au maire (PS) de Strasbourg, cité
par Philippe Wendling dans un article de 20 Minutes, 3 avril 2009.</p>

<p>« Mais surtout, j’ai de la colère, parce que des gens qui seront
présentés comme des militants anti-OTAN alors qu’ils ne méritent que le
nom d’imbéciles, ont commis des actes très graves qui méritent une
condamnation claire et sans ambiguïté. Ces gens ne sont pas des nôtres,
ce ne sont pas des militants pacifistes et nous refusons que leurs
actes soient rapprochés d’une manière ou d’une autre de la
manifestation pour la paix à laquelle les communistes ont participé. »</p>

<p>Marie-George Buffet, communiqué du Parti Communiste Français, 4 avril 2009</p>

<p>« Le PCF du Bas-Rhin condamne avec la plus grande fermeté les
violences gratuites des groupes venus au nom de prétextes fallacieux
pour casser. Ces gens là n’ont rien à voir avec les mouvements
démocratiques qui organisaient le Contre-sommet de l’OTAN. Ces groupes
font le jeu des Sarkozy, Merkel, Berlusconi, Brown etc… qui dominent
l’Europe et qui l’ont conduite dans l’ornière de la crise économique et
sociale d’aujourd’hui… »</p>

<p>Communiqué de la fédération du Bas-Rhin du Parti Communiste Français, 4 avril 2009</p>

<p>« L’objectif du gouvernement était clair, faire passer pour des
casseurs tous ceux et celles qui souhaitaient manifester leur
opposition à l’OTAN. »</p>

<p>Communiqué du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), 4 avril 2009</p>

<p>« On voit bien aujourd’hui de quel côté se situent l’extrémisme et
la violence : à gauche ! Le Front National dénonce le saccage de
Strasbourg par des bandes de voyous venus principalement d’Allemagne. »</p>

<p>Bruno Gollnisch, vice-président exécutif du Front National, 4 avril 2009</p>

<p>« Avant même le début de la manifestation, et pendant de longs
moments, des casseurs venus de toute l’Europe se sont livré à des actes
criminels dont les premières victimes sont les habitants du quartier du
port du Rhin. Ces actes intolérables ont durement touché des
strasbourgeois parmi les plus modestes, et contribué à empêcher
l’expression pacifique de nombreux européens à la politique de l’OTAN.</p>

<p>Poste de douane, pharmacie, hôtel ont été incendiés, une Église
investie, le mobilier urbain complètement saccagé, et l’école du
quartier elle même n’a pu être préservée que par la mobilisation
spontanée des habitants du quartier.</p>

<p>Nous condamnons ces actes sans ambiguïté. Leurs auteurs méritent d’être poursuivis et jugés conformément à la Loi.</p>

<p>Ces événements tragiques ont pu se produire en dépit de l’important
déploiement policier et nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur
la responsabilité de l’État et la stratégie qui a été la sienne durant
ces heures éprouvantes. »</p>

<p>Communiqué du Groupe des élu-e-s Verts de Strasbourg, 5 avril 2009</p>

<p>« L’UNSA-POLICE – Le Syndicat Unique condamne les émeutes d’une rare
violence commises par des groupes de casseurs en marge de la
manifestation organisée à Strasbourg à l’occasion du sommet de l’OTAN
(…).</p>

<p>L’UNSA-POLICE – Le Syndicat Unique rappelle la difficulté d’exercer
le métier de policier dans un climat de plus en plus tendu et une
nouvelle fois réclame l’abandon des suppressions d’effectifs prévues
jusqu’en 2012.</p>

<p>L’UNSA-POLICE – Le Syndicat Unique apporte son soutien aux agents
blessés et félicite l’ensemble des policiers pour l’exemplarité de leur
conduite et du professionnalisme dont ils ont fait preuve. ».</p>

<p>Communiqué de l’UNSA-Police, 5 avril 2009</p>

<p>« Les élus du Mouvement populaire ne peuvent comprendre que des
responsables politiques participent à l’incitation à la violence à des
fins politiciennes. Inciter à la révolte ou à la rébellion, ne peut
constituer un programme politique crédible et n’est pas digne des
grands partis républicains.</p>

<p>L’UMP veut par ailleurs rendre hommage au professionnalisme des
forces de l’ordre qui font un travail remarquable et ne doivent pas
être la cible de quelques délinquants.</p>

<p>Il faut donc adopter la plus grande fermeté avec ces individus,
comme avec les casseurs qui cherchent coûte que coûte à troubler
l’ordre public. »</p>

<p>Eric Ciotti (UMP), Secrétaire national à la sécurité, 6 avril 2009</p>

<p>« Ce que je souhaite, c’est que les casseurs soient punis avec une extrême sévérité. »</p>

<p>Nicolas Sarkozy, président de la République, cité par Arnaud Leparmentier dans un article du Monde, 6 avril 2009.</p>

<p>« Tous les partis politiques condamnent cette violence, ces casseurs, ces voyous. »</p>

<p>Bernard Accoyer (UMP), président de l’Assemblée Nationale, cité par Arnaud Leparmentier dans un article du Monde, 6 avril 2009.</p>

<p>« Des groupes ultraminoritaires et ultraviolents qu’il faut sanctionner sans aucune faiblesse ».</p>

<p>Laurent Fabius (PS), cité par Arnaud Leparmentier dans un article du Monde, 6 avril 2009.</p>

<p>« Le pouvoir instrumentalise les violences qu’il a lui-même
orchestrées pour tenter d’occulter le caractère massif de la
protestation contre le sommet de l’OTAN qu’il n’a pu qu’entraver mais
pas empêcher. »</p>

<p>Communiqué du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), 6 avril 2009</p>

<p>« Des grenades lacrymogènes ont été tirées pendant les prises de
parole sans la moindre justification, contraignant la manifestation à
se former dans la confusion et l’urgence, permettant à des groupes
violents de s’infiltrer dans le cortège ;</p>

<p>Ces éléments violents ont pu passer les frontières alors que le dispositif Schengen avait été levé (…)</p>

<p>Les forces de l’ordre ont laissé ces mêmes éléments violents, au
demeurant peu nombreux, (dont le Ministère de l’Intérieur se targue
pourtant de connaître les identités) détruire l’ancien poste de douane
sans intervenir (…) ; comment interpréter les autres destructions que
les forces de l’ordre, pourtant en surnombre dans Strasbourg, n’ont pas
su ( ?) empêcher ? Incompétence ou volonté de laisser faire ?</p>

<p>Les forces de l’ordre, comme c’est leur mission lors d’une
manifestation autorisée, n’ont pas assuré la sécurité des manifestants,
mais l’ont, au contraire délibérément compromise en laissant les
éléments violents agir à leur guise »</p>

<p>Communiqué d’Attac France, Attac Strasbourg et Attac Vosges du Nord, 6 avril 2009</p>

<p>« le dispositif policier était au point, de l’aveu même
d’Alliot-Marie, et le maire de Strasbourg, qui adopte une posture de
dénonciation, était dans la confidence depuis le début, il s’agit donc
purement et simplement d’une combinaison cynique dont les habitants
d’un quartier défavorisé, plus faciles à punir et à surveiller que les
flux de capitaux, ont fait les frais ».</p>

<p>Communiqué de la Fédération Anarchiste, 6 avril 2009</p>

<p>« La lumière doit être faite sur les raisons qui expliquent que les
casseurs ont pu avoir le terrain libre pendant près d’une heure, leur
permettant d’incendier le bâtiment des douanes, un bâtiment abritant
une pharmacie et l’office de tourisme et l’hôtel Ibis. »</p>

<p>Roland Ries, maire (PS) de Strasbourg, cité dans un article de <a href="http://nouvelobs.com">nouvelobs.com</a>, 7 avril 2009</p>

<p>Ce texte et les réponses qui suivent sont écrits au “je”, comme si
ils reflétaient les pensées d’une personne et les réponses d’une série
d’autres. En fait ces personnes n’existent pas. Chacun de ces textes
contiennent des voix diverses qui ont fusionné. Le premier provient de
discussions qui se sont déroulées après les actions contre l’OTAN à
Strasbourg en 2009, et d’extraits d’écrits de différentes personnes à
différents moments. Les réponses sont compilées à partir de discussions
et de correspondances avec des personnes qui avaient lu le premier
texte.</p>

<p>Ces textes ont été publié sur Indymedia en Juillet 2009</p><br>