[Dissent-fr-info] Gênes 2001/2011: C'est vous les morts

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Sun Jul 24 17:31:36 UTC 2011


*Carlo G*

 

/"Personne ne pourra mettre en acte des initiatives spontanées, de
n'importe quel type, car les rendez-vous pour discuter et organiser la
désobéissance civile ont été publics. (...) Suivre les indications des
Tute Bianche. (...) Toute initiative doit être coordonnée avec les Tute
Bianche. Il ne devra y avoir aucun jet de projectiles d'aucune sorte qui
ne soit décidé par les Tute Bianche. (...) Pendant le cortège aucune
initiative personnelle ou de groupe ne doit être mise en acte. Merci de
signaler tout événement aux Tute Bianche"/

Désobéissance civile, instructions ; tract distribué à l'occasion du
cortège contre Tebio à Gênes, 25 mai 2000.

 

Il y a deux types de personnes : il y a celui qui peut uniquement
compter sur ses propres bras pour survivre, et, au contraire, celui qui
vit grâce à la sueur des autres ; il y a celui qui a un rôle qui l'élève
et ne parle jamais en son nom, et celui qui est un numéro dans un
engrenage qui le domine et qui n'a plus de nom ; il y a celui qui lutte
quotidiennement pour vivre et celui qui, dans ce jeu de rôles, est né
directeur. Il y a de l'exploitation et du privilège, de la main-d'oeuvre
et du corrompu. Vie pratique d'un coté, spectacle de l'autre. Il ne
suffit pas de déclarer la guerre à l'ordre social pour échapper à une
dynamique enracinée dans la civilisation. Pour sortir de la pantomime il
faut bien autre chose que des mots, car c'est un cancer qui s'infiltre
jusqu'à ceux qui nous entourent..

Il y a dix ans, une petite élite privilégiée est venue à Gênes dans
l'intention de décider du sort des autres. Huit singes de cour enfermés
dans leur palais, des vautours "de mouvement" dans les rues. Tous les
deux faisant des proclamations et des apparitions à la télévision, tous
deux séparés de leurs sujets par des gardes et des services d'ordre.
L'un et l'autre ont essayé d'affirmer leur hégémonie sur la volonté des
individus.


Les contradictions inhérentes au système capitaliste dans lequel nous
vivons, les conditions précaires de vie dictées par la globalisation, le
profit et l'autoritarisme - déjà contestés à Gênes en Juillet 2001 et
incarnés par les huit singes de cour - de ces dernières années n'ont
rien fait d'autre qu'aggraver l'existence d'une masse de gens plus ou
moins conscients de leur état ??d'esclavage. La transformation des
universités publiques en entreprises, les contrats précaires et les
emplois temporaires, les licenciements, les pactes sociaux et de
concertation pour redéfinir en faveur des patrons les termes du chantage
travailliste, les grandes oeuvres et les privatisations: quelques pièces
d'un grand plan pour enrichir les cadres au détriment de la population;
le spectre des crises financières et territoriales pour créer un état
??d'urgence permanent, une structure stable de guerre interne qui va
au-delà des frontières de la fiction démocratique, et l'aliénation
médiatique-structurelle des rapports sociaux, cependant, n'ont pas
réussi jusqu'à présent à apaiser définitivement les esprits, en
rencontrant au contraire des nouvelles poches de résistance. Ces
dernières années, de Rosarno à Rome, de l'INSSE à Fincantieri, en
passant par les mouvements étudiants et des actions directes contre les
géants de l'économie mondiale, un dangereux vent de revanche, également
inspiré par les turbulences sur les rives de la Méditerranée, a
réchauffé de nouveau la péninsule.

 

Dans le même temps semble s'être consommée la montée et le déclin des
grands symboles de la récupération des luttes politiques. Après avoir
bien profité de leur contrôle de sièges dans les conseils municipaux et
ensuite dans le parlement, après avoir joui d'un statut privilégié dans
le microcosme de la contestation, en termes d'espaces et de contrôle
social, les vautours semblent être en difficulté, peut-être ne sont-ils
plus en mesure de dompter une nouvelle génération d'abstentionnistes
inadaptés, une base de main-d'oeuvre qui piaffe à l'intérieur de ses cages.

Les choix de ces politiciens, à la radicalité bien mesurée, ne
seraient-ils pas dictés, comme toujours, par la nécessité de ne pas
tomber de cheval, plutôt que par une réelle urgence de vie ? Tout ce que
nous pouvons espérer maintenant, c'est que cette nouvelle génération de
poulains rebelles, devenus des étalons, n'écoutent que leur coeur et
leur tête, se déplaçant avec le vent, hostiles à chaque calcul,
médiation et injonction de qui se met sur un plan supérieur.

 

Les événements du Juillet génois ont montré principalement la fausseté
des singes et des vautours. D'une part la farce annoncée d'un sommet
aussi cher qu'inutile, de l'autre, la farce d'une bataille livrée
uniquement avec des boucliers en plastique et des parcours convenus. Et
au milieu? Du sang. Un fleuve de sang avec, sur un côté, ceux qui ont
réprimé et, de l'autre, ceux qui ont envoyé les gens à l'abattoir. Mais
il y a dix ans, traversant les Alpes pour descendre à Gênes, fourmillant
au milieu des maisons et des rues étroites, une horde de barbares est
également arrivée, concrètement déterminée à mettre fin à l'empire du
roi de l'argent. Il y a dix ans, au delà de tout calcul politique, une
dérive d'exclus a traversé les portes de Gênes, prêts à tout faire pour
démonter à la racine les bases du privilège et pour reconquérir un
espace et un temps dignes de notre présence au monde.

 

Depuis 2001, les singes ont trouvé la rédemption par le sacrifice des
brebis galeuses que leur ont désignées les vautours; ces derniers, qui
se sont fait subtiliser le contrôle de la place par le vent, ont obtenu
qu'un simple rôle de victimes. Mais pour les chiens errants, le feu et
les larmes du Juillet génois, qui peut être considéré, dans le sillage
de Seattle, comme une effective révolte occidentale de l'ère
post-industrielle, ont représenté une victoire de la vie. Une victoire
qui comme la vie peut être aussi brève qu'intense, mais qui pour cette
raison aussi est digne d'être vécue. Digne comme toute tension qui finit
par s'exprimer, digne comme les passions auxquelles on se laisse aller,
digne comme une digne mort, sur un champ de bataille.

 

Le sang coagulé de Carlo sur le bitume, en face de l'église de piazza
Alimonda, les mensonges et les infamies d'une classe intermédiaire de
vautours qui, au lieu de désirer la subversion réelle de l'existant
visent plutôt des places de pouvoir, c'est la démonstration d'une pensée
qu'ils ont appris des patrons de ce monde et qui les y fait y
ressembler. Ce n'était pas le sang d'un innocent. Juste avant, il était
bouillant de haine et de revanche contre ses bourreaux à venir, un
instant plus tard, il était déjà devenu le symbole de la victimisation
des opportunistes habituels. Il avait vingt-trois ans, il a déchiré le
seuil entre la parodie et la réalité avec un extincteur dans les mains,
il était vraiment en guerre. Carlo n'était pas là par hasard, Carlo
était un de ceux que les vautours appelaient déjà « infiltrés
provocateurs », Carlo était l'un des « habituels casseurs ».

 

Après dix ans de rubriques nécrologiques, les vautours ont de nouveau
décidé de lever la tête pour mettre le point final sur la réécriture de
l'histoire. Mais dix ans de mensonges ne sont pas assez pour oublier: si
même une seule personne a toujours dans l'esprit la rage de ceux qui se
sont battus, si même de nombreux jeunes qui n'étaient pas dans les rues
de Gênes en Juillet 2001 veulent la vérité et veulent vivre pendant un
moment, dans l'océan de possibilités humaines, ce dont ils ont seulement
entendu parler et n'ont vécu que dans leur imagination, eh bien, alors,
avant tout, que soit détruite toute forme de spectacularisation et
d'(auto-)célébration, que le feu soit mis aux esprits, au nom d'une vie
digne.

 

Mortes sont les victimes qui ne seront pas vengée; morts sont les
carabiniers assassins et leurs commanditaires car il emplissent leurs
vies de mort; morts sont les innocents et tous les indifférents parce
qu'ils n'ont pas pris part à la lutte humaine pour la liberté.
Carlo vit.

 

/«On le connaissait à peine, parfois on le rencontrait au bar Asinelli.
C'était un punk-à-chien, un de ceux qui ne travaillent pas mais qui
portent de nombreuses boucles d'oreilles, qui veulent entrer sans payer,
un de ceux que les gens respectables appellent ''parasite''. Le monde le
dégoûtait et n'avait rien à voir avec celui des centres sociaux, il
disait qu'on était trop disciplinés. »/
Matteo Jade, leader des Tute Bianche génois, directe radio, 20 juillet 2001

 

*On nait flic, on devient rebelle*


« /C'est moi qui ai frappé Cristiano avec le casque. Je voulais juste
que le cortège ne souffre pas de ralentissements, pour mener la
protestation, la protestation des précaires, des jeunes qui n'ont pas de
contrat stable, directement en face du Sénat »/
Manuel De Santis, un étudiant de science politique à l'Université La
Sapienza de Rome et appartenant au service d'ordre du réseau
Uniriot-Esc, 20 décembre 2010.

 

Le 14 décembre 2010 à Rome une brèche a été ouverte dans les esprits
rebelles d'une nouvelle génération d'inadaptés. Les fissures de liberté
refermées par la répression et la diffamation lors du G8 à Gênes, les
possibilités qui couvaient dans un nouvel imaginaire de résistance
métropolitaine, ont été réouvertes par une nouvelle vague de rage que
les sermons des politiciens chevronnés et la dialectique asphyxiante des
écrivailleurs et des diplomates de palais a fini par submerger une fois
encore. Une nouvelle dérive collective, une explosion vitale de plus de
la part d'une jeunesse sans avenir, mûrie auprès des mouvements lycéens
et étudiants, bientôt unis au malaise chaque jour plus répandu dans la
société.

 

Dans la gueule de ceux qui ont pris le temps de disserter sur les
limitations des conflits existants, comme dix ans avant sur l'inutilité
de courir après les rendez-vous fixés par le pouvoir, dans la gueule de
ceux qui encore une fois ont pensé qu'ils pouvaient canaliser dans les
rangs étroits de la bouffonnerie médiatico-contestataire l'insoutenable
et humiliant présent, ont surgi l'imagination et l'exubérance des
nouveaux venus. Les paris, comme les enjeux, étaient certes très grands
: réussir à généraliser une opposition au départ dirigée contre le seul
gouvernement, et montrer clairement que si on ne change pas tout rien ne
change. Ça n'était pas si simple. Mais pour qui était à Rome,
apparemment, ça a été un jeu d'enfant.

 

Un jeu d'enfant comme détruire des choses au hasard, une blague
pyromane, le jet d'objets et se moquer de l'autorité, retrouvant dans ce
qui est inné - dans ce qui naïvement exalte les vies ennuyées, depuis
l'enfance, dans le gris de la métropole - une pratique émancipatrice,
bien que temporaire, une pratique d'attaque contre la police et
l'urbanisme, en tant que symboles éminents de tous les interdits et les
contraintes pré-établis. L'assaut au présent, la subversion de la
normalité, comme ces étudiants qui, à Londres, le 6 novembre de la même
année s'en sont pris au siège du Parti conservateur et à la réforme de
l'enseignement supérieur. La brèche ouverte à Rome en 2010, la tendance
dans toute l'Italie à cesser de demander la permission et à ne pas
tendre l'autre joue lorsque on a une matraque en face, représentent la
victoire de la vie, indomptable contre les calculs, les impositions et
les opportunismes de la politique de place et de palais.

 

Mais l'autre côté de la médaille , c'est, encore une fois, un mec qui
reste sur l'asphalte le visage ensanglanté. Cette fois-ci il s'agit d'un
lycéen de quinze ans, et, cette fois-là encore stoppé net par fourgon de
police dans sa spontanéité d'esprit libre, au cours d'un mouvement
d'euphorie collective. Mais cette fois, ce ne sont pas les flics qui ont
cassé la tête du manifestant, mais le service d'ordre de l'énième
tentative de récupération, cette fois dans sa version universitaire, des
vautours du mouvement. C'étaient les grands promoteurs du «conflit mimé
», ceux qui ont manifestement perçu comme une menace, depuis les
assemblées à l'Université La Sapienza des jours précédents, ce qui pour
la plupart des personnes présentes dans la rue allait devenir le succès
de la manifestation : une masse de jeunes enragés qui sans accords avec
la police transforment en arrière-garde les vieilles directions ; les
momies étaient seules avec leurs boucliers à établir pour tous, sans
leur troupeau, les objectifs et les modalités de la journée.

 

Mais comme l'enseigne une bonne règle de l'opportunisme politique, quand
on ne peut pas vaincre l'adversaire, il faut s'allier avec lui. Donc,
pour tous les gens bien-pensants, jeunes et vieilles cariatides de
mouvement, journalistes et faiseurs d'opinion gauchistes, les acteurs ne
sont enfin plus un petit groupe de vandales irresponsables, mais
l'expression légitime de la frustration des jeunes privés de leur
avenir. Soudain, la responsabilité des troubles revient à la
militarisation de la zone rouge et, pour une fois les défauts sont tous
ceux du gouvernement et des flics. Peut-être que cette fois même des
pacifistes délateurs, comme à Gênes en 2001, ne réclameraient pas que
l'on charge sur les violents plutôt que sur eux..

 

En d'autres termes, on nait flic, rebelle on le devient; surtout quand
la subversion de la dynamique sociale devient compréhensible, quand une
fissure s'ouvre dans la vie quotidienne, et que le passage, d'où on peut
émerger sans contrôle, commence à s'élargir. De ce passage, le 14
décembre, à Rome, filles et garçons ont fait irruption dans les rues
sans se sentir plus seuls, en assaillant le présent pour n'avoir plus
rien à mendier demain. Le passage est ouvert; on ne réussira pas à le
fermer facilement. Dix ans après ce qui a été l'émeute et le massacre du
Juillet génois, la crainte est de nouveau en train de changer de camp,
et les flics ne dorment peut-être plus d'un sommeil tranquilles. Les
plaintes, les associations de malfaiteurs, les perquisitions et les
arrestations en sont la preuve. Remplissons alors nos sacs à dos
d'audace et de rage, choisissons bien nos complices et allons-y ! Pas un
pas en arrière, ce n'est que le début de la reconquête de nous-mêmes.

 

*Nous, notre barricade, on l'a choisie depuis longtemps.
Nous ne sommes pas avec les flics.*


/
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/Traduit de l'italien de Indymedia Liguria/
(http://liguria.indymedia.org/node/7455)

/Une manifestation internationale est organisée pour le 23 juillet 2010
à Gênes. Pour voir le programme et pour trouver plus d'infos sur les dix
ans du G8 :/ http://liguria.indymedia.org/node/7459

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