[Dissent-fr-info] 10 textes d'analyses contre l'OTAN (WRI)

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Mer 25 Mar 01:56:16 GMT 2009


http://www.imi-online.de/2009.php3?id=1938


*Confronter l'alliance guerrière à des manifestations massives *


Malgré toutes les prévisions quant à sa dissolution imminente, l'Otan a
développé ces dernières années une effrayante dynamique belliqueuse.
Stratégie de la première frappe nucléaire, escalade des opérations
contre-insurrectionnelles en Afghanistan, intensification de la coopération
avec l'Union européenne en passant par une transformation institutionnelle:
il y a plus de raisons que nécessaires pour s'opposer, par des
manifestations massives, au 60e anniversaire de l'alliance guerrière qui
sera célébré les 3 et 4 avril 2009 à Kehl et à Strasbourg,

*Stratégie de la première frappe nucléaire et bouclier de défense
anti-missile*

Dans un document d'opinion rédigé par cinq éminents stratèges de l'Otan et
publié début 2008 («Vers une stratégie d'ensemble pour un monde incertain»),
la stratégie de la première frappe nucléaire est ouvertement promue.
«L'utilisation préventive de l'arme nucléaire doit demeurer un moyen ultime
pour empêcher l'utilisation d'armes de destruction massive».

De telles frappes préventives devraient aussi et particulièrement être
possibles contre des États qui ne sont pas eux-mêmes en possession de l'arme
nucléaire, tel l'Iran.

De par la menace nucléaire, le bouclier ad hoc se doit d'être développé. Il
fut décidé lors du sommet de Bucarest, en avril 2007, d'intensifier la
préparation d'un bouclier de défense antimissiles étendu. Ce bouclier serait
créé en plus des installations américaines prévues en Pologne et en
République Tchèque. La décision s'appuie sur une étude secrète de
faisabilité que l'Otan a contractée auprès de plusieurs entreprises
d'armement. D'après les estimations de ces entreprises, son coût total
serait de 20 milliards d'euros. L'Institut allemand pour les affaires
internationales et les questions de sécurité (SWP), qui conseille le
gouvernement allemand, estime que ce projet déstabilisant coûtera le double.

*L'Afghanistan: champ expérimental pour les opérations civilo-militaires de
contre insurrection*

L'opération militaire de l'Otan en Afghanistan a mis en mouvement une
cruelle escalade. Depuis que l'USAF et troupes de l'Otan agissent de plus en
plus offensivement, les échauffourées avec usage d'armes et les morts parmi
la population afghane croissent de manière tragique.

Sous occupation militaire, ont été créées les structures d'une économie
libérale de marché qui a totalement échoué quant à réduire la pauvreté
manifeste en Afghanistan. Selon le Programme des Nations unies pour le
développement (PNUD), la situation humanitaire a empiré depuis que les
opérations de l'Otan ont débutées: 61% de la population souffre de
malnutrition chronique, 65% n'a pas l'accès à l'eau potable. Quant au droit
des femmes, les améliorations sont minimes d'après le PNUD.

L'occupation de l'Afghanistan par l'Otan est le problème et non la solution
pour ce pays opprimé. De ce fait, un retrait immédiat d'Afghanistan est plus
que nécessaire. Au lieu de cela, l'Otan veut y envoyer plus de troupes.
Aussi le gouvernement allemand a décidé de «poser des mesures plus
vigoureuses au cœur » comme l'a annoncé le ministre de la Défense en mars
2008.

À travers la coopération civilo-militaire telle qu'elle est pratiquée en
Afghanistan, même l'aide au développement est intégrée à l'effort de guerre
de l'Otan. Caritas International a d'ailleurs critiqué l'Otan en juin 2008,
indiquant que «la distribution des fonds de l'aide ne se fait pas en
fonction des nécessités réelles mais est orientée selon les besoin de la
contre insurrection». Au sommet de l'Otan à Bucarest il fut décidé - mais
maintenu au secret - de mettre en place un «plan d'action», qui fera
généralement de la contre insurrection civilo-militaire le centre d'intérêt
des missions actuelles et futures de l'Otan.

*Frères d'âme: l'intensification de la coopération entre l'Otan et l'Union
européenne*

Peu après sa prise de fonction, le président français Nicolas Sarkozy
fraîchement élu a entamé auprès de l'Otan une réelle offensive de charme. Il
a annoncé la complète réintégration de la France au sein des institutions
militaires de l'Otan dont elle fut absente pendant 40 ans. Les deux
organisations coopèrent déjà étroitement, dans le cadre de l'accord «Berlin
plus» par exemple, qui permet à l'Union européenne d'accéder à des
ressources de l'Otan pour ses opérations propres. Mais la France qui préside
le Conseil de l'Union européenne jusqu'à la fin 2008, va maintenant
intensifier la coopération à tous les niveaux. Pour cela, l'Institut
allemand pour les affaires internationales et les questions de sécurité
(SWP) propose un renforcement des liens entre les deux organisations par la
création d'une «capacité de préparation et de conduite d'opérations
civilo-militaires au sein de l'Otan» qui serait à même de «coordonner les
capacités civiles et militaires de l'Union européenne et les capacités
militaires de l'Otan en un seul lieu ... [S]ous l'égide d'un «Berlin plus
inversé», l'Otan disposerait de la possibilité de recourir aux capacités
civiles de l'Union européenne».

*Renouvellement des institutions*

À l'occasion de son 60e anniversaire en 2009, l'Otan veut signer ou au moins
mettre en mouvement un nouveau concept stratégique. Le document d'opinion
«Vers une stratégie d'ensemble pour un monde incertain», cité auparavant,
propose un large spectre de mesures, dont la fin de la nécessité du mandat
de l'ONU pour les futures guerres de l'Otan. Une autre requête qui ressort
est que l'Alliance devrait dans le futur «abandonner le principe du
consensus à tous les niveaux inférieurs au Conseil de l'Otan, et introduire
la règle du vote à la majorité simple pour le comité et les groupes de
travail». En outre, les auteurs proposent que les pays qui ne souhaitent pas
être engagés dans une mission n'aient, dans le futur, aucun droit à
participer aux décisions quant à cette mission, seuls ceux prenant part au
combat le pourraient alors: «La contribution possible pour chaque nation en
moyens comme en forces a toujours été laissée à la discrétion de chaque
nation. Mais les nations ne contribuant pas en combattant ne devraient pas
non plus avoir de mots à dire quant à la conduite des opérations militaires.
Nous proposons de ce fait ... que seules les nations participant à une
mission - par exemple: engageant des forces armées dans une opération
militaire - puissent décider du processus de l'opération.» La part de ces
requêtes et d'autres de ce type, dans le Nouveau concept stratégique est
actuellement inconnue, mais celles-ci joueront un rôle important dans les
débats à venir.

*60e anniversaire de l'Otan: appel à manifester à Strasbourg et Kehl*

L'Otan va - vraisemblablement - célébrer son 60e anniversaire les 3 et 4
avril 2009 à Kehl et à Strasbourg. C'est aussi une invitation pour nous,
mouvements pacifistes et antiguerre. L'Otan représente la mise en œuvre par
l'armée des intérêts occidentaux, et est de plus en plus une alliance pour
guerroyer. Nous devrions commencer une campagne pour délégitimer l'Otan,
cette organisation superflue qui devrait être dissoute. Un point d'orgue de
cette campagne pourrait être les actions internationales s'opposant au
sommet de l'Otan, à Kehl et à Strasbourg, lequel marquera son 60e
anniversaire.

Tobias Pflüger


*Géopolitique impériale: l’Ukraine, la Géorgie et la nouvelle Guerre froide
entre l’OTAN et la Russie *



Celui qui désire comprendre la politique actuelle et future des États-Unis,
de l’UE et de l’OTAN ne peut faire l’impasse sur le livre de Zgbiniew
Brzezinski intitulé « Le grand échiquier ». Dans cet ouvrage, l’ancien
conseiller en charge de la Sécurité nationale américaine livrait, voici plus
de dix ans déjà, une description limpide des impératifs de la géopolitique
impériale. Il affirmait que les États-Unis devaient maintenir à tout prix
leur hégémonie sur la planète, ce qui nécessitait l'expansion en Eurasie de
l'OTAN, "tête de pont" américaine, et la prise de contrôle des régions
revêtant une importance géostratégique, afin d’éviter tout rétablissement de
la puissance russe.

Brzezinski pensait ce faisant plus particulièrement à deux pays et régions :
d’une part, « l’Ukraine, une pièce nouvelle et essentielle sur l’échiquier
eurasiatique, [qui] constitue une plaque tournante géopolitique, dès lors
que son existence même en tant qu’État indépendant contribue à la
transformation de la Russie. Privée de l’Ukraine, la Russie cesse d’être un
empire eurasien. […] Or, si la Russie venait à rétablir sa domination sur
l’Ukraine, forte de 52 millions d’habitants et de richesses naturelles
considérables, et à recouvrer l’accès à la mer Noire, elle aurait
automatiquement les moyens de devenir un empire puissant, qui dominerait
l’Europe et l’Asie. »[1] D’autre part, ajoute Brzezinski, il est tout à fait
indispensable de contrôler la région du Sud-Caucase (Arménie, Azerbaïdjan et
Géorgie), sur le flanc sud de la Russie. Avec une clarté impressionnante, le
vieux maître de la géopolitique américaine décrit ensuite l’objectif et la
finalité de la politique que doit déployer l’OTAN : « Les États-Unis et les
pays de l’OTAN s’attellent pour l’heure – en veillant certes autant que
possible à ne pas heurter la fierté de la Russie, mais d’une manière
néanmoins résolue et constante – à saper les fondements géopolitiques qui
pourraient permettre à la Russie, ne serait-ce qu’en théorie, de nourrir
l’espoir de se poser en numéro deux sur la scène politique mondiale. »[2]

Dans les années qui ont suivi, ce scénario a été méthodiquement traduit dans
la pratique et l’OTAN s’est peu à peu étendu, au gré de ses élargissements,
jusqu’au voisinage immédiat de Moscou. Par ailleurs, le soutien résolu des
Occidentaux aux révolutions « de couleur » en Géorgie (2003) et en Ukraine
(2004) a permis de remplacer des gouvernements et présidents jusqu’alors
pro-russes ou à tout le moins neutres par de nouveaux dirigeants,
pro-occidentaux.[3] Aux yeux de Moscou, l’OTAN a franchi la « ligne rouge »
en s’engageant dans une telle politique. Comme l’a montré la guerre entre la
Russie et la Géorgie à l’été 2008, la Russie n’est plus disposée à assister
sans réagir à de nouvelles tentatives d’expansion. Pourtant, l’alliance
militaire occidentale poursuit imperturbablement sur la voie de l’escalade
et évoque l’adhésion à l’OTAN de l’Ukraine et de la Géorgie, afin de
pérenniser les « succès » obtenus. Le nouveau président américain, Barak
Obama, plaide lui aussi pour l’adhésion de ces deux pays.[4] Et le fait que
Michael McFaul, partisan de la ligne dure vis-à-vis de Moscou, soit appelé à
assurer la responsabilité de toutes les questions liées à la Russie au sein
du Conseil national de sécurité, ne permet guère d’espérer que, sous le
nouveau président, Washington prenne quelque distance avec sa politique
agressive et anti-russe. Cette attitude revient toutefois à accepter sans
autre forme de procès que la nouvelle Guerre froide entre l’OTAN et la
Russie, que tant d’observateurs se plaisent à annoncer, ne se transforme en
self-fullfilling prophecy.


*L’Ukraine : « en chevauchant la monture d’un autre »*

Manifestement, les recettes géopolitiques venimeuses concoctées par
Brzezinski dictent aujourd’hui encore l’attitude adoptée à l’égard de
l’Ukraine. Dans ce dossier, les questions d’adhésion à l’OTAN et
d’approvisionnement énergétique de l’Europe sont intimement liées.
S’exprimant dans le quotidien Handelsblatt, Peter Zeihan, membre de la
cellule de réflexion Strategic Forecast (souvent qualifiée d’ombre de la
CIA), résumait comme suit l’imbroglio géopolitique : « d’une part, la
‘révolution orange’ de 2004 a porté au pouvoir un gouvernement ukrainien
opposé aux objectifs de la Russie. Le président Viktor Iouchtchenko voudrait
que son pays intègre l’Union européenne et l’OTAN, ce que la Russie
assimilerait à un ‘baiser de la mort’. L’Ukraine héberge en effet la majeure
partie des infrastructures qui relient la Russie à l’Europe – des oléoducs
aux voies ferrées en passant par les lignes à haute tension. L’industrie et
l’agriculture des deux pays témoignent d’une profonde interpénétration ; la
partie orientale de l’Ukraine compte la population russe la plus nombreuse
au monde en dehors de la Russie ; la flotte russe de la mer Noire est ancrée
à Sébastopol, car il n’existe aucune alternative raisonnable. L’Ukraine
s’enfonce si profondément dans la partie méridionale de la Russie qu’une
puissance étrangère présente sur son territoire pourrait même menacer
Moscou. Par ailleurs, le pays est à ce point étendu vers l’est qu’un
gouvernement hostile pourrait aller jusqu’à mettre en péril les liaisons
avec le Caucase. Bref, si l’Ukraine devait échapper à l’influence de la
Russie, celle-ci ne pourrait plus opter que pour une stratégie défensive.
Par contre, si la Russie reprenait le contrôle sur Kiev, elle pourrait
s’élever au rang de puissance régionale, voire mondiale. »[5] Soucieux de ne
pas en arriver là, les responsables américains ont déployé une activité
frénétique, peu de temps encore avant la fin du mandat du président George
W. Bush, pour rapprocher l’Ukraine de l’adhésion à l’OTAN. Condoleezza Rice,
encore à l’époque ministre américaine des affaires étrangères, avait
peut-être à l’esprit les fameuses paroles de Luther – « Il est aisé de se
ruer dans les flammes en chevauchant la monture d’un autre » - lorsque elle
et le ministre ukrainien des affaires étrangères, Volodymyr Phryzko ont
signé, le 19 décembre 2008, l’accord de partenariat pour la sécurité entre
leurs deux pays. À cette occasion, Mme Rice a fait la déclaration suivante :
« Les États-Unis soutiennent l’intégration de l’Ukraine dans les structures
euro-atlantiques et je veux une fois encore souligner, à cet égard, que la
déclaration de Bucarest, qui prévoit l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN une
fois que ce pays satisfera aux normes concernées, demeure sans la moindre
réserve au cœur de notre politique. » Son homologue ukrainien a pour sa part
insisté sur le renforcement de la présence américaine en Ukraine, notamment
concrétisée par la présence d’une mission diplomatique sur la presqu’île de
Crimée, en mer Noire.[6]

La signature de ce partenariat implique non seulement le rapprochement de
l’Ukraine avec l’OTAN, mais aussi une collaboration étroite sur les
questions énergétiques, qui passe par le biais d’une coopération intensive
dans le domaine de la sécurité. L’accord prévoit notamment que « les deux
parties, conscientes de l’importance que revêt le bon fonctionnement du
secteur de l’énergie, envisagent de collaborer à la réfection et à la
modernisation des infrastructures ukrainiennes d’acheminement de gaz. »[7]
En effet, cet accord de partenariat a également été conclu sur fond de «
guerre du gaz » entre l’Ukraine et la Russie. Le 1er janvier 2009, l’Ukraine
n’ayant pas réglé ses dettes et aucun nouveau contrat de livraison de gaz
n’ayant été signé, la partie russe a décidé de fermer les robinets. Quelques
jours plus tard, le litige produisait déjà ses effets sur
l’approvisionnement énergétique de l’Europe toute entière : le 6 janvier, la
Turquie, la Bulgarie, la Grèce et la Macédoine signalaient l’interruption
des livraisons via les gazoducs ukrainiens. En Autriche, l’approvisionnement
accusait une chute de 90 %. Certains éléments semblent indiquer que
l’attitude de l’Ukraine ne peut s’expliquer que par le soutien des
États-Unis. C’est aussi ce que pensait la partie russe : « le groupe gazier
russe Gazprom tient les États-Unis pour responsables du conflit gazier avec
l’Ukraine. Ce mardi, l’entreprise a déclaré que le cap suivi par l’Ukraine
était défini par l’administration américaine. Malgré la présence
d’observateurs de l’UE, l’Ukraine continuerait de détourner du gaz qui
transite par son territoire, ce qui expliquerait que la Russie ne peut
approvisionner les États de l’UE. Alexander Medvedev, vice-président du
géant énergétique russe, a accusé les États-Unis d’attiser le conflit. »[8]

Dans le cas géorgien comme dans celui de l’Ukraine, le conflit gazier et la
volonté d’adhésion à l’OTAN sont intimement liés. Dans une analyse produite
en avril 2008, la fondation Bertelsmann constatait que ces deux pays étaient
déjà fortement intégrés dans les processus de travail de l’OTAN. « Les deux
pays font partie du programme de partenariat pour la paix, destiné à
favoriser la coopération bilatérale entre États membres de l’OTAN et pays
tiers, depuis la création de ce programme par l’Alliance nord-atlantique, en
1994. La coopération a été étendue par la suite. […] Les deux pays jugent
que leurs accords de coopération bilatérale avec l’OTAN permettent d’opérer
un rapprochement avec l’Alliance par la voie de réformes profondes à
l’intérieur du pays. Si les réformes en question portent au premier chef sur
la consolidation des structures démocratiques à l’échelon national, elles
ont aussi pour axe prioritaire la lutte contre le terrorisme international
et le soutien aux opérations et missions de l’Alliance nord-atlantique. Ce
dernier point était d’ailleurs un argument avancé par le président américain
George W. Bush pour insister sur la nécessaire intégration de l’Ukraine et
de la Géorgie dans le ‘plan d’action pour l’adhésion’. L’état d’avancement
de l’intégration dans les structures de défense de l’OTAN relativise quelque
peu la question – soulevée lors du sommet de Bucarest – de l’attitude
qu’allaient adopter l’Ukraine et la Géorgie après s’être vu provisoirement
refuser l’accès au plan d’action pour l’adhésion. La voie empruntée les
conduira inévitablement à intégrer l’OTAN. »[9]

L’Allemagne joue un double rôle dans ce dossier. Bien qu’ayant refusé,
d’accord avec la France, de lancer pour l’Ukraine la procédure d’adhésion
accélérée que souhaitaient les États-Unis, elle n’en participe pas moins à
attiser une question déjà brûlante et ne s’est pas opposée au principe d’une
adhésion de ce pays à l’OTAN. Le ministère des affaires étrangères lui-même
décrit parfaitement ce double rôle : « Lors du sommet de l’OTAN organisé à
Bucarest en avril 2008, les membres ont convenu du principe d’ouvrir à
l’Ukraine la perspective d’adhésion à l’Organisation (‘Nous avons convenu
aujourd’hui que ces pays [à savoir, l’Ukraine et la Géorgie] deviendraient
membres de l’OTAN’). L’Ukraine ne s’est toutefois pas vu proposer un plan
d’action pour l’adhésion (MAP), mais plutôt l’entame d’un processus d’examen
détaillé. »[10] Pour Moscou, cette perspective d’adhésion concédée pour la
première fois et, peu de temps après, l’agression géorgienne en Abkhazie et
en Ossétie du Sud ont été les deux gouttes qui ont fait déborder le vase.


*La Géorgie : une pièce maîtresse géopolitique*

Il suffit de se pencher sur une carte géographique pour prendre toute la
mesure de l’importance du Sud-Caucase. La Géorgie est la seule route
possible pour acheminer vers l’Europe le gaz et le pétrole dont regorge le
sous-sol de l’Asie centrale et d’assurer par voie terrestre le transport de
marchandises et de biens depuis la Chine et le Kazakhstan. Le projet
d’oléoduc ‘Nabucco’ a pour objectif de diminuer la ‘dépendance’ de l’Europe
vis-à-vis des exportations de gaz russe, qui représentent actuellement 40 %
de l’approvisionnement et tendent à augmenter fortement. D’après le service
de presse européen euractiv, les États-Unis s’efforcent « depuis longtemps
déjà de mettre en place dans la région de la Caspienne des oléoducs et des
gazoducs qui contournent la Russie et passent principalement par le
territoire géorgien. »[11]Ce projet revêt la plus grande priorité pour
l’Union européenne également, comme le confirment les déclarations faites en
2006 déjà par Martin Bartenstein, ministre autrichien de l’économie, lors de
la présidence autrichienne du Conseil de l’UE : « [le] pipeline Nabucco est
le principal projet énergétique européen. »[12]

Dès lors, la Géorgie constitue, tant pour l’UE que pour les États membres de
l’OTAN, la zone géographique essentielle pour priver la Russie de ses voies
d’exportation. En lançant les trois projets de gazoduc baptisés Nord-Stream
(gazoduc de la mer Baltique), South-Stream (gazoduc russo-italien qui
traverserait la mer Noire en passant par Varna, en Bulgarie) et Blue Stream
(tracé reliant la Russie à la Turquie à travers la mer Noire), la Russie
tente de contrecarrer les visées occidentales et de s’assurer des voies
d’exportation d’énergie directes vers l’Europe occidentale et méridionale,
hors du contrôle d’anciens pays du Bloc de l’Est, extrêmement bien disposés
à l’égard des États-Unis. Cela explique pourquoi les États-Unis, soucieux de
contenir l’influence politique de la Russie en Europe et d’éviter que ce
pays ne se hisse au rang de puissance industrielle, ont misé sur la carte
géorgienne.


*Le soutien militaire occidental*

L’Allemagne a apporté – et apporte encore – une contribution non négligeable
à l’armement de la Géorgie. La Bundeswehr assure via son programme LGAI
(stage de formation du service d’État-major ouvert à une participation
internationale) la formation d’officiers, géorgiens pour la plupart, et on a
assisté, ces dernières années, à un véritable défilé de délégations
militaires géorgiennes de haut rang auprès de la Bundeswehr. S’y ajoutent la
livraison par la firme Heckler und Koch de fusils d’assaut G 36 à la
Géorgie. Et pourtant, ce sont les États-Unis qui se taillent la part du
lion. L’armée américaine a assuré la formation de soldats géorgiens, « afin
d’amener les forces armées de la Géorgie, fidèle allié de Washington et
poste avancé dans le Caucase, au niveau des troupes de l’OTAN. »[13] D’après
les informations de l’hebdomadaire Der Spiegel, les États-Unis ont accordé à
la Géorgie, pour la seule année 2006, une aide de 80 millions de dollars,
dont 13 millions consacrés au paiement de « fournitures et de services
militaires » et à la formation des troupes. Par ailleurs, les États-Unis
sont venus en aide à la Géorgie en assurant une modernisation régulière de
sa flotte et en fournissant gratuitement au pays des hélicoptères.[14] Pour
traduire l’ampleur considérable de l’aide militaire américaine « apportée
par le Pentagone afin de mettre à niveau les forces armées géorgiennes, de
la base jusqu’au sommet », le New York Times formulait les choses comme suit
: « au niveau du commandement militaire, les États-Unis ont contribué à
redéfinir les buts poursuivis par l’armée géorgienne et à assurer la
formation des officiers et de l’État-major. Au niveau des unités de combat,
les Marines et autres unités de l’armée de terre américaine ont initié les
soldats géorgiens aux principales techniques de combat. »[15]

Au total, l’armée géorgienne disposait ce faisant de cinq brigades
d’infanterie de 2 000 hommes chacune, auxquelles s’ajoutent diverses unités
de réserve considérablement moins bien formées. Officiellement, le
gouvernement géorgien affirme disposer de 37 000 soldats d’active et de 100
000 réservistes. Depuis l’arrivée au pouvoir de Michail Saakashvili, les
dépenses militaires du pays ont grimpé en flèche : « Alors qu’en 2003, elles
se montaient encore à 52 millions de laris (soit 24 millions de dollars
américains), elles atteignaient le triple en 2006, soit 139 millions de
laris (ou 78 millions de dollars américains). Les dépenses réelles sont
cependant bien plus élevées. C’est ainsi que tout appelé potentiel peut se
soustraire au service militaire obligatoire en versant une somme d’argent –
dont les quatre cinquièmes aboutissent directement dans les caisses du
ministère. »[16]

La Géorgie entretient également une coopération intense avec l’OTAN. En
juillet 2008 encore, des manœuvres communes, organisées dans le cadre du
programme de partenariat pour la paix, ont réuni quelque 1 630 militaires,
dont un millier d’Américains et 600 Géorgiens.[17] Par ailleurs, l’armée
géorgienne a pris part ou prend encore une part appréciable dans les
interventions armées menées en violation du droit international en Iraq, en
Afghanistan et au Kosovo. Dans le premier cas, le contingent géorgien était
même en 2008, avec ses 2 000 hommes, le troisième par la taille au sein de
la « coalition des volontaires ». En août 2008 toutefois, après que l’armée
géorgienne eut été balayée en Ossétie du Sud et tandis que les combats
faisaient encore rage, l’aviation militaire américaine a ramené les unités
militaires géorgiennes stationnées en Iraq pour qu’elles puissent prendre
part aux combats sur le front intérieur. Compte tenu de cette campagne de
soutien massif déployée par les États-Unis et leurs alliés, il est difficile
de croire que les responsables américains, même s’ils n’ont pas donné leur
feu vert, n’étaient pas au courant de l’attaque prévue et ont promis de
garder le silence.

Du côté russe en tout cas, on est convaincu que l’attaque a été menée avec
le soutien de Washington. L’ambassadeur de Russie auprès de l’OTAN, Dimitri
Rogozine, a ainsi déclaré que Saakashvili avait convenu de cette agression
avec ses « protecteurs » - on voit très clairement de qui il voulait
parler.[18] Quant à Vladimir Vasilyev, président de la commission de la
sécurité de la Douma, il a résumé le point de vue russe en ces termes : «
Plus cette affaire durera, plus il apparaîtra clairement au monde que la
Géorgie n’aurait jamais été en mesure de faire ça [d’attaquer l’Ossétie du
Sud] sans les États-Unis ».[19]Le Premier ministre russe, Vladimir Poutine,
a lui aussi exposé très clairement l’attitude des États-Unis à l’occasion
d’une interview accordée à la chaîne de télévision ARD : « On ne peut
s’empêcher de penser que les dirigeants américains avaient connaissance de
l’action envisagée – et plus encore, y ont pris part […] dans le seul but
d’organiser une petite guerre victorieuse. Et, au cas où les choses
tourneraient mal, de pousser la Russie dans le rôle de l’ennemi. »[20]


*La réaction de la Russie*

Il est effectivement difficile de croire que l’attaque géorgienne ait été
menée sans l’aval des États-Unis. Et pourtant, l’administration américaine
devait bien avoir conscience que l’armée géorgienne allait être balayée,
comme cela s’est d’ailleurs passé. Ce qui soulève la question de la
motivation de Washington : les dirigeants américains ont-ils tout simplement
commis l’erreur de croire que la Russie accepterait sans rien dire l’attaque
géorgienne ? Quoique difficilement concevable, cette hypothèse est toutefois
possible. L’autre explication consiste à penser que l’objectif premier était
de provoquer un conflit avec la Russie, afin d’amener l’Union européenne à
adopter une position plus anti-russe encore, et qu’à cet égard, Saakashvili
s’est révélé être l’idiot utile qu’il convenait d’utiliser, au détriment des
populations de la région. S’il est impossible de trancher cette question
avec certitude, la deuxième option semble cependant plus plausible.

Quoi qu’il en soit, ce calcul s’est révélé erroné lui aussi, car la Russie a
profité de la possibilité offerte par l’agression géorgienne pour améliorer
sa position dans le Caucase. Il est en effet tout aussi difficilement
concevable d’imaginer que Moscou n’ait pas été informé des plans d’invasion
géorgiens, d’autant que la Russie y était manifestement bien préparée. Dès
juillet, 8 000 soldats russes s’entraînaient à repousser une attaque
géorgienne. Un fait qui pourrait également expliquer pourquoi les troupes
géorgiennes ont été arrêtées en moins de 24 heures et justifier la mainmise
relative rapide des troupes russes sur le terrain. Pour autant, prétendre
que le président géorgien Saakashvili, en lançant cette offensive, s’est
jeté tête baissée dans le piège que lui tendaient les Russes, n’est guère
convaincant. Le fait que les Russes se soient révélés bien préparés n’enlève
rien au fait que la Géorgie a mené une guerre d’agression.

En tout état de cause, cette confrontation a permis à la Russie d’ébranler
la confiance de certains dans la capacité de la Géorgie d’offrir à l’avenir
une solution de transit fiable pour les ressources énergétiques de la mer
Caspienne. Le président géorgien lui-même a déclaré que « l’un des motifs
essentiels de l’offensive russe était que la Géorgie disposait déjà d’un
oléoduc – l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), enfoui sous un mètre de
terre sur toute sa longueur et conçu pour contourner la Russie. »[21] Ce
soupçon n’est pas sans fondement. Car l’entrée en fonction, en mai 2006, de
l’oléoduc BTC, objet de controverses entre Washington et Moscou pendant près
de dix ans, avaient été un des grands succès géopolitiques obtenus par les
États-Unis dans leur projet de réduire l’influence de la Russie dans la
région : « Selon M. Lomaia, conseiller géorgien en charge de la sécurité,
les Russes auraient lâché six bombes sur l’oléoduc, sans pourtant
l’atteindre. Si ces informations sont exactes, elles montrent que
l’opération militaire russe a d’autres objectifs, d’une portée plus
stratégique, qui dépassent la seule volonté d’éviter une crise humanitaire
en Ossétie du Sud. »[22]

Un rude coup a également été porté au projet Nabucco. Selon Ed Chow, du
Center for Strategic and International Studies, « la Russie a semé de
sérieux doutes dans la tête des bailleurs de fonds et investisseurs […]
quant à la possibilité de protéger un tel ouvrage des attaques menées sur le
territoire géorgien ou de le prémunir du contrôle de Moscou. »[23] En dépit
de cela, le commissaire européen à l’énergie, Andris Piebalgs, a tenté de
convaincre que le conflit de Caucase ne modifiait en rien la volonté de l’UE
de mener à bien son projet de construction de l’oléoduc Nabucco à travers le
territoire géorgien, ajoutant que l’Europe avait besoin de cette
infrastructure.[24]

Pour la première fois depuis la fin de la Guerre froide (de l’ancienne), la
Russie s’est opposée militairement à une tentative d’expansion occidentale –
ce seul point de vue permet de prendre la mesure du conflit russo-géorgien.
Dans le même temps, l’intervention sur le territoire géorgien a montré
clairement à l’Occident qu’à l’avenir, il faudrait à nouveau compter avec la
Russie sur l’échiquier international du pouvoir. On peut lire à ce propos
dans une analyse de Strategic Forecast que, « par son opération en Ossétie
du Sud, la Russie a démontré trois choses. 1. En dépit des doutes nourris
auparavant par les observateurs étrangers, son armée peut mener à bien une
opération militaire. 2. Les Russes peuvent vaincre des forces armées formées
par les instructeurs militaires américains. 3. La Russie a démontré que les
États-Unis et l’OTAN n’étaient pas en position d’intervenir militairement
dans ce conflit. »[25]


*Un unilatéralisme frappant*

On ne sera guère surpris que la réponse russe à l’invasion géorgienne ait
été fermement condamnée par les Américains et que ces derniers se soient
rangés quasi sans réserves du côté de la Géorgie. C’est ainsi que Zgbiniew
Brzezinski s’est exprimé haut et fort pour comparer les méthodes de Poutine
à celles de Hitler et affirmer que l’attitude de Moscou ne pouvait que «
conduire à sa mise à l’écart et à des sanctions économiques et financières,
[soulignant que] si la Russie poursuivait dans cette voie, elle devrait en
fin de compte être mise au ban de la communauté internationale. »[26]

Il est plus surprenant de noter que l’Union européenne a elle aussi adopté
un positionnement tout aussi unilatéral : « Le Conseil européen est
gravement préoccupé par le conflit ouvert qui a éclaté en Géorgie, par les
violences qu'il a entraînées et par la réaction disproportionnée de la
Russie. » C’est par ces mots que les chefs d’État ou de gouvernement ont
commenté, le 1er septembre, les événements survenus dans le Caucase, sans
évoquer – et encore moins critiquer – le fait que le conflit avait
incontestablement été déclenché par l’agression géorgienne. Dans la suite de
leurs conclusions, les dirigeants européens clouent la seule Russie au
pilori et condamnent « fermement la décision unilatérale de la Russie de
reconnaître l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. » Aux
antipodes de la ligne adoptée par la grande majorité des États membres de
l’UE sur la question de la reconnaissance du Kosovo, ils rappellent ensuite
« qu’une solution pacifique et durable des conflits en Géorgie doit être
fondée sur le plein respect des principes d’indépendance, de souveraineté et
d’intégrité territoriale reconnus par le droit international, l'Acte final
de la Conférence d'Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe et
les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. »[27]

Ça et là, certains ont même réclamé à cors et à cris d’adopter une attitude
plus radicale encore à l’égard de la Russie. C’est le cas par exemple du
président de la commission des affaires étrangères du Parlement européen,
Jacek Saryusz-Wolski (PPE-DE), qui a demandé que l’UE adopte une position «
plus ferme que celle de l’OTAN ».[28] Et si les partisans de la ligne dure
n’ont pu entièrement imposer leur vues, cela vient aussi d’une constellation
intérêts spécifiques, qui rendaient inopportune – notamment du point de vue
allemand – une telle position. Car, si l’on veut certes montrer à Moscou qui
est le chef dans la maison européenne, on ne souhaite pas pour autant se
brouiller tout à fait avec la Russie – les affaires qu’on fait dans ce pays
sont trop rentables.[29] Néanmoins, l’Allemagne souscrit elle aussi sans
guère de réserves à l’escalade recherchée par l’OTAN.


*Mise en place de l’OTAN (de l’énergie) *

Dès novembre 2006, le sénateur américain Richard Lugar, l’un des principaux
stratèges de l’OTAN, est passé littéralement à l’offensive. En marge du
sommet de l’OTAN de Riga, il a dénoncé les tentatives de Moscou de se servir
du pétrole comme d’une « arme » contre l’Occident et proposé la création
d’une « OTAN de l’énergie », dont l’idée maîtresse serait d’amener à
l’avenir l’Organisation à traiter une interruption dans la fourniture de gaz
et de pétrole comme une agression militaire (cf. la contribution de Tobias
Pflüger).

En janvier 2008, cinq généraux haut placés de l’OTAN ont présenté une note
d’orientation explicitement présentée comme un catalogue de revendications
destiné à alimenter le débat en vue de la prochaine mise à jour du concept
stratégique de l’OTAN . Cette note pourrait par ailleurs servir de brouillon
pour le sommet de l’OTAN programmé les 3 et 4 avril 2009 : « Dans un
contexte de concurrence internationale croissante pour des ressources
toujours plus rares, à tout le moins pour les combustibles fossiles, les
fournisseurs verront s’accroître les possibilités d’abuser de leur position
et de leur pouvoir d’influence. […] La dépendance vis-à-vis du gaz et du
pétrole crée une vulnérabilité que certains gouvernements tenteront
d’exploiter – la crise Gazprom a démontré combien il était aisé de manipuler
la demande. L’organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) est un
mécanisme – et il le restera probablement – destiné à maintenir les prix
pétroliers à un niveau artificiellement élevé et la Russie et les Émirats
arabes unis examinent la possibilité de créer un OPEP pour le gaz. […] Pour
cette raison, il pourrait être indiqué de réfléchir à la possibilité d’user
de l’OTAN comme d’un instrument apte à assurer la sécurité
d’approvisionnement énergétique. »[30]

Peu de temps après, en juin 2008, Richard Lugar, entre-temps pressenti pour
devenir le ministre de la défense de Barak Obama, a renouvelé lors d’une
audition du Sénat ses menaces à l’encontre de la Russie et a plaidé
vigoureusement pour la réalisation du projet Nabucco.[31] Durant la même
audition, le nouveau vice-président américain, Joseph Biden, a salué avec
insistance l’action de Lugar en matière de politique de l’énergie et
souligné l’importance des conflits dans la région de la Caspienne : « les
enjeux sont énormes : des centaines de milliards de dollars en pétrole et en
infrastructures, le redressement de la puissance russe et la sécurité
énergétique de l’Europe. […] Les Russes aiment les échecs. Notre réponse
stratégique sur l’échiquier qu’est l’Asie centrale doit être d’établir une
présence sur les cases qu’ils ne contrôlent pas encore. Cela implique de
construire de nouveaux pipelines, qui offrent des alternatives […] au
monopole russe. »[32]

Joseph Biden devrait dès lors avoir accueilli positivement une des dernières
grandes initiatives de sécurité de l’administration Bush, censée attirer
davantage encore la Géorgie dans l’orbite occidentale par le biais d’une
déclaration commune de partenariat : « Grâce au pacte signé par les deux
gouvernements le 9 janvier [2009], les États-Unis et la Géorgie sont
officiellement devenus des ‘partenaires stratégiques’. […] Peu de détails
ont été communiqués à propos de ce document signé quatre mois après la
guerre désastreuse entre la Géorgie et la Russie. Les signataires ont
cependant expliqué à l’envi que le pacte géorgien était comparable à
l’accord de partenariat stratégique signé en décembre par les États-Unis et
l’Ukraine. »[33] Il devrait donc prévoir, au même titre que ce dernier, une
coopération militaire renforcée et des mesures visant à une adhésion rapide
de la Géorgie à l’OTAN. Dès le 15 septembre 2008, l’OTAN a décidé de mettre
en place une commission chargée d’approfondir les relations avec la Géorgie
et qui devrait permettre de coordonner la « reconstruction militaire » du
pays.[34]


*La Guerre froide : une prophétie appelée à se concrétiser d’elle-même*

L’objectif de la politique prônée par les États-Unis en Ukraine et en
Géorgie est d’engager une nouvelle Guerre froide contre la Russie et de la
soumettre à une provocation permanente faite de « révolutions de couleur »,
de blocus énergétiques, d’élargissement de l’OTAN et de stationnement de
missiles sur le territoire de la Pologne et de la République tchèque. En
perturbant les relations économiques russes avec l’Europe occidentale,
Washington entend réduire l’influence de la Russie sur la scène politique
mondiale et entraver son avènement au rang de nouvelle puissance
industrielle. Si ce scénario devait se voir couronné de succès, il ne fait
aucun doute que les pays d’Europe occidentale membres de l’Alliance se
verraient entraînés dans une stratégie commune d’escalade et contraints de
s’engager davantage encore dans des projets militaires de sécurité
énergétique.

Le fait que cette stratégie a jusqu’ici été couronnée de succès et que rien
ne permet hélas de supposer que le nouveau président américain, Barak Obama,
entende s’écarter de cette logique de confrontation laisse craindre le
retour de l’affrontement entre deux blocs. Au plus fort de la crise
géorgienne, le président russe, Dmitri Medvedev, a adressé un message clair
à l’Occident : « Nous n’avons peur d’absolument rien, pas même de la
perspective d’une nouvelle Guerre froide. »[35] Le mouvement anti-guerre
devra s’accommoder des réalités de la nouvelle Guerre froide. Il faut
s’opposer avec calme, ici et maintenant, à la stratégie impérialiste de
l’OTAN et de l’UE.




[1] Brzezinski, Zgbiniew : Le Grand échiquier, l’Amérique et le reste du
monde, Hachette (Paris), 1997.

[2] Ibid.

[3] Concernant le soutien occidental aux « révolutions de couleur », cf.
Chauvier, Jean-Marc : Les multiples pièces de l’échiquier ukrainien, Le
Monde diplomatique, 14.01.2005.

[4] Carpenter, Ted : Worse than Bush ? National Interest Online, 11.07.2008.

[5] Zeihan, Peter : Moskau wird Kiew nie dem Westen überlassen [Moscou
n’abandonnera jamais Kiev à l’Occident], Handelsblatt, 20.01.2009.

[6] United States, Ukraine Sign Security Charter, America.gov, 19.12.2008.

[7] United States-Ukraine Charter on Strategic Partnership, 22.12.2008, URL
: http://tinyurl.com/agqc4k

[8] Befeuern die USA den Gasstreit ? [Les États-Unis attisent-ils la guerre
du gaz ?], heute.de, 13.01.2009.

[9] Isic, Mirela : Ein « Vielleicht für die Ukraine und Georgien [Un «
peut-être » pour l’Ukraine et la Géorgie], CAP-News, 10.04.2008.

[10] Ministère des affaires étrangères, Ukraine, situation en octobre 2008,
URL : http://tinyurl.com/b3gvbg

[11] Nabucco : Projekt unrealistisch durch Georgien-Krise ? [La crise
géorgienne rend-elle irréaliste le projet Nabucco ?], euractiv, 25.08.2008.

[12] Ibid.

[13]Friedmann, Matti : Sie waren nicht bereit für den Krieg mit Russland
[Ils n’étaient pas prêts à entrer en guerre contre la Russie], AP,
19.08.2008.

[14] Schröder gibt Saakaschwili die Schuld [Schröder accuse Saakashvili],
Der Spiegel, 16.08.2008.

[15] Grey, Barry : Bush accentue la confrontation avec la Russie, World
Socialist Web Site, 13.08.2008.

[16] Der Spiegel, 16.08.2008.

[17] Dans la perspective de l’adhésion à l’OTAN, la Géorgie renforce
considérablement son armée, russland.ru, 16.07.2008.

[18] Nuclear Nigthmares : The Return of M.A.D., Huffington Post, 19.08.2008.

[19] Chin, Larry : South Ossetia : superpower oil war, Online Journal,
13.08.2008.

[20] Ces propos et nombre d’autres remarques critiques formulées par Poutine
ont été coupés au montage lors de la diffusion de l’interview par la chaîne
ARD. Pour une transcription complète de l’interview, consulter l’adresse
http://www.spiegelfechter.com/wordpress/392/das-interview

[21] euractiv, 25.08.2008.

[22] Rosenbaum, Kaspar : Südossetien : Der Westen in der Propaganda-Schlacht
[Ossétie du Sud : l’Occident dans la guerre de propagande], ef-online,
11.08.2008.

[23] euractiv, 25.08.2008.

[24] Energie-Agentur sagt wachsende EU-Abhängigkeit von Importen voraus
[Selon l’Agence de l’énergie, l’UE devrait dépendre de plus en plus des
importations], Yahoo News Finanzen, 04.09.2008.

[25] Stratfor : Russland hat Stärke gezeigt und wird nur auf Stärke hören
[la Russie a fait la preuve de sa puissance et n’écoutera que la force], RIA
Novosti, 11.08.2008.

[26] Russlands Vorgehen ähnelt dem von Hitler [Les méthodes de la Russie
ressemblent à celles de Hitler], Die Welt, 11.08.2008.

[27] Session extraordinaire du Conseil européen, Bruxelles, 01.09.2008,
12594/08.

[28] Pflüger, Tobias : EU eskaliert den Konflikt mit Russland weiter [L’UE
poursuit l’escalade dans le conflit avec la Russie], IMI-Standpunkt
2008/052.

[29] À propos du rôle de l’Allemagne, cf. : Hantke, Martin, Georgienkrieg
und imperiale Geopolitik [Conflit géorgien et géopolitique impériale], in :
AUSDRUCK (octobre 2008).

[30] Naumann, Klaus et al. : Towards a Grand Strategy for an Uncertain World
: Renewing Transatlantic Partnership, URL : http://tinyurl.com/5bujl9 pp. 47
et suivantes.

[31] U.S. Senate Committee on Foreign Relations, Senator Richard G.Lugar
Opening Statement for Hearing on Oil, Oligarchs and Opportunity : Energy
from Central Asia to Europe, 12.06.2008, URL : http://tinyurl.com/df7tg8

[32] BIDEN : We Need to Confront Russia’s Oil Dominance with Aggressive,
High Level Diplomacy, 12.06.2008, URL : http://tinyurl.com/ crjhol

[33] Corso, Molly : Georgia : Washington and Tbilisi sign Strategic Pact
sure to irk the Kremlin, Eurasia Insight, 09.01.2009.

[34] Framework Document on the establishment of the NATO-Georgia Commission,
Tbilisi, 15.09.2009.

[35] Dimitri Medvedev raises spectre of new Cold War, The Times Online,
26.08.2008.


Martin Hantke


*Frères d’esprit : intensification de la coopération Europe - Otan *



Ce n’est pas tant en raison de la grave crise économique et des problèmes
militaires des États-Unis que le nouveau président Barack Obama cherche à
serrer les coudes avec ses alliés européens. En échange d’un pouvoir
politique croissant, les États européens soutiendraient militairement encore
plus fortement les États-Unis pour le maintien de l’ordre mondial
occidental.

Il est possible de pointer d’ores et déjà les premiers signes d’un tel «
partage de la charge » et d’un rôle croissant de l’Otan. Dès aujourd’hui,
l’Europe peut utiliser les capacités de l’Otan pour mener des opérations
militaires dans le cadre de l’accord Berlin +, tel qu’il est actuellement
pratiqué en Bosnie. Cependant il y a aussi de plus en plus de débats sérieux
pour instaurer le processus inverse et permettre à l’Otan d’avoir accès aux
capacités civiles de l’Europe pour mener ses guerres (Berlin + inversé). La
présidence du Conseil de l’Europe, qui incombe jusqu’à l’été 2009 à la
République tchèque, a donné son mot d’ordre principal : l’amélioration du
partenariat avec l’Otan dans le cadre de la politique militaire de l’Union
européenne. Un rapport, rédigé sous la direction d’Ari Vatanen (groupe
parlementaire des conservateurs français), a été adopté à la mi-février,
avec une très faible majorité ; il demande au Parlement européen d’augmenter
le travail en commun entre l’Europe et l’Otan, notamment à travers
l’établissement de structures permanentes de coopération. Pour couronner le
tout, au sommet de l’Otan, en avril, à Strasbourg, Baden-Baden et Kehl, le
gouvernement français veut réintégrer pleinement les structures militaires
de l’Otan, après plus de quarante ans d’absence. Pour cela, la France
devrait être récompensée par un important poste de commandement.

Autre domaine d’intense coopération : l’Irak. Barack Obama n’a pas fixé
d’échéance pour le retrait des troupes américaines. Selon Robert Gates,
inamovible ministre de la Défense, plus de 40 000 soldats peuvent occuper le
pays pour des décennies. À peine une semaine après l’élection d’Obama, le
Conseil de l’Europe décide que la mission EU JUST LEX entraînera dès la
mi-2009 les forces régulières d’Irak, et, ainsi, elle soutient directement
les États-Unis dans leur occupation militaire. En décembre 2008, l’Otan dans
sa totalité a pris une décision similaire.

Mais l’aspect le plus important reste la demande des États-Unis pour une
aide plus large et significative dans la guerre en Afghanistan. Barack Obama
veut envoyer plus de 30 000 soldats en sus des 55 000 déjà sur place. Au
même moment, il insiste avec véhémence pour que l’Union européenne augmente
massivement ses troupes d’occupation. Les États européens y sont déjà
favorables – par exemple, M. Jung, ministre de la Défense allemand, avait
annoncé, lors de la conférence sur la « sécurité » de Munich, que son pays
fournira des contingents supplémentaires pour la Force de réaction rapide,
en charge des opérations de contre insurrection dans le Nord de
l’Afghanistan.

Tout ceci croît ensemble et forme une unité : l’Union européenne et l’Otan
travaillent de plus en plus fortement pour joindre leurs efforts, planifier
et mener leurs guerres.

Tobias Pflüger

*L’OTAN entre 1949 et 1991 : bref bilan d’une histoire belliqueuse *



L’OTAN se définit elle-même comme une alliance défensive. Or, à sa création
voici 60 ans, elle ne se désignait aucun ennemi. Dans une étude datée du 6
janvier 1945, l’ « État-major conjoint des services de renseignement
américains » lui-même estimait que l’Union soviétique (URSS) n’affichait ni
la capacité, ni la volonté d’une confrontation avec les États-Unis et ses
alliés, qu’elle était contrainte de se concentrer sur la reconstruction et
la protection de sa zone d’influence et qu’elle ferait tout pour éviter de
nouveaux conflits internationaux dans l’environnement de l’après-guerre.[1]

Les États-Unis et leurs alliés avaient toutefois conscience du fait que,
s’ils ne représentaient qu’une petite partie de la population mondiale, ils
disposaient de la grande majorité des richesses de la planète. Il s’agissait
dès lors de « concevoir un modèle de relations qui nous permette de
préserver cette situation de déséquilibre », comme l’exprimait George F.
Kennan, théoricien de la politique d’endiguement de l’Union soviétique ,
dans la « Policy Planning Study 23 » publié par le Département d’État
américain.[2]


*Roll Back*

Les deux Guerres mondiales désastreuses qu’avaient menées les unes contre
les autres les puissances impérialistes avaient sensiblement réduit la part
du monde sur laquelle elles exerçaient un contrôle direct. L’objectif commun
à tous les pays capitalistes était par conséquent de rétablir leur contrôle
sur les territoires qui s’étaient détournés du capitalisme après la Première
Guerre mondiale (pour la Russie) ou la Deuxième (pour l’Europe centrale et
orientale et la Chine). Pour ce faire, il leur fallait désormais tirer sur
la même corde. Forts de leur hégémonie incontestable, les États-Unis furent
en mesure de constituer autour d’eux une alliance transatlantique garante
d’une coopération étroite entre États impérialistes et capable de contrer
toute velléité de compétition entre ces États. Pour les États-Unis, l’OTAN
constituait l’instrument apte à asseoir leur hégémonie sur le camp
occidental ; pour les puissances européennes affaiblies, la soumission
volontaire leur garantissait le soutien nécessaire pour défendre leurs
intérêts vis-à-vis du bloc oriental et des pays africains et asiatiques en
lutte pour leur indépendance.

Avant même la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis avaient
élaboré des plans ambitieux destinés à s’assurer le contrôle stratégique de
l’économie mondiale et développé pour ce faire un concept baptisé « Grand
Area Planning » (planification du grand espace). Y étaient mentionnées les
régions du monde qui devaient être « ouvertes » - aux investissements et à
la mainmise sur les ressources – et les modalités d’organisation des
institutions financières et de la planification financière.

L’Union soviétique et la Chine formaient les principaux obstacles à ces
projets. Il s’agissait dès lors de concentrer, par le biais d’une politique
baptisée « Roll Back », l’ensemble des efforts politiques et militaires sur
l’endiguement d’un « communisme agressif ». Ces efforts débutèrent au cœur
du monde occidental, avec la lutte militaire contre le front populaire de
gauche en Grèce et l’élaboration de projets de putsch destinés à empêcher la
prise du pouvoir par les partis communistes – en France et en Italie, par
exemple. La sauvegarde de l’ordre capitaliste dominant à l’intérieur de ses
frontières allait également devenir l’une des principales missions de
l’OTAN.[3] À partir de juin 1950, soit neuf mois après la création de
l’OTAN, tous les États membres de l’époque – à l’exception de l’Islande et
du Portugal – combattirent en Corée aux côtés des États-Unis.


*Des plans de guerre nucléaire*

Deux semaines seulement après la fin de la Deuxième Guerre mondiale,
l’État-major des forces armées américaines avait adopté un mémorandum, dans
lequel il demandait de n’attendre en aucun cas une frappe de l’URSS et de
frapper les premiers.[4] Tout au long de la Guerre froide, ce principe
demeura le leitmotiv de tous les plans militaires élaborés contre l’URSS et
la base de toutes les stratégies américaines, base reprise peu ou prou par
l’OTAN. Dans les années qui suivirent, cette recherche de la confrontation
fut renforcée par des plans d’attaque brutaux baptisés « Cible nucléaire :
Union soviétique » (directive JIC 329, 1945), « Broiler » (1947), « Halfmoon
» (1948) ou encore « Dropshot » (1949). Tous prévoyaient la destruction par
bombardement nucléaire de centres soviétiques dont le nombre croissait année
après année.[5]

En 1949, après le premier essai nucléaire soviétique, les États-Unis
imaginèrent la stratégie de « représailles massives », en vertu de laquelle
même une agression conventionnelle restreinte sur un membre de l’Alliance
devait entraîner une frappe nucléaire. Cette stratégie fut reprise par
l’OTAN en 1952. Après que l’Union soviétique eut rétabli, en 1954,
l’équilibre stratégique en se dotant de ses premiers missiles nucléaires
intercontinentaux, les États-Unis débutèrent l’installation en Europe de
missiles à courte et moyenne portée équipés de têtes nucléaires et capables
d’atteindre le territoire du Bloc de l’Est. Réarmée, la RFA adhéra elle
aussi à l’OTAN. En réaction, l’Union soviétique fonda, en 1955, l’alliance
militaire connue sous le nom de Pacte de Varsovie et équipa elle aussi
d’armes nucléaires ses troupes stationnées en Europe orientale. En 1958,
l’OTAN prit la décision d’intégrer les armes nucléaires américaines dans ses
stratégies militaires, tout en laissant aux États-Unis le pouvoir de décider
de leur utilisation.

Le quasi-rétablissement de l’équilibre nucléaire par l’URSS rendit caduque
une stratégie de « représailles massives » qui risquait de transformer
rapidement un conflit localisé en une guerre d’anéantissement total. Qui
plus est, cette stratégie n’aurait guère été politiquement défendable plus
longtemps face aux répercussions à long terme d’un conflit nucléaire. C’est
pourquoi , en 1967, la stratégie des « représailles massives » céda la place
à une autre. Baptisée « Flexible Response » (réponse flexible), cette
nouvelle stratégie prévoyait l’engagement graduel d’armes conventionnelles,
d’armes nucléaires tactiques et de missiles nucléaires intercontinentaux, en
vue de pouvoir circonscrire géographiquement une guerre contre les pays du
Pacte de Varsovie ou de restreindre le choix des armes engagées. Maintenue –
moyennant quelques modifications en ce qui concerne les armes nucléaires –
jusqu’en 1991, cette stratégie prévoyait elle aussi l’option de la première
frappe nucléaire.

Contrairement à la propagande répandue d’une menace soviétique, les États de
l’OTAN ont toujours bénéficié d’une large supériorité militaire par rapport
à ceux du Pacte de Varsovie et joui d’une avance considérable, à tout le
moins qualitative, dans tous les types d’armements.[6] Et si la capacité de
riposte soviétique est demeurée incontestée, en dépit des efforts d’armement
déployés, la situation de pat nucléaire a dans une large mesure vidé de
toute utilité politique l’arsenal nucléaire gigantesque constitué par les
deux camps. Le recours à de telles armes dans un conflit conventionnel
limité était en effet une éventualité à ce point disproportionnée et risquée
qu’elle ne pouvait constituer une menace crédible. Ces armes ne pouvaient
donc guère servir les intérêts des uns et des autres en matière de politique
étrangère.

À partir des années 1970, les États-Unis, forts de ce constat et encouragés
par le développement de nouveaux missiles à moyenne portée capables de
frapper avec précision des objectifs militaires et des postes de
commandement, intensifièrent leurs efforts en vue de refaire de l’option
nucléaire une perspective réaliste susceptible de mener à la victoire. Se
fondant sur ces systèmes d’armes, ils passèrent à une stratégie visant à «
décapiter » l’Union soviétique par la destruction de sa direction politique
et militaire. En 1980, le président américain Jimmy Carter signa la
Presidential Directive 59, qui énonçait une « stratégie de l’équilibre »
destinée à pouvoir remporter un conflit nucléaire en évitant
l’anéantissement global.[7] En décembre de la même année, Colin S. Gray,
conseiller au Pentagone, fit paraître un article intitulé « Victory is
possible » (la victoire est possible), dans lequel il affirmait qu’il
fallait envisager l’option d’une attaque nucléaire menée par surprise par
les États-Unis en vue d’éliminer les cercles de direction politiques et
militaires soviétiques et allait jusqu’à qualifier de risque supportable la
perspective de 20 millions de victimes aux États-Unis. Le président Ronald
Reagan entérina officiellement cette stratégie et fit de son concepteur son
principal conseiller militaire.[8]

Au cœur de cette stratégie offensive perfectionnée se trouvaient les
missiles Pershing II et autres missiles de croisière, installés en Europe
occidentale à la suite de la « double décision » prise par l’OTAN en
décembre 1979. Si, officiellement, les 108 Pershing II et 464 missiles de
croisière terrestres étaient censés répondre à la menace posée par les
nouveaux missiles SS-20 soviétiques, ils n’en faisaient pas moins partie –
comme le confirma Colin S. Gray dans le magazine Air Force en 1982 – de la
stratégie de décapitation évoquée plus haut.[9]


*Air-Land-Battle et Follow-On-Forces-Attack*

Parallèlement aux plans de guerre nucléaire, les États membres de l’OTAN
réorientèrent également leur conception de la guerre conventionnelle,
délaissant le principe de la « défense avancée » le long des frontières
mêmes du Pacte de Varsovie pour lui préférer celui d’opérations offensives
menées loin en territoire ennemi. Ce principe fut énoncé pour la première
fois en 1982 dans la doctrine « Air-Land-Battle » de l’armée américaine et
formulé plus clairement encore dans des plans à long terme tels que «
Air-Land Battle 2000 ». Ces deux documents furent également entérinés par
l’armée fédérale allemande.[10] Au niveau de l’OTAN, le comité de défense de
l’Alliance adopta, en 1984, un concept quasi identique : baptisé «
Follow-On-Forces-Attack », il prévoyait des offensives menées jusqu’à 500 km
à l’intérieur du bloc soviétique.[11]

Ces plans militaires étaient étroitement liés au concept d’ « escalade
horizontale », qui faisait partie intégrante de la « réponse flexible » et
prévoyait de répondre à une intervention politique ou militaire de l’Union
soviétique dans un conflit local – dans le Golfe persique par exemple – par
des attaques visant des points plus vulnérables du Pacte de Varsovie.[12]
Comme l’affirmaient en 1982 Meinhard Glanz, alors inspecteur des forces
armées allemandes, et son collègue américain Edward C. Meyer dans le concept
« Air-Land Battle 2000 » élaboré par leurs soins, l’enjeu n’était pas
seulement le conflit avec l’Union soviétique, mais aussi le contrôle du
reste du monde. « Les pays émergents du tiers monde [concourent à accroître]
le déséquilibre des forces. Ces nations pourraient s’allier à des États
ennemis et recourir au terrorisme, au chantage ou à des conflits
circonscrits, pour obtenir une part équitable des ressources. »[13] C’est à
cela aussi que servait le réseau de bases militaires créées dans le cadre de
l’OTAN et dont le centre de gravité se situe en RFA. Dès le départ, il
servit également de base pour les guerres menées contre les peuples
africains et asiatiques qui se battaient pour leur indépendance. L’OTAN
apporta par ailleurs un soutien actif aux États-Unis dans les guerres de
Corée et du Vietnam, ainsi qu’au Portugal, en Angola et au Zimbabwe.

Au vu de ce qui précède, la politique ouvertement offensive déployée par
l’OTAN depuis 1990 ne constitue aucunement un changement de cap pour une
organisation dont on prétend souvent qu’elle est passée du statut d’ «
alliance défensive » à celui d’ « alliance offensive ». Depuis
l’effondrement de l’URSS, les États membres de l’OTAN ont tout simplement
les mains libres pour conduire une politique suivie depuis la fondation de
l’Organisation.


Remarques:

[1] Memorandum of the Joint Intelligence Staff, Capabilities and Intensions
of the USSR in the Post-War Period, JIS 80/2, January 6, 1945, National
Archives, Washington D.C. (Cité d’après Lühr Henken “Die NATO im Kalten
Krieg – Verteidigungs- oder Angriffsbündnis“, Beitrag auf dem Kasseler
Friedensratschlag [L’OTAN dans la Guerre froide – alliance défensive ou
offensive, contribution au Conseil de paix de Kassel], 2.12.2008)

[2] George F. Kennan, „Review of Current Trends in U.S. Foreign Policy“,
Policy Planning Staff, PPS No. 23, in: Foreign Relations of the United
States, 1948, Vol. I v. 24.2.1948, pp. 509-529

[3] C’est à cette fin que fut notamment créé le réseau Gladio, organisation
paramilitaire secrète de l’OTAN, chargé de mener des opérations de guérilla
en cas de prise du pouvoir par les communistes en Europe occidentale.
Certains éléments de cette organisation active entre 1950 et 1990 se sont
livrés à des actes de terrorisme systématiques et ciblés dans divers pays
d’Europe occidentale, avec le soutien des organes de l’État. Cf. Daniele
Ganser: NATO’s Secret Armies: Operation Gladio and Terrorism in Western
Europe, London 2005

[4] Joint Chiefs of Staff, Basis for the Formulation of a U.S. Military
Policy, JCS 1492/2, September 9, 1945, Printed in: U.S. Department of State,
Foreign Relations of the United States 1946, vol.I, Washington D.C.

[5] Cf. Heinrich Hannover, Befreiung auf amerikanisch [Libération à
l’américaine], Ossietzky, tirage à part mars 2004 (source : Jürgen Bruhn,
Der kalte Krieg oder: Die Totrüstung der Sowjetunion [La Guerre froide ou
l’armement funeste de l’Union soviétique], Gießen)

[6] Cf. Lühr Henken op.cit.

[7] Matthew M. Oyos “Jimmy Carter and SALT II: The Path to Frustration”
American Diplomacy, 12/1996

[8] Colin S. Gray u. Keith Payne, “Victory is Possible”, Foreign Policy, été
1980, pp. 14-27

[9] Till Bastian (Éd.): Ärzte gegen den Atomkrieg. Wir werden Euch nicht
helfen können [Les médecins face à la guerre nucléaire. Nous ne pourrons pas
vous aider], Pabel-Moewig Verlag Kg, 1987, p. 9 (s. IPPNW-Chronik 1982)

[10] Bjørn Møller, „Wider die Offensive - Vorschläge für eine defensive
Sicherheitsstruktur in Europa“ [Contre l’offensive – propositions relatives
à une structure de sécurité défensive en Europe], W&F, 3-98
Ludwig Weigl, Strategische Einsatzplanungen der NATO, Dissertation,
Universität der Bundeswehr München [Plans d’intervention stratégique de
l’OTAN, thèse de doctorat, université de l’armée fédérale, Munich],
septembre 2005

[11] , Bernard W. Rogers, "Greater Flexibility For NATO's Flexible
Response", Strategic Review, XI (Spring 1983), pp. 11-19

[12] Wilhelm Bittorf, „Der Schlieffen-Plan des Pentagon“ [Le plan Schlieffen
du Pentagone], Gewerkschaftliche Monatshefte, 9/83

[13] Clemens Ronnefeldt, „Wieder einmal Blut für Öl“ [Quand le pétrole fait
à nouveau couler le sang], Friedensforum 1/2002


Joachim Guilliard

*Politique nucléaire agressive et défense antimissiles de l’OTAN *



La mise en place d’une défense antimissiles en Europe figurera en avril 2009
à l’ordre du jour du Sommet de l’OTAN, dont la stratégie y sera par ailleurs
débattue. S’agissant de défense antimissiles, l’OTAN a désormais lancé deux
programmes, le premier étant le « système de défense active multicouches
contre les missiles balistiques de théâtre » (Active Layered Theatre
Ballistic Missile Defence System, ALTBMD). La première tranche de ce système
d’armes conçu pour protéger les corps expéditionnaires à l’étranger devrait
être opérationnelle d’ici 2010. À cette fin, divers États membres de l’OTAN
fourniront les capteurs et les composantes des armes, tandis que l’OTAN en
son entier se chargera des structures de commandement (BMC3I – système de
commandement, de contrôle, de communication et de renseignement pour la
gestion tactique). La réalisation de ce projet aura un coût annoncé
d’environ 800 millions d’euros, dont 18 % à la charge de l'Allemagne.[1] Il
est en outre prévu d’intégrer à ce système le projet
américano-germano-italien controversé MEADS de défense aérienne élargie à
moyenne portée (Medium Extended Air Defence System). [2]

Lors du Sommet d’Istanbul en 2004, les chefs d’État et de gouvernement des
États membres de l’OTAN sont convenus d’accélérer les plans de défense
antimissiles. Ils ont approuvé la mise en place d’une organisation de
gestion du programme sous l’égide de la Conférence des Directeurs nationaux
des armements (CDNA) qui fonctionne depuis mars 2005. En septembre 2006, au
Sommet de Riga, le système ALTBMD a fait l’objet d’un premier contrat de
développement, d’un montant approximatif de 75 millions d’euros, entre
l’OTAN et un consortium de sociétés des États-Unis, de Grande-Bretagne,
d’Allemagne, de France, d’Italie et des Pays-Bas.

Le Sommet de Prague qui s’est tenu en 2002 a été l’occasion de commander une
étude de faisabilité concernant un second programme de défense antimissiles
dont l’objectif, autrement plus ambitieux, est de protéger le territoire de
l’OTAN et les plus grands centres de population. Vu que l’élaboration en a
été confiée précisément à un consortium de sociétés d’armement fortement et
naturellement intéressées par un tel bouclier[3], on ne s’étonnera pas que
cette étude de 10 000 pages, tenue jusqu’ici confidentielle, soit parvenue à
la conclusion qu’une défense antimissiles couvrant la superficie de l’OTAN
est techniquement réalisable dans son principe. Quant à savoir si les
directions politiques des membres de l’OTAN connaissent véritablement la
teneur de cette étude, on peut en douter. Néanmoins, ses conclusions ont été
confirmées par les ministres de la « Défense » en avril 2006. Une fois
déployé dans toutes ses phases, ce système devrait coûter entre 27,5 et 30
milliards d’euros, et 40 milliards ou davantage en tenant compte des
indispensables satellites d’alerte précoce.[4] Enfin, lors du Sommet de
l’OTAN en avril 2008 à Bucarest, le Conseil de l’OTAN a été chargé «
d’élaborer des options d’une architecture étendue de défense antimissiles
afin de couvrir la totalité du territoire et la population de l’Alliance qui
ne sont pas abrités par le parapluie américain. Elles seront examinées lors
de notre Sommet de 2009 afin d’étayer toute décision politique future ».[5]

Parfaitement à l’inverse de toutes les assurances au rabais, ces projets de
défense antimissiles ne concernent aucunement la défense, mais bien la
capacité d’attaque. Même la Fondation Science et Politique, bien que proche
du gouvernement, déclare « que les éléments dont nous disposons aujourd’hui
ne permettent guère de douter de l’inexistence actuelle de risques et de
menaces qui justifieraient la mise en place d’une architecture de défense
antimissiles ». L’auteur relie l’importance de la défense antimissiles à la
politique interventionniste de l’OTAN et de l’UE. « Qu’il s’agisse de l’OTAN
(NRF, Force de réaction de l’OTAN) ou de l’Union européenne (groupements
tactiques de l’UE), l'Allemagne fournit une part considérable des forces
d’intervention rapide (…) Au cas où un État, contre lequel une intervention
de la communauté internationale est devenu incontournable, aurait les moyens
de menacer la République fédérale d’un recours à des armes de destruction
massive, il s’ensuivrait une situation stratégique radicalement transformée.
» [6]


*L’OTAN et les armes nucléaires*

En adoptant un nouveau concept stratégique lors du Sommet de Washington en
avril 1999, l’OTAN se muait une fois pour toutes en une alliance
interventionniste à l’échelle mondiale. Tout en menant en Yougoslavie une
guerre d’agression collective contraire au droit international, elle
décidait par ailleurs de ne plus réfléchir à l’éventuelle renonciation à la
première frappe nucléaire, tel que l’avait brièvement mis en débat Joschka
Fischer, ancien ministre allemand des Affaires étrangères. Au contraire, les
armes nucléaires devaient continuer à jouer pour l’OTAN un rôle essentiel «
en maintenant tout agresseur dans le doute quant à la façon dont les Alliés
riposteraient en cas d’agression militaire. »[7]

En janvier 2002, le rapport secret d’examen de l’arsenal nucléaire américain
(Nuclear Posture Review[8]) décrivait les armes nucléaires comme une option
militaire quasi normale dans l’arsenal américain. La Russie, la Chine,
l’Irak, l’Iran, la Corée du Nord, la Libye et la Syrie étaient qualifiés d’«
États voyous » qui pourraient être visés par une éventuelle frappe nucléaire
américaine. La mise au point d’« armes anti-bunker » et de « minibombes
nucléaires » devait faire de l’atome un instrument utilisable sur le plan
tactique. Enfin, l’usage de l’arme nucléaire était également projeté « en
cas d’évolutions militaires surprenantes ».

La Stratégie nationale de sécurité de septembre 2002[9] proclame que le but
suprême de la politique des États-Unis est d’assurer leur domination. Dès
lors, l’éventualité d’une guerre d’agression contre un quelconque pays est
un moyen éprouvé d’empêcher qu’une menace contre les États-Unis et leurs
intérêts ne puisse à l’avenir émaner de ce pays. Le préalable en est
l’absolue supériorité militaire des forces américaines. « En effet, en
s’arrogeant le droit d’intervenir à l’échelle globale, les États-Unis
portent immanquablement atteinte aux intérêts stratégiques d’autres pays.
Pour que ces pays se tiennent tranquilles et ne puissent causer aucun
dommage, il faut que la supériorité américaine soit imposante. » [10] C’est
dans ce contexte précisément qu’un bouclier de défense prend toute sa
signification. Pour Robert Kagan et William Kristol, deux néoconservateurs
très en vue, « un système antimissiles [est] … la condition sine qua non
d’une stratégie de prédominance américaine … Seule une Amérique bien
protégée sera en mesure de dissuader des États voyous – et si nécessaire de
s’affronter à eux – s’ils mettaient la stabilité régionale en péril ».[11]

Il y a longtemps que non seulement cette stratégie figure sur le papier,
mais que ses orientations également ont « déjà été intégrées à la
planification concrète des objectifs (des forces nucléaires) ».[12] Enfin,
en janvier 2008, le journal britannique The Guardian faisait état d’un
document stratégique dans lequel cinq anciens généraux de l’OTAN
conjuguaient à tous les modes la stratégie de guerre nucléaire des
États-Unis pour l’OTAN. Sous le titre « Towards a Grand Strategy for an
Uncertain World », John Shalikashvili (ex-commandant en chef de l’OTAN en
Europe), Klaus Naumann (ex-président du Comité militaire de l’OTAN), Henk
van der Bremen (ex-commandant en chef des Armées néerlandaises), Jacques
Lanxade (ex-chef d’état-major des Armées françaises) et Lord Inge (ex-chef
d’état major britannique) propagent l’idée d’une première frappe nucléaire
pour empêcher que des États comme l’Iran n’accèdent à l’arme atomique. «
Dans l’arsenal de l’escalade, il faut que la première frappe nucléaire
puisse rester cet ultime avertissement permettant d’éviter le recours à des
armes de destruction massive. »[13]

Le 21 avril 2008, un sujet du magazine « Fakt » diffusé par l’ARD donnait à
Klaus Naumann l’occasion de parler de ce document : « C’est à dessein que
nous avons dit qu’il n’existait dans notre arsenal aucune arme dont nous
excluions d’emblée l’emploi. C’est alors seulement que s’accroît le facteur
d’incertitude dans le calcul de l’adversaire. » [14] « Fakt » cite les
auteurs du document à propos d’un possible emploi de l’arme nucléaire contre
des terroristes ou des « États voyous » : « Cet argument ultime de la
politique peut être parfaitement retenu comme une option première. »[15] À
l’évidence, cette stratégie est approuvée même par de hauts officiels de
l’UE, ainsi Robert Cooper, conseiller principal de Javier Solana, Haut
Représentant de l'UE pour la PESC : « Peut-être emploierons-nous l’arme
atomique plutôt que tous les autres, mais je me garderais de le dire à haute
voix. » [16]

Il n’est donc guère étonnant que l’hypothèse d’une première frappe nucléaire
ait été sérieusement débattue à huis clos lors du Sommet de l’OTAN à
Bucarest en avril 2008 : « Selon des informations du journal parisien ‘Le
Canard Enchaîné’, le Sommet de l’OTAN de Bucarest débattra non seulement des
points officiels à l’ordre du jour, mais aussi en coulisses du recours à des
bombes nucléaires miniaturisées. (…) Les frappes nucléaires préventives
visent à empêcher la dissémination d’armes de destruction massive à l’ère du
terrorisme, une idée appuyée par plusieurs chefs militaires de l’OTAN. Ceci
étant, un tel recours contre un État jugé dangereux n’est pas exclu. Les
États-Unis ont mis au point des ‘minibombes nucléaires’. La France y avait
renoncé en son temps. Le 21 mars, dans un discours consacré à la doctrine
nucléaire de son pays, le président Nicolas Sarkozy déclarait que les armes
nucléaires permettaient de lancer ‘un avertissement’ à un agresseur. » [17]


*La défense antimissiles des États-Unis et la « nouvelle Europe »*

Lors des pourparlers menés avec la Pologne et la République tchèque sur le
stationnement de composantes de son système antimissiles, l’Administration
Bush avait démontré une fois de plus qu’elle n’attachait aucune importance à
une fastidieuse concertation avec ses partenaires de l’OTAN, mais qu’elle
faisait prévaloir ses intérêts en cavalier seul. Mais en même temps, elle
sollicite volontiers l’aide de l’OTAN. Ainsi, Washington n’oublie pas de
remarquer « que le Secrétaire général de l’OTAN, Jap de Hoop Scheffer, a
expressément souligné que les Alliés étaient persuadés qu’un système
antimissiles n’aurait aucune incidence sur l’équilibre stratégique avec la
Russie. » [18]

En Alaska et en Californie, les États-Unis ont déjà déployé respectivement
dix et cinq intercepteurs (Ground-based Interceptors – GBI) de leur défense
antimissiles basée au sol pour la poursuite à mi-course (Ground-based
Midcourse Missile Defense System – GMDS). Au total, 44 GBI sont prévus
jusqu’en 2013. Bien qu’en 1997 l’OTAN eût assuré la Russie qu’elle ne
déploierait pas de potentiels militaires stratégiques dans ses nouveaux
États membres, le positionnement prévu de dix missiles basés au sol avec
intercepteurs en Pologne et d’un radar de bande X à haute définition en
République tchèque fait partie intégrante du bouclier américain.
Officiellement, Washington justifie ce déploiement antimissiles en
prétextant que le territoire américain serait sous la menace de missiles
intercontinentaux iraniens, un argument dénué de la moindre crédibilité.
L’Iran en effet, à supposer qu’il en ait militairement l’intention, ne
dispose pas des missiles nécessaires, et il est « encore loin d’avoir acquis
l’aptitude technologique à la miniaturisation de têtes nucléaires (…), ce
qui est indispensable pour les embarquer sur des vecteurs balistiques à long
rayon d’action. » [19]


*La Russie dans le collimateur*

C’est ailleurs qu’il faut chercher les raisons véritables de la fébrilité
des efforts américains dans le domaine de la défense antimissiles : «
L’objectif globalement recherché par les États-Unis en tant que puissance
mondiale est de conserver leur capacité d’action nucléaire et
conventionnelle, entre autres vis-à-vis d’États qui sont ou seront eux-mêmes
dotés d’armes nucléaires », estiment Frank Elbe, ancien directeur du Centre
d’analyse et de prévision du ministère fédéral des Affaires étrangères et
Ulrich Weisser, ancien directeur du Centre d’analyse et de prévision du
ministère fédéral de la Défense. Raison pour laquelle, à leur sens,
l’administration Bush, en dénonçant en 2002 le Traité ABM interdisant la
mise en œuvre d’un bouclier territorial étendu « a laissé s’écrouler un
important pilier de l’édifice international du contrôle stratégique des
armements » et « invalidé le principe d’un équilibre stratégique savamment
étudié entre la Russie et l’Amérique. » [20]

De même des voix venues d’Amérique confirment-elles que la défense
antimissiles n’est pas pensée en termes de défense, mais d’attaque. Dans la
revue Foreign Affairs, la première en matière de politique étrangère aux
États-Unis, Keir A. Lieber et Daryl G. Press décrivent le programme
américain de défense antimissiles comme un instrument d’une nouvelle guerre
froide contre la Russie et la Chine : « Les États-Unis aspirent-ils
résolument à la domination nucléaire ? … Les forces nucléaires actuelles et
futures des États-Unis semblent conçues pour une décapitation préventive de
la Russie ou de la Chine. (…) Le type de défense antimissiles qui sera
vraisemblablement déployé par les États-Unis prendrait tout son sens premier
dans un contexte offensif – et non pas défensif – comme complément à une
capacité américaine de première frappe, et non pas comme un bouclier
proprement dit. »[21]

La puissante station radar de bande X que les États-Unis se proposent
d’installer en République tchèque sera capable « d’observer les tests en vol
de la Russie et le largage de têtes multiples par des fusées russes de type
ICBM (Missile balistique intercontinental) ». [22] Le radar peut « détecter
précisément des fusées intercontinentales, suivre leur trajectoire et
différencier les ogives nucléaires des leurres – et par conséquent fournir
des données fiables sur une mise à feu. » [23] Depuis 1998, les États-Unis
disposent déjà à Vardø (Norvège) d’une telle installation qui, de l’avis
d’experts, sert à surveiller les expérimentations de fusées russes. « Avec
un second radar de bande X dont le stationnement est prévu à proximité de
l’île de Shemya (Aléoutiennes), il serait possible d’observer toutes les
trajectoires des missiles russes de longue portée lancés à partir du centre
d’expérimentation de Plessetsk, proche d’Archangelsk au nord-ouest de la
Russie, en direction de Kura, sur la presqu’île du Kamtchatka. De surcroît,
si le radar de bande X Cobra Dane basé en mer près de l’île de Shemya était
mis en réseau avec le système prévu en République tchèque, il serait même
possible de surveiller tous les missiles intercontinentaux stationnés sur le
sol russe et qui pourraient être dirigés sur les côtes ouest et est des
États-Unis. Les systèmes de vecteurs seraient alors connus, de même que les
propriétés des ogives et des leurres russes. Ces données pourraient être
entrées dans la banque de données centrale du National Missile Defense, ce
qui permettrait de savoir à tout moment, de quelle manière et par quels
moyens la partie russe entendrait réagir dans le cas des cas. » [24]

Le stationnement, d’ores et déjà en débat, d’un radar supplémentaire dans le
Caucase permettrait en outre d’observer les cosmodromes de Baïkonour et de
Kapustin Yar. [25] Des experts jugent possible que des intercepteurs basés
en Pologne « puissent intercepter des ogives russes dirigées vers les
États-Unis (…). En outre, les intercepteurs stationnés en Pologne pourraient
être reconvertis en armes offensives munies de charges – nucléaires
peut-être – et conventionnelles en tout cas. Les stratèges militaires russes
les considéreraient, en raison de leur proximité géographique, comme une
lourde menace pesant sur leurs propres silos abritant des missiles
nucléaires. » [26]

Mais la Russie redoute avant tout qu’on n’en restera pas au stationnement de
missiles en Pologne. D’autres pas de tir, d’ores et déjà débattus, se
situeraient en Roumanie et en Bulgarie, en Ukraine et en Géorgie. Côté
russe, on s’attend à ce qu’après la Pologne, un nouveau site de
stationnement puisse être mis tous les ans en service. En parallèle, il faut
compter d’ici à 2020 avec une forte réduction des missiles intercontinentaux
russes pour cause d’obsolescence. La Russie n’aura guère les moyens
financiers de renforcer ses armes nucléaires embarquées sur des sous-marins.
Ainsi, « une multiplication drastique du nombre d’intercepteurs basés dans
l’Est de l’Europe, en se combinant avec leur montée en puissance technique
(par exemple Multiple Kill Vehicles), pourrait éroder la capacité de seconde
frappe de la Russie et par là-même la substance même de la logique de
dissuasion. » [27]

Les préoccupations russes sont accentuées par le refus, réaffirmé jusqu’ici
par Washington, de proroger le traité START I – qui expire en 2009 et limite
le nombre de missiles nucléaires intercontinentaux et d’ogives–, par la
signature d’une convention qui permettrait des contrôles véritables. Les
États-Unis n’ont pas ratifié le traité SALT II (Strategic Arms Limitations
Talk). Sur les instances sans cesse renouvelées de la Russie exigeant un
accord, les États-Unis se sont déclarés disposés à signer le traité SORT
(Strategic Offensive Reductions Treaty) qui prévoit une limitation des armes
nucléaires stratégiques d’ici à 2012. Toutefois, ce traité constitue « une
solution taillée sur mesure pour les États-Unis », et par là-même « une
nouvelle défaite pour la Russie ». [28] Si le traité SORT autorise les
États-Unis et la Russie à maintenir en service opérationnel de 1 700 à 2 200
têtes nucléaires stratégiques de part et d’autre, il ne contient toutefois
guère d’instruments de contrôle et laisse la porte ouverte au stockage
d’armes nucléaires « neutralisées », mais non pas éliminées. On estime que
les États-Unis détiennent en réserve un supplément de 5 000 ogives intactes
ainsi que les composantes de 12 000 autres qui pourraient être rapidement
réassemblées. Les missiles intercontinentaux Peacekeeper et leurs silos
seront simplement encoconnés. La Russie, par contre, n’est pas en mesure
d’entreposer et d’entretenir à grands frais un nombre si important d’ogives.
Ainsi, « le Traité SORT doit s’interpréter comme étant le fondement d’une
supériorité potentielle des États-Unis dans la stratégie nucléaire. » [29]

Les États-Unis voient donc s’accroître sensiblement leurs capacités
d’annihiler le potentiel de riposte de la Russie par une première frappe
surprise, de même que la possibilité d’en user comme d’un instrument de
chantage. Selon Vladimir Poutine, président russe à l’époque de cette
déclaration du début 2007, le bouclier antimissiles américain en Europe de
l’Est revêt pour la Russie une dimension comparable à celle du déploiement
de missiles Pershing-2 dans le cadre de ladite double résolution de l’OTAN
du 12 décembre 1979. [30]


*La réaction russe*

Face à ces projets américains menaçants, Vladimir Poutine, alors président
de la Russie, allait perdre patience lors de la Conférence de sécurité de
l’OTAN qui s’est tenue à Munich début 2007. Il prenait alors la liberté «
d’éviter les formules de politesse superflues » et d’appeler les choses par
leur nom au lieu de faire assaut de « clichés diplomatiques vides de sens ».
[31] Il fustigeait vivement les doubles standards de la politique des
États-Unis et de l’OTAN. Aux yeux de la Russie, l’élargissement de l’OTAN
est « un facteur représentant une provocation sérieuse ». Vladimir Poutine a
récusé la crédibilité des arguments avancés pour justifier une défense
antimissiles et déclaré qu’une « relance de la course aux armements » serait
« inévitable » en cas de déploiement.

En mai 2007, l’armée russe a testé le RS-24, nouveau missile
intercontinental mobile à têtes multiples visant à perforer la défense
antimissiles. Depuis lors, la flotte de bombardiers russes porteurs de
bombes nucléaires opérationnelles a repris ses vols ininterrompus. Le niveau
d’alerte des forces nucléaires a été relevé. Lors du Sommet du G8 qui s’est
tenu à Heiligendamm en juin 2007, Vladimir Poutine a proposé, au cas où les
États-Unis renonceraient à une station radar en République tchèque,
d’utiliser conjointement une station radar en Azerbaïdjan (Gabala). Celle-ci
serait orientée plus favorablement vers l’Iran, sans pouvoir observer aussi
bien le territoire russe. L’attitude évasive des États-Unis exprime
éloquemment leurs intentions réelles, raison pour laquelle Moscou
contre-réagissait en remettant en question sa future participation à
d’importants accords de contrôle des armements.

Dans son message annuel adressé au Parlement russe début novembre 2008, le
président russe Dmitri Medvedev finissait par annoncer le déploiement de
missiles (de type Iskander-N) à court rayon d’action (500 km) dans l’exclave
russe de Kaliningrad. Ainsi, la Pologne, mais aussi des pans de la
République tchèque et de l'Allemagne deviendraient des zones potentiellement
visées par des missiles russes.[32]


*La position allemande*

Seules des critiques tempérées viennent d’Allemagne contre les projets
américains. Elles visent avant tout l’unilatéralisme de l’Administration
Bush qui, aux yeux de Berlin, utilise à l’évidence la question de la défense
antimissiles comme un coin pour diviser les alliés européens. Au sein de la
grande coalition de gouvernement en Allemagne, divers points de vue se sont
fait jour après le discours de Vladimir Poutine à Munich en février 2007.
Frank-Walter Steinmeier, le ministre des Affaires étrangères, a souligné la
nécessité d’une étroite concertation avec la Russie. Un soutien de la
position américaine est venu de la CDU, en particulier dans l’appréciation
d’une prétendue menace iranienne. Au mois de mars 2007, pour la première
fois, la chancelière fédérale Angela Merkel s’exprimait clairement à ce
sujet, exigeant « de faire de la défense antimissiles américaine un projet
commun à l’OTAN ». [33] Le 20 mai 2008, le ministre de la « Défense » Franz
Josef Jung, lors d’une rencontre en Pologne avec son homologue polonais
Bogdan Klich, s’est prononcé pour un bouclier antimissiles de l’OTAN. Le
ministre a souligné que l'Allemagne était favorablement disposée envers une
capacité de l’OTAN à déployer une défense antimissiles à laquelle seront
intégrés les éléments américains projetés en Europe ».[34]

Il est toutefois plus qu’invraisemblable que les États-Unis cèdent à l’OTAN
la maîtrise sur des éléments de leur défense antimissiles nationale. Qui
plus est, une telle arme sous commandement de l’OTAN ne serait guère une
moindre menace pour la Russie : « Même intégrée à l’OTAN , une défense
antimissiles américaine en Europe de l’Est n’en reste pas moins un danger
pour la Russie, comme le déclarait lundi à Moscou le porte-parole officiel
du ministère russe des Affaires étrangères, Andreï Nesterenko. ‘Toutes les
variantes de la défense antimissiles en Europe intégreront, selon le
communiqué (des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN ), le système
défensif prévu en Pologne et en République tchèque, lequel représente un
potentiel antirusse’. » [35] Ainsi donc, de là à soupçonner que cette
proposition est davantage un genre de subterfuge de propagande pour
convaincre l’opinion publique du ‘bien-fondé’ d’une défense antimissiles de
l’OTAN, il n’y a qu’un pas. » [36]

Pendant ce temps, les recherches et analyses de la Bundeswehr sur la défense
antimissiles vont bon train. C’est ainsi que la Luftwaffe par exemple
effectue « actuellement ses propres études nationales sur l’architecture
système et l’analyse des coups au but à de très hautes altitudes ». [37]
Quant à l’industrie des armements, elle proclame haut et fort ses intérêts.
« En Allemagne, toutes les technologies nécessaires au développement et à la
production d’un potentiel TMD (Theater Missile Defense) sont par conséquent
disponibles. » [38]


*La défense antimissiles à un tournant ?*

« Bush laisse un terrain miné », écrivait l’agence de presse russe RIA
Novosti le 1er novembre 2008. De fait, « Bush junior a pris ses fonctions
avec une équipe qui, dans sa majorité, était plus unilatéraliste et,
davantage qu’aucune autre administration américaine par le passé, résolument
fixée sur une supériorité militaire américaine. » [39] Une plus grande
souplesse et l’association plus étroite des alliés au sein de l’OTAN sont
attendues de Barack Obama et de son équipe. Cependant, précisément le «
charisme démocratique » d’Obama pourrait élargir la marge de manœuvre de
George W. Bush junior et permettre à la nouvelle direction américaine «
d’afficher si nécessaire une implacable et indubitable fermeté ».[40]

Alors que l’Administration Bush a mené tambour battant le déploiement d’un
système de défense antimissiles en Europe, des discussions sont menées au
sein de l’équipe Obama pour définir les dotations prioritaires de l’armée
américaine. Deux points sont en débat : premièrement, l’efficacité de la
défense antimissiles reste controversée. Sans doute le Pentagone a-t-il fait
publiquement état, début décembre 2008, du huitième test réussi d’une
défense antimissiles, mais certains experts doutent de la réalité des
conditions d’expérimentation. En outre, un système antimissiles reste
relativement facile à forcer par une simple augmentation du nombre de
cibles. Il peut alors s’agir de missiles à têtes multiples ou d’une
multitude de leurres. Le second point concerne le dérapage incontrôlé des
coûts du programme de défense antimissiles. Un laboratoire à idées du Parti
démocrate, le « Washingtoner Center For American Progress », chiffrait
récemment à 25 milliards de dollars les économies réalisables grâce à
l’abandon du projet. Conclusions de son rapport intitulé « Développement des
forces armées au XXIe siècle : réalités et priorités nouvelles » : « Il faut
suspendre la mise en œuvre du programme antimissiles jusqu’à ce que son
efficacité ait été démontrée par des tests réalistes. » [41]

Peut-être donc la mise à exécution du programme sera-t-elle ralentie.
Toutefois, il serait illusoire d’en conclure que la défense antimissiles
sera enterrée sous la présidence de Barack Obama. Au contraire, ce dernier
souhaite un système « performant », « efficient en termes de coûts » et qui
fonctionne. Mais avant tout, l’Administration Obama devrait sans doute
pousser les membres européens de l’OTAN à prendre en charge une part des
immenses coûts de ce système. La Russie – mais aussi les « États voyous »
visés par cette stratégie nucléaire – ne toléreront pas sans mot dire cette
stratégie agressive et prendront des mesures de rétorsion. Si donc l’OTAN,
lors du Sommet d’avril 2009, devait mettre son projet à exécution et
accélérer le déploiement d’un bouclier antimissiles, la course aux armements
risque d’être relancée.


*Appendice : Le réseau du lobby pour la défense antimissiles*

Les auteurs de l’étude « Towards a Grand Strategy for an Uncertain World »
sont intimement impliqués dans réseau du lobby des armements et du
nucléaire. Après sa carrière militaire, John Shalikashvili fut directeur
chez Boeing, un groupe qui construit entre autres des missiles porteurs
d’armes nucléaires des États-Unis. Jacques Lanxade a travaillé pour le
constructeur d’armements EADS qui fournit le nouveau missile M51 destiné aux
forces nucléaires françaises. Lord Inge et Klaus Naumann sont membres du
conseil de surveillance de la Sté OWR AG qui livre aux militaires du monde
entier (en particulier de l’armée américaine) des systèmes de protection et
de décontamination atomique, biologique, bactériologique et chimique.

.Aux États-Unis tout particulièrement, la politique – militaire avant tout –
n’est pas l’apanage de la seule Maison Blanche. Énorme est le pouvoir du
complexe militaro-industriel, du Pentagone et de l’industrie des armements,
des thinks tanks et des laboratoires d’armes nucléaires qu’ils financent.
Même le gouvernement dirigé par le président démocrate Bill Clinton a dû
payer un tribut à cette influence. Sa tentative de modifier radicalement la
stratégie américaine de guerre nucléaire, le dimensionnement et la structure
des forces nucléaires a été réduite à néant par une « fronde de la
bureaucratie militaire ». Dans ce domaine règne « l’interdiction pratique
d’une pensée alternative », le contrôle civil et les principes démocratiques
sont invalidés. [1]

En son temps, Clinton a dû faire machine arrière et accepter une Nuclear
Posture Review qui maintenait en service la triade composée de bombardiers,
de missiles intercontinentaux et de sous-marins nucléaires lanceurs
d’engins, qui prévoyait une réserve d’ogives supérieure aux limitations du
Traité START II et, qui pour la première fois, menaçait d’utiliser l’arme
atomique contre des pays ne disposant eux-mêmes pas de telles armes. Un
document-clé relatif à la défense antimissiles, le « National Missile
Defense Act of 1999 », porte la signature du président démocrate Bill
Clinton. Citation : « Il est dans la politique des États-Unis de développer
aussi rapidement que la technologie le permettra un système national
efficace de défense antimissiles qui soit en mesure de défendre le
territoire des États-Unis contre des attaques limitées de missiles
balistiques. » [2]

Certains observateurs s’attendent à ce que « le consensus politique
bipartisan » se prolonge sur ce sujet de la défense antimissiles. « Mais
plus important encore, les budgets constants de 9 à 10 milliards de dollars
par an ont généré un énorme réseau étroitement tissé (…). Ce solide réseau
d’acteurs et d’intéressés a métamorphosé ‘l’animal ABM-SDI-BMD-MD’ en un
dinosaure insatiable qui réclame constamment de la nourriture. » [3] Pour
des géants américains de l’armement comme TRW, Raytheon et Lockheed (mais
aussi pour des firmes de l’armement comme Thalès, Diehl et EADS dans l’UE),
l’enjeu est énorme. Depuis le milieu des années 1980, les États-Unis ont
dépensé au total plus de 110 milliards de dollars pour la défense
antimissiles. »[4] Ces groupes feront tout pour sauvegarder leurs prébendes
et les perspectives de profits futurs, et même dans l’équipe d’Obama, il
devrait sans doute se trouver suffisamment de personnes pour les appuyer en
ce sens.

A[1] Harald Müller, Annette Schaper : US-Nuklearpolitik nach dem Kalten
Krieg (La politique nucléaire des États-Unis après la guerre froide »),
op.cit.

A[2] www.whitehouse.gov/news/releases/2003/05/20030520-15.html

A[3] Bernd W. Kubbig : Has Missile Defense Up to Its Promises? State o the
Art, Transatlantic Relations and International Challenges, Berlin, 24 juin
2008.

A[4] Center for Security Studies (CSS) : US-Raketenabwehr: Eine strategische
Herausforderung für Europa (La défense antimissiles américaine, défi
stratégique pour l’Europe) ; Analysen zur Sicherheitspolitik n° 12, Zurich,
avril 2007.


*Remarques :*

[1] Alexander Bitter : Die NATO und die Raketenabwehr. Implikationen für
Deutschland vor dem Gipfel in Bukarest 2008, (L’OTAN et la défense
antimissiles. Implications pour l'Allemagne avant le Sommet de Bucarest),
étude de la Fondation Science et Politique (SWP), octobre 2007.

[2] Le projet MEADS a été adopté par le Bundestag allemand en avril 2005
avec les voix du SPD, des Verts et de la CDU/CSU. Son efficacité est
contestée. D’après le plan de la Bundeswehr pour 2006, son coût sera
d’environ 3,8 milliards d’euros, alors que la Cour fédérale des comptes
l’estime à plus de 6 milliards d’euros. Cf. par ex. Bernd W. Kubbig :
Raketenabwehrsystem MEADS: Entscheidung getroffen, viele Fragen offen
(Système de défense antimissiles MEADS : la décision prise laisse de
nombreuses questions en suspens), Rapport 10/2005 de la HSFK (Fondation
d’irénologie et de conflictologie du Land de Hesse).

[3] La société Science Applications International Corporation (SAIC/USA) a
été chargée de diriger le consortium dont font par ailleurs partie Boeing
(États-Unis), Diehl (Allemagne), EADS ST (France), IABG (Allemagne), TNO
(Pays-Bas), Raytheon (États-Unis), Alenia Spazio (Italie) et Thalès
(France).

[4] Alexander Bitter: Die NATO und die Raketenabwehr … (L’OTAN et la défense
antimissiles … ). Tous les chiffres relatifs aux coûts de la défense
antimissiles européenne reposent sur des estimations grossières, comme le
concède dans son étude la Fondation Science et Politique (SWP). D’autres
scénarios encore considèrent que le total des coûts sera de 50 milliards
d’euros.

[5] Déclaration du Sommet de Bucarest, 3 avril 2008, point 37.

[6] Alexander Bitter : Die NATO und die Raketenabwehr … (L’OTAN et la
défense antimissiles …).

[7] Le Concept stratégique de l’Alliance, 24 avril 1999, point 62.

[8] Cf. par ex. Marylia Kelley : Das Kernwaffenprogramm der USA: eine
Herausforderung für Abrüstungsbemühungen (Le programme nucléaire des
États-Unis : défi lancé aux efforts de désarmement), Wissenschaft und
Frieden n° 1/2005.

[9] Cf. par ex. Jürgen Wagner : Vom Containment zur Pax Americana: Die
Nationale Sicherheitsstrategie der USA (De la politique d’endiguement à la
Pax Americana : la stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis),
Sozialismus, novembre 2002.

[10] Harald Müller, Annette Schaper : US-Nuklearpolitik nach dem Kalten
Krieg (La politique nucléaire des États-Unis après la guerre froide),
Rapport 3/2003 de la HSFK (Fondation d’irénologie et de conflictologie du
Land de Hesse).

[11] Robert Kagan, William Kristol : The Present Danger in The National
Interest, n° 59, printemps 2000. Cité ici d’après Thomas Mitsch, Jürgen
Wagner : Erstschlag und Raketenabwehr: Die nukleare Dimension des neuen
Kalten Krieges und die Rolle der NATO (Première frappe et défense
antimissiles : la dimension nucléaire de la nouvelle guerre froide et le
rôle de l’OTAN ), AUSDRUCK – Das IMI-Magazin juin 2007.

[12] Martin Deuerlein : Zwischen atomarer Abrüstung und atomarer Aufrüstung:
Die amerikanischen Programme für neue nukleare Gefechtsköpfe (Entre armement
et désarmement nucléaire : programmes américains pour de nouvelles têtes
nucléaires), papier de discussion du Groupe de recherches politique de
sécurité, Fondation Science et Politique, novembre 2008.

[13] Naumann, Klaus et al. : Towards a Grand Strategy for an Uncertain
World: Renewing Transatlantic Partnership,
http://www.worldsecuritynetwork.com/documents/3eproefGrandStrat(b).pdf
<http://www.worldsecuritynetwork.com/documents/3eproefGrandStrat%28b%29.pdf%3Cbr>/>
[14] Markus Frenzel : Einsatzoption Atombombe? (La bombe atomique, une
option envisageable ?), magazine de l’ARD « Fakt » du 21 avril 2008,
manuscript de l’émission http://ww.mdr.de/fakt/5443020.html
<http://ww.mdr.de/fakt/5443020.html%3Cbr> />
[15] Ibid.

[16] Traynor, Ian : Pre-emptive nuclear strike a key option, Nato told in
Brussels, The Guardian, 22 janvier 2008.

[17] Le Canard Enchaîné : Les minibombes nucléaires à l’ordre du jour du
Sommet, DPA, 2 avril 2008.

[18] Fondation Konrad-Adenauer : Raketenabwehr in Europa – die Diskussion in
den USA, Tschechien, Polen und Russland (Défense antimissiles en Europe – Le
débat aux États-Unis, en République tchèque, en Pologne et en Russie),
papier de discussion, août 2007.

[19] Gerhard Mangott, Martin Senn : Rückkehr zum Kalten Krieg? Das
russländisch-amerikanische Zerwürfnis über die Raketenabwehr in Osteuropa,
(Retour à la guerre froide ? La dissension russo-américaine à propos de la
défense antimissiles en Europe de l’Est), IPG 3/2007.

[20] Frank Elbe, Ulrich Weisser : Der Raketenstreit wächst sich zu einer
internationalen Krise aus (La querelle des missiles dégénère en crise
internationale), DGAP-Standpunkt (Publication de la Deutsche Gesellschaft
für Auswärtige Politik e.V.), juin 2007.

[21] Keir A. Lieber, Daryl G. Press : The Rise of U.S. Nuclear Primacy,
Foreign Affairs, mars/avril 2006.

[22] Götz Neuneck, Jürgen Altmann : US-Raketenabwehr – Ein Danaer-Geschenk
für Europa und die Welt?

(La défense antimissiles américaine, cadeau empoisonné pour l’Europe et le
pour monde ?), Wissenschaft und Frieden, n° 1/2008.

[23] Wolfgang Kötter : Großer Lauschangriff auf den russischen Bären (L’Ours
russe sur table d’écoutes), Freitag n° 43/2007.

[24] Ibid.

[25] Gerhard Mangott, Martin Senn : Rückkehr zum Kalten Krieg … (Retour à la
guerre froide …).

[26] Spiegel online, 2 avril 2007.

[27] Gerhard Mangott, Martin Senn : Rückkehr zum Kalten Krieg … (Retour à la
guerre froide …).

[28] Ibid.

[29] Ibid.

[30] La décision prise par l’OTAN le 12 décembre 1979 se solda par le
déploiement en Allemagne de 108 missiles nucléaires Pershing-2 de moyenne
portée. En réduisant à cinq minutes la durée du vol jusqu’à Moscou,
c.&#8209;à&#8209;d. pratiquement sans délai d’alerte et sans concertation
possible en cas de mise à feu accidentelle, ces missiles de moyenne portée
faisaient planer une menace stratégique sur l’Union soviétique.

[31] Restitution intégrale du discours de Poutine à Munich, RIA Novosti, 13
février 2007,

http://de.rian.ru/analysis/20070213/60672011.html
<http://de.rian.ru/analysis/20070213/60672011.html%3Cbr> />
[32] RIA Novosti, 5 novembre 2008.

[33] Neue Zürcher Zeitung, 14 mars 2007.

[34] Le ministre de la Défense Franz Josef dresse un bilan intermédiaire
positif pendant sa visite en Pologne, Ministère fédéral de la Défense,
communiqué de presse, 20 mai 2008.

[35] RIA Novosti, 8 décembre 2008.

[36] Thomas Mitsch, Jürgen Wagner : Erstschlag und Raketenabwehr...
(Première frappe et défense antimissiles...).

[37] Newsletter Défense, n° 13/semaine 44, 28 octobre 2008,
www.gdm-verlag.de/frames/books/books.htm

[38] Op. cit.

[39] Harald Müller, Annette Schaper : US-Nuklearpolitik nach dem Kalten
Krieg... (La politique nucléaire des États-Unis après la guerre froide …).

[40] Richard Herzinger : Amerikas erneuerter Missionsauftrag (Mission
renouvelée pour l’Amérique), Welt am Sonntag, 9 novembre 2008.

[41] Junge Welt, 12 décembre 2008.


Arno Neuber

*La domination mondiale par le contrôle des flux *


*Le rôle de l’OTAN dans la militarisation des migrations*


*Ce texte éclaire divers aspects qui, dans la stratégie de l’OTAN,
restreignent la liberté de circulation des personnes et contribuent à une
militarisation des régimes des États frontières tout autour du globe.
L’auteur entend se démarquer de quelques notions utilisées dans ce contexte
et méprisantes pour l’Homme, telles que « flux migratoires », « Youth Bulge
» (poussée démographique de la jeunesse) et « Surplus Population »
(population surnuméraire). Ces notions ne sont pas de nature à décrire comme
il convient les décisions individuelles, les situations de détresse ou leurs
conséquences – sauf à vouloir dominer le monde et, pour ce faire, analyser
les tendances démographiques à l’échelle continentale comme le fait l’OTAN.*


*L’opération Active Endeavour*

Juste après les attentats du 11 septembre 2001 et pour la première fois dans
son histoire, l’OTAN mettait en œuvre la clause de défense mutuelle et du
même coup se lançait effectivement dans une guerre contre un ennemi
invisible et abstrait, le terrorisme international. L’un des aspects de
cette guerre globale consiste pour l’OTAN à déployer sa flotte
méditerranéenne qui, depuis lors, patrouille en Méditerranée dans le cadre
de l’opération Active Endeavour pour surveiller la navigation commerciale.
Jusqu’en novembre 2007, 88 590 navires ont été contactés, 488 accompagnés et
125 contrôlés dans le cadre de cette mission. Une vidéo de propagande de
l’OTAN intitulée « Defence Against Terrorism » illustre le déroulement de
ces inspections : plusieurs navires de guerre font mouvement vers l’objet
ciblé – un pétrolier en l’occurrence –, survolé par des hélicoptères
embarquant des mitrailleuses et leurs serveurs. Le navire est contacté par
radio et interrogé sur sa provenance, son chargement et sa destination. Ces
indications sont rapprochées des données de l’« intelligence network » de
l’OTAN. Des inspections sont effectuées en cas d’incohérences, mais aussi
sur un principe aléatoire. L’équipage doit se rassembler sur le pont, des
soldats de l’OTAN vêtus de gilets pare-balles embarquent sur des
pneumatiques et montent à bord du navire en pointant leurs armes. Ils
jettent un coup d’œil sur les journaux de bord et le chargement, arpentent
les couloirs et les salles du pétrolier. De tels contrôles en mer ne sont
admissibles qu’en état de guerre, effectivement proclamé en Méditerranée
lorsque l’OTAN a fait jouer le mécanisme de solidarité militaire,
aujourd'hui encore en vigueur. Officiellement, l’opération Active Endeavour
a pour but d’empêcher l’irruption de terroristes en Europe, mais surtout
d’armes et de substances de combat transitant par la Méditerranée. En outre,
ces contrôles comportent des recherches « non spécifiques ». Les soldats
cherchent à se faire une image du navire et sont attentifs à tout ce qui est
suspect. « Jusqu’ici, toutes les inspections se sont avérées négatives »,
est-il dit dans le film, « en d’autres termes, nous n’avons jamais découvert
d’armes ou de matériel suspect ». Sans qu’il faille toutefois sous-estimer
l’effet préventif de l’opération. Ce déploiement militaire en Méditerranée
vise à intimider les équipages des navires et à les contraindre à une
obéissance obséquieuse. Ce qui implique notamment d’inspecter le chargement
avec minutie, de se montrer intraitable envers les passagers clandestins et,
dans le doute, de ne pas secourir des réfugiés sur une embarcation en
perdition. En effet, le sauvetage de naufragés en Méditerranée a déjà
entraîné plusieurs plaintes contre les équipages des navires. Du moins
l’ambassadrice des États-Unis à Malte tente-t-elle d’accréditer l’efficacité
de la militarisation de la Méditerranée – l’une des plus importantes
frontières extérieures de l’UE et un espace séparant les deux rives d’un des
plus importants différentiels de richesse au monde – comme faisant partie
d’une stratégie de retranchement de l’UE à l’encontre de migrants
indésirables. L’opération Active Endeavour aurait un « effet secondaire
utile » : « Dans la partie occidentale de la Méditerranée, là où a débuté la
mission, les migrations clandestines ont été réduites de 50 %. »[1] Il est
toutefois douteux d’y voir la principale raison d’être de l’opération, qu’il
faut davantage rechercher dans un objectif à long terme : maîtriser
militairement les flux de marchandises, d’informations et de personnes qui,
aux yeux des stratèges de l’OTAN, constituent essentiellement le monde
globalisé qu’il s’agit ainsi de dominer. Le terrorisme est actuellement le
principal prétexte avancé pour justifier cet objectif – en Méditerranée et
ailleurs.


*Une Afrique hérissée de frontières*

De même, c’est largement par hasard que l’OTAN, qui avait initialement
choisi la Mauritanie pour effectuer ses premières manœuvres officielles en
Afrique en 2006 (Steadfast Jaguar), s’est rabattue sur les îles Cap-Vert,
d’où le nombre de réfugiés embarqués vers les Canaries avait peu avant monté
en flèche en raison précisément du verrouillage progressif de la
Méditerranée. L’intérêt de l’OTAN pour la côte ouest-africaine est en
premier lieu motivé par les ressources naturelles qui s’y trouvent et par
les terminaux des oléoducs du Nigéria et de la République centrafricaine.[2]
La côte du Nigéria en particulier est vue comme un « point chaud » de la
piraterie, et des escadres navales internationales ont donc pour mission de
mieux la contrôler pour garantir un approvisionnement sûr et bon marché du
Premier Monde en pétrole du Tiers-Monde. Mais là encore, on risque
d’interpréter trop étroitement les intérêts de l’OTAN en ne pensant qu’au
pétrole. Un an plus tard, en juillet 2007, une partie de la flotte
méditerranéenne de l’OTAN a contourné toute l’Afrique pour « démontrer la
capacité de l’OTAN à garantir la sécurité et le droit international en haute
mer. »[3] La flotte a longé la côte ouest-africaine, affirmé visiblement sa
présence dans le delta du Niger puis filé vers l’Afrique du Sud pour un
exercice conjoint avec la marine de ce pays. Enfin, les navires de guerre
ont visité les Seychelles, et avant de regagner la Méditerranée par le canal
de Suez, ils ont effectué des manœuvres au large de la Somalie – où
d’ailleurs des bâtiments de l’OTAN croisent en permanence, depuis 2001 là
aussi, dans le cadre de l’opération Enduring Freedom.

Par ailleurs, dans le cadre de l’initiative « Africa Partnership Station »
lancée par la marine des Etats-Unis, des navires de guerre américains font
régulièrement escale dans des ports d’Afrique occidentale pour effectuer des
exercices conjoints ou dispenser des formations aux garde-côte et aux
marines respectives. Cette initiative vise à « améliorer l’aptitude des
nations participantes à étendre à la mer le règne du droit et à mieux
combattre la pêche illégale, la traite d’êtres humains, le trafic de drogue,
le vol de pétrole et la piraterie ».[4] Bien que ces missions soient
strictement américaines a priori, les forces des États-Unis empruntent
presque toujours les bases de l’OTAN en Europe pour opérer en Afrique,
nombre de bâtiments engagés y ont leur port d’attache et font temporairement
partie d’escadres de l’OTAN. L’UE aussi est militairement active en Afrique
occidentale et souhaite élargir son engagement, jusqu’ici limité à la
Guinée-Bissau. Elle motive son action par le trafic de drogue qui partirait
de cette région et par le peu de fiabilité des forces de sécurité. En
réformant les polices et les armées des pays concernés, en installant sa
propre technologie de surveillance, elle aspire à mieux surveiller les ports
et les aéroports.[5] En effet, les carrefours internationaux qui ne sont pas
sujets à son propre contrôle sont perçus comme une menace en soi pour la
sécurité européenne.

Hormis l’endiguement des migrations, la lutte contre la drogue est un autre
but poursuivi par le projet espagnol Sea Horse Network. Il consiste pour
l’essentiel à transmettre aux organes de sécurité intéressés des
photographies de la côte ouest-africaine prises en temps réel par des
satellites européens, mais il comprend aussi des programmes de formation des
forces de sécurité engagées dans la gestion des frontières.[6] Les
États-Unis projettent dans presque tous les États africains des programmes
similaires placés sous le signe du contre-terrorisme. La sécurisation des
frontières en Afrique est considérée comme l’instrument majeur de la guerre
contre le terrorisme. Serait-ce simplement parce qu’en soi les États dits «
en échec » passent pour être un repaire et une base de repli de terroristes,
la plaque tournante d’armes (de destruction massive), et parce que le
contrôle de ses propres frontières, du point de vue de l’Occident, est l’un
des attributs essentiels de l’étatité. Mais aussi parce des analyses
semblent avoir montré que des États très instables offraient certes des
possibilités de financement et de recrutement à des groupes terroristes dont
les réseaux doivent toutefois s’appuyer sur un minimum d’infrastructure (et
donc sur des États un peu plus stables) pour opérer à l’échelle
internationale. C’est pourquoi une grande importance est également reconnue
aux frontières intérieures africaines.[7] Quoi qu’il en soit, les
franchissements incontrôlés des frontières, ce qui est la normale entre
nombre de pays africains, sont perçus comme une menace. Il s’agit donc d’y
faire obstacle grâce à des programmes tels que la Pan Sahel Initiative (PSI,
rebaptisée par la suite Trans-Sahara Counter Terrorism Initiative ­– TSCTI)
dans le cadre de laquelle le Tchad, le Niger, le Mali et la Maurétanie ont
reçu des formations et des équipements pour la protection des frontières.[8]
Par là-même, les États-Unis vont au-devant de l’Union européenne qui, dans
les mêmes pays et en particulier en Afrique du Nord, s’efforce de boucler
les frontières interafricaines pour les migrants potentiels vers l’UE. Les
initiatives américaines, tout d’abord dirigées de Stuttgart par le
Commandement européen de l’armée américaine (EUCOM), le sont désormais par
l’AfriCom (Centre de commandement militaire des Etats-Unis pour l'Afrique),
basé auprès de l’EUCOM et tout aussi étroitement imbriqué dans l’OTAN.


*Une Eurasie hérissée de frontières*

En tout état de cause, l’OTAN a fait sienne, dans le cadre de son programme
« Partnership for Peace » (PfP), l’argumentation esquissée ci-dessus : « Les
frontières sont une des premières lignes de défense contre le terrorisme.
»[9] Conçu en 1994 pour des candidats potentiels à l’adhésion dans les
Balkans et la Baltique, cet instrument sert pourtant aujourd'hui à l’OTAN de
levier d’influence jusque dans les profondeurs de l’espace asiatique. Dans
le cadre du PfP, l’OTAN pousse ses partenaires – même les États qui ne
pourront jamais en devenir membres – à remodeler leur secteur de sécurité et
donc la protection de leurs frontières conformément à ses propres vues,
ainsi qu’à coopérer avec des organisations internationales comme
l’International Organization for Migration (IOM) ou Interpol. Le module du
PfP chargé de lutter contre le terrorisme (PAP-T) prévoit l’échange
d’informations entre services secrets sur la criminalité et les transferts
de fonds transnationaux, ainsi que la formation et l’équipement des
autorités nationales de protection des frontières. L’École de l’OTAN
d’Oberammergau ainsi que les centres de formation du PfP en Grèce et en
Turquie proposent des cours sur la « sécurisation des frontières » qui, de
manière explicite, portent aussi sur les moyens de faire obstacle aux
migrations « clandestines ».[10] De même, le Centre européen George C.
Marshall de l’OTAN à Garmisch organisait par exemple, en avril 2007, une
conférence de cinq jours sur l’échange de best practices dans la protection
des frontières, avec la participation de représentants de 26 membres de
l’OTAN et États partenaires.[11] De plus, l’OTAN organise l’échange
d’informations sur les itinéraires migratoires, entre partenaires
réciproquement et avec des organisations internationales. Elle prend ainsi
une part directe dans l’aménagement du régime politique de pays frontières
tels que la Moldavie, mais aussi le Tadjikistan, l’Ousbékistan et
l’Azerbaïdjan. En Asie centrale, la « sécurisation des frontières » est l’un
des points forts de son action.[12] Interrogé sur les futures missions de
l’OTAN, Peter W. Singer de la Brookings Institution répondit en mentionnant
notamment l’expérience acquise par l’Alliance en exportant la sécurisation
des frontières dans les Balkans et en Asie centrale. L’OTAN ne doit pas se
restreindre aux fonctions militaires classiques, mais au contraire assurer
aussi davantage de « nouvelles fonctions de sécurité ».[13]

En matière de gestion des frontières, l’OTAN a effectivement accumulé dans
les Balkans une expérience considérable, quoique pas toujours glorieuse.
Tous les États des Balkans (à l’exception du Kosovo) sont ou ont été
partenaires du programme PfP, ils ont conformé leur secteur de sécurité,
protection des frontières comprise, aux attentes de l’OTAN, ou sont en train
de le faire. Au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine, l’OTAN a elle-même assuré
dans l’intervalle la protection des frontières dans le cadre de missions
militaires d’occupation, puis a participé directement à la mise sur pied
d’unités de protection des frontières constituées de personnels locaux. De
concert avec l’UE et l’OSCE, elle a par ailleurs engagé le processus d’Ohrid
en 2003 pour mieux sécuriser les frontières, améliorer la coopération entre
les garde-frontière des États des Balkans occidentaux et adapter leurs
régimes de migration aux exigences de l’UE.

De même, l’OTAN est impliquée dans un durcissement et une militarisation de
la surveillance des frontières dans la région de la mer Noire qui, selon les
dires d’Ilkka Laitinen, le directeur de Frontex, est un des points chauds
des migrations clandestines et un futur champ d’action de cette Agence
européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières
extérieures des Etats membres de l'UE[14]. De même, l’OTAN attache à cette
région une énorme importance stratégique, non seulement parce que sa propre
zone d’influence confine ici à celle de la Russie et que les exutoires de
plusieurs oléoducs se situent en mer Noire, mais aussi parce que l’OTAN
considère la mer Noire comme une zone par laquelle transitent sans contrôle
des personnes, des armes et des stupéfiants – en particulier à partir de
l’Afghanistan. Raison pour laquelle elle entendait étendre à cette région
son engagement Active Endeavour décrit ci-dessus, mais elle a échoué sur
l’opposition de la Russie et de la Turquie. Au lieu de cela, ces deux pays
ont entamé leur propre opération, Black Sea Harmony, sur le modèle de Active
Endeavour.[15] Auparavant, ils avaient aussi participé, du moins
passagèrement, à l’opération méditerranéenne de l’OTAN pour en étudier les
pratiques.

De concert avec le quartier général des États-Unis pour l’Eurasie et l’UE,
l’OTAN élabore en outre une stratégie la mettant à même d’intervenir dans
les coopérations de sécurité dans l’espace de la mer Noire. Deux initiatives
méritent une mention particulière : au sein de la SECI (Southeast European
Cooperation Initiative) basée à Bucarest, 24 fonctionnaires des douanes et
des polices de tous les États balkaniques, de Hongrie et de Moldavie
travaillent ensemble sous la « conduite et l’assistance » d’Interpol et de
l’Organisation douanière mondiale. Cette coopération s’est par exemple
soldée en 2004 par l’arrestation de 500 « passeurs ». Au siège du Black Sea
Border Coordination and Information Center (BBCIC) établi en Bulgarie, les
garde-côte de six pays riverains de la mer Noire échangent des informations
presque quotidiennes. L’OTAN escompte désormais renforcer ces deux centres
situés sur le territoire de deux de ses membres et inciter d’autres États
riverains à adhérer par les techniques évoluées de renseignement qu’elle
pourrait leur fournir. Les États-Unis envisagent, par le déploiement de
drones et la transmission de renseignements, de peser notamment sur la
politique ordonnatrice de la Russie en mer Noire.[16]


*Les migrations, traduction d’une politique sociale indigente*

Que ce soit en Afghanistan, en Bosnie-Herzégovine ou au Kosovo : partout où
l’OTAN a procédé à des occupations militaires et participé à la construction
de nouveaux États, elle était avant tout guidée par des aspects sécuritaires
ou des intérêts stratégiques. Économiquement parlant, ces États ont été
édifiés sur une idéologie strictement néolibérale. La mise en place de
systèmes de prévention sociale a été sciemment ignorée dans l’espoir
d’attirer des investissements étrangers directs, lesquels pourtant se
souvent fait vainement attendre ou ont pu rapatrier les bénéfices vers
l’étranger dans une proportion de presque 100 %.[17] Dans le même temps, des
milliards étaient investis dans la mise sur pied de nouvelles polices,
armées et unités de garde-frontière. Conséquence, des catégories de
population paupérisées et sans perspective aucune sont d’autant plus
vulnérables aux idéologies révolutionnaires de tout type, contraintes de
gagner leur pain dans le secteur informel ou criminel, ce qui par ricochet
requiert à long terme une pacification militaire. Le Kosovo est sans doute
l’exemple le plus flagrant d’un État né des bombardements effectués par
l’OTAN pour faire prévaloir ses propres intérêts géopolitiques, mais ne
pouvant survivre économiquement, dont le taux de chômage des jeunes s’élève
à 75 % et le taux de pauvreté officiel à 40 % de la population.[18] La
communauté internationale a depuis longtemps abandonné l’espoir d’un
développement économique pouvant répondre à la forte croissance
démographique. Même la transformation du lignite en électricité – « unique
potentiel économique » du Kosovo – ne pourrait générer dans des meilleures
conditions qu’un maximum de 20 à 30 000 emplois par an, alors que 36 000
jeunes sont lâchés année après année sur le marché du travail. « Pression
migratoire », jusqu’ici contenue militairement, notamment par les mesures
décrites ci-dessus. Mais en 2007, l’Institut de politique européenne,
s’appuyant sur des informations des services secrets, mettait en garde
contre des « soulèvements de type révolutionnaire » provoqués dans les
années à venir par cette détresse économique. Dans les années passées,
certaines voix se sont donc élevées pour faire valoir des raisons de
sécurité et réclamer l’attribution facilitée de visas à de jeunes Kosovars
qui pourraient alors travailler à l’étranger et venir en aide à leurs
familles par l’envoi de devises. Toutefois, le Centrum für Angewandte
Politikforschung (CAP) mettait les choses au point : « Cela suppose
l’application effective d’accords de rapatriement du côté des États
occidentaux des Balkans ».[19]


*Le péril démographique*

La composition de la population a désormais fait son entrée dans les
analyses des risques et les stratégies de sécurité occidentales. Une menace
très sérieuse est vue dans le « Youth Bulge » [20], terme désignant une
proportion particulièrement forte de jeunes (hommes) dans la population
totale, survenant notamment quand l’espérance de vie augmente grâce à
l’amélioration des conditions d’hygiène ou des soins médicaux, alors que le
taux de natalité d’une société ne diminue pas en proportion, ce qui est le
cas de nombreux pays arabes. Si les politiques n’ont pas la volonté ou la
capacité – par exemple du fait d’une faible conjoncture ou de programmes
d’ajustement néolibéral – de développer les infrastructures publiques en
conséquence (jardins d’enfants, écoles, construction de logements,
équipements sociaux), il y a un risque d’apparition d’une « Surplus
Population » [21], d’une population surnuméraire. « Demographic trends
affect urbanisation, crime and terrorism » – les évolutions démographiques
ont une incidence sur l’urbanisation, la criminalité et le terrorisme.[22]
Raison pour laquelle même des officiers de haut rang de l’OTAN, dans leur
proposition pour une nouvelle stratégie de l’OTAN, identifient la «
démographie » – « croissance et évolutions de la population autour de la
planète » – comme le premier de six « principal challenges », ou défis
fondamentaux posés à la « communauté globale ». Les risques ne sont pas
seulement liés à la croissance de la population dans le monde arabe et en
Afrique, mais aussi à la contraction et au vieillissement démographiques de
l’Europe ; « la Russie devra [en raison du recul démographique] lutter
davantage pour la maîtrise de ses immenses territoires ».


*La domination mondiale par voie d’interdiction*

Globalement, les auteurs du projet stratégique de l’OTAN brossent un sombre
tableau d’une mondialisation qui a généré « une complexité au-delà de la
prévisibilité » et précisément des menaces de même nature. « Être préparé à
l’imprévisible sera l’un des défis majeurs des prochaines années. » Et aucun
pays n’est jugé capable de répondre seul à ces défis. Il s’agit donc de
faire de l’OTAN renouvelée une « Alliance de démocraties » instaurant « une
vaste zone commune de sécurité collective entre la Finlande et l’Alaska »,
institution le mieux à même de former le noyau d’une future « architecture
de sécurité » globale.[23]

Cette prétention à dominer le monde s’exprime d’abord (et
traditionnellement) par l’activité de la marine de l’OTAN qui cherche à
contrôler durablement les principaux goulets d’étranglement du commerce
international en mer et dans un ensemble multinational.[24] L’interdiction,
« c.&#8209;à&#8209;d. le contrôle et l’interruption de la circulation des
personnes et des marchandises »[25] à grande échelle, est la mission
classique de la marine. Dans un univers globalisé et gros de périls
imprévisibles (catastrophes climatiques, épidémies, émeutes, exodes ou
grèves) et qui de surcroît a déclaré la guerre au terrorisme, il ne suffit
toutefois pas de contrôler les navires containers. Toute protection d’usine
et tout poste frontière fait alors partie de l’architecture de sécurité. De
l’avis de stratèges militaires, l’interdiction est donc l’une des missions
essentielles de futures forces armées.

Pourtant, les armées de l’OTAN ne peuvent ni ne doivent surveiller chaque
poste frontière et chaque tronçon côtier (des forces « plus civiles »
convenant d’ailleurs mieux pour aborder des bateaux de pêche, des navettes
et des touristes) ; mais il leur faut veiller à ce que les contrôles aient
effectivement lieu et en influencer les modalités. Ainsi, l’OTAN affiche sa
présence au large de l’Afrique occidentale, tandis que les États-Unis et
l’UE y forment des gendarmeries. C’est pourquoi l’OTAN appuie des
coopérations locales telles que la SECI et le BBCIC, conseille des
fonctionnaires des douanes d’Asie centrale et d’Europe occidentale, contrôle
des tankers en Méditerranée. En parallèle, Frontex coordonne l’action de ses
membres, des ministères de la Défense, services secrets et garde-côte
respectifs. Afin qu’aucun cotre de pêche ne se risque plus à la traversée et
qu’aucun pneumatique ne débarque subrepticement en Europe.


Remarques:

[1] A Potential for growth, Vanessa Macdonald dans une interview de Molly
Bordonaro, ambassadrice des États-Unis à Malte, http://malta.usembassy.gov/
<http://malta.usembassy.gov/%3Cbr> />
[2] Martin Pabst : External Interests in West Africa in : Brigadier Walter
Feichtinger, Gerald Hainzl : Sorting Out the Mass - Wars, Conflicts, and
Conflict Management, Études et Rapports sur la politique de sécurité par
l’Académie autrichienne de Défense nationale, 1999.

[3] NATO naval force sets sail for Africa, NATO-News du 30 juillet 2007.

[4] http://en.wikipedia.org/wiki/Africa_Partnership_Station (13 janvier
2009).

[5] Christoph Marischka : Was kostet Guinea-Bissau? (Que coûte la
Guinée-Bissau ?), Telepolis du 13 juin 2008, et : EU plant weiteres
Engagement in Westafrika (L’UE prévoit d’élargir son engagement en Afrique
occidentale), kritische Online-AG Neue Kriege du 14 novembre 2008.

[6] Indra will deploy a communications channel for information exchange
regarding illegal inmigration and drug trafficking, communiqué de presse de
l’entreprise Indra Sistemas S.A. du 9 mai 2008.

[7] Jessica R. Piombo : Terrorism and U.S. Counter-Terrorism Programs in
Africa - An Overview, in : Strategic Insights, volume VI, 1ère édition
(janvier 2007).

[8] Ibid. Concernant les programmes et les coopérations menés par les
États-Unis dans presque tous les pays de la Terre pour lutter contre les
stupéfiants, le document suivant en donne un précieux aperçu : US Department
of State: International Narcotics Control Strategy Report 2008,
http://www.state.gov/documents/organization/102583.pdf
<http://www.state.gov/documents/organization/102583.pdf%3Cbr> />
[9] The Partnership Action Plan against Terrorism - How does cooperation
work in practice? Nato-Topics du 30 janvier 2008.

[10] Ibid.

[11] Marshall Center border security conference focuses on best practices,
communiqué de presse du George C. Marshall European Center for Security
Studies d’avril 2008.

[12] Alexander Catranis: NATO's Role in Central Asia, in: Central Asia and
the Caucasus 5/2005.

[13] New Thinking on Transatlantic Security: Terrorism, NATO, and Beyond,
discours de Peter W. Singer lors du « Workshop on Transatlantic Challenges »
de la Fondation BMW Herbert Quandt le 26 novembre 2002.

[14] Déclaration d’Ilkka Laitinen pendant une manifestation de la Commission
européenne au « Europäisches Haus » de Berlin le 19 mai 2008.

[15] Eugene Rumer / Jeffrey Simon : A Euro-Atlantic Strategy for the Black
Sea Region, National Defense University / Institute for National Strategic
Studies Staff Analysis, janvier 2006.

[16] Ibid.

[17] Concernant en particulier l’exemple de l’Afghanistan, cf. Jürgen Wagner
: Neoliberaler Kolonialismus - Protektorate, Aufstandsbekämpfung und die
westliche Kriegspolitik (Colonialisme néolibéral - Protectorats, répression
des soulèvements et politique de guerre occidentale), in : Widerspruch 53 -
Weltordnung, Kriege und Sicherheit.

[18] Institut für Europäische Politik (IEP) : Operationalisierung von
Security Sector Reform (SSR) auf dem westlichen Balkan (Opérationnalisation
de la Security Sector Reform (SSR) dans les Balkans occidentaux), janvier
2007.

[19] Dominik Tolksdorf : Der westliche Balkan nach dem Ahtisaari-Vorschlag -
Handlungsfelder auf dem Weg in die EU (Les Balkans occidentaux après la
proposition d’Ahtisaari – Champs d’action sur la voie vers l’UE), Fondation
Bertelsmann / CAP : Reform-Spotlight 1/2001.

[20] US Departement of the Army: Army Modernization Strategy 2008,
http://downloads.army.mil/docs/08modplan/Army_Mod_Strat_2008.pdf
<http://downloads.army.mil/docs/08modplan/Army_Mod_Strat_2008.pdf%3Cbr> />
[21] Cette notion provient du Rapport du Programme UN-HABITAT « The
Challenge of Slums » de 2003. Elle a été reprise de manière critique par
Mike Davis dans Planet of Slums (Verso, 2006). Dans un genre comparable :
Zygmunt Bauman : Wasted Lives - Modernity and Its Outcasts, Polity Press,
2004.

[22] Général en retraite Klaus Naumann, entre autres : Towards a Grand
Strategy for an Uncertain World: Renewing Transatlantic Partnership,
http://www.csis.org/media/csis/events/080110_grand_strategy.pdf
<http://www.csis.org/media/csis/events/080110_grand_strategy.pdf%3Cbr> />
[23] Ibid.

[24] Lothar Rühl : Nicht nur eine Definitionsfrage - deutsche
Sicherheitsinteressen in Afghanistan (Plus qu’une question de définition –
Intérêts de sécurité allemands en Afghanistan) in : Strategie & Technik 50
(2007).

[25] Stephan Böckenförde : Sicherheitspolitischer Paradigmenwechsel von
Verteidigung zu Schutz (Changement de paradigme dans la politique de
sécurité, de la défense à la protection) in : Europäische Sicherheit, août
2007.


Christoph Marischka

*Ban Ki-moon ou la soumission de l’ONU à l’OTAN


Le Secrétaire général de l’ONU encense l’OTAN – en secret et en solo*


À l’insu de la plupart des observateurs et ignorant des structures des
Nations unies, le Secrétaire général de l’Organisation, M. Ban Ki-moon, a
signé un accord avec l’OTAN dès le 23 septembre 2008. Apparemment peu fières
de ce document d’une page, les Nations unies l’ont à ce jour gardé secret.
Des fuites ont toutefois porté sa substance à la connaissance du public,
déclenchant de vives critiques, en particulier à l’encontre du Secrétaire
général.

« Le Secrétaire général des Nations Unies et le Secrétaire général de
l’Organisation du Traité, se félicitant de plus d’une décennie de
coopération entre l’ONU et l’OTAN à l’appui des travaux des Nations Unies
dans le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde... » C’est par
ces mots que débute la déclaration commune. Les États-Unis, la France et la
Grande-Bretagne, tous trois membres permanents du Conseil de sécurité,
auraient poussé Ban Ki-moon à signer le document. Quant à la Russie, elle
aussi membre permanent dudit Conseil et seul ennemi dont l’OTAN puisse somme
toute encore se prévaloir, elle a eu vent de l’accord en question avant sa
signature et a pressé le Secrétaire général de s’expliquer. Elle n’a
toutefois reçu que des réponses évasives.[1] Après la signature, Sergueï
Lavrov, ministre russe des affaires étrangères, a eu des propos critiques à
l’encontre de M. Ban Ki-moon : « De tels accords ne devraient pas être
signés avant d’avoir été portés à la connaissance de l’ensemble des États
membres. Cela n’a pas été le cas en l’occurrence et cet accord a été signé
en secret par les deux Secrétariats généraux. »[2] Alfred de Zayas, ancien
secrétaire de la commission des droits de l’homme des Nations unies, a jugé
pour sa part qu’il s’agissait à l’évidence « d’un affront à la Chine et à la
Russie, ainsi qu’au bloc des États non alignés »,[3] ajoutant que le
Secrétaire général avait outrepassé ses compétences et fait des Nations
unies une organisation définitivement partisane. À ses yeux, c’est
précisément cette partialité, dont l’ONU a déjà fait montre dans le passé,
qui serait à l’origine, entre autres choses, de la mort en Iraq de nombreux
collaborateurs de l’Organisation, « que les Iraquiens ont perçu – et
perçoivent probablement encore – comme le bras impérialiste de l’OTAN. »[4]


*Une alliance militaire dotée de la force de frappe nucléaire peut-elle être
garante de la paix ?*

La présidence de la Transnational Foundation for Peace and Future Research
(TFF) a formulé une critique similaire et jugé qu’un tel accord
compliquerait plus encore la distinction entre interventions de l’OTAN et
opérations de l’ONU. En conférant ainsi à l’OTAN un « statut particulier »,
les Nations unies pourraient se voir à l’avenir dans l’impossibilité quasi
complète de reprocher à l’Alliance, qui occupe trois des cinq sièges
permanents au Conseil de sécurité, une quelconque violation du droit
international. Par ailleurs, cette fondation qui défend la paix dans le
monde se demande comment l’ONU pourra encore, après la conclusion d’un
accord aussi étroit, défendre ses objectifs de désarmement global et
d’élimination des armes nucléaires, dès lors que les États membres de l’OTAN
prennent à leur compte 70 % des dépenses d’armement dans le monde et que
cette organisation se réserve le droit de répondre par des frappes
nucléaires à des attaques conventionnelles.
Qui plus est, l’accord entre ONU et OTAN aurait été conclu « d’égal à égal
». Rappelons toutefois que l’OTAN est une alliance militaire dotée de la
force de frappe nucléaire, alors que l’ONU a pour objectif, d’après
l’article 1er de sa Charte, de « maintenir la paix et la sécurité
internationales et à cette fin [de] réaliser, par des moyens pacifiques,
conformément aux principes de la justice et du droit international,
l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations [...]
susceptibles de mener à une rupture de la paix. » La TFF dénonce en outre le
moment choisi pour signer un tel accord, alors même que les États membres de
l’OTAN sont actuellement « impliqués dans plusieurs conflits très délicats –
y compris pour les membres du Conseil de sécurité », conflits au rang
desquels figurent la crise géorgienne ou la détérioration de la situation en
Afghanistan.[5]


*Les Nations unies, nouveau véhicule des États-Unis*

D’autres observateurs jugent par contre le moment « significatif » et y
voient un lien avec les élections américaines. Selon eux, M. Obama
souhaiterait lui aussi maintenir la prééminence de son pays sur la scène
internationale, mais préférerait, plutôt que d’ignorer les Nations unies
comme l’avait fait son prédécesseur George W. Bush, instrumentaliser
l’Organisation. C’est ainsi que l’on trouve de nombreux « théoriciens de
l’intervention humanitaire »[6] parmi les conseillers en politique étrangère
du nouveau président. L’invocation du principe de « responsabilité de
protéger » (Responsibility to Protect), mis en avant lors du Sommet organisé
à l’occasion des 60 ans des Nations unies en vue d’en réformer les
structures et explicitement visé dans la déclaration ONU-OTAN, est un grand
pas accompli sur la voie d’une telle instrumentalisation. En énonçant cette
« responsabilité » - qui oscille entre définition et norme de droit
international –, certains États ont tenté de battre en brèche le principe de
souveraineté et l’interdiction d’ingérence qui en découle et, partant,
d’étayer par le droit international la volonté d’États et d’alliances
militaires de mener des guerres d’agression sous couvert de motifs
humanitaires. C’est de cette façon que l’OTAN a justifié sa décision de
bombarder, en 1999, ce qui restait de la Yougoslavie, en violation du droit
international.


*L’exemple de l’UE*

Si l’on considère un accord très comparable signé presque jour pour jour
cinq ans auparavant (24 septembre 2003) entre l’UE et l’ONU, on ne peut que
craindre la prolifération future d’interventions menées par l’OTAN sous son
commandement propre mais avec un mandat de l’ONU. L’accord signé à l’époque
commençait de façon quasi identique:
« Le Secrétaire général des Nations unies et la présidence du Conseil de
l’UE se félicitent de la coopération durable entre les Nations unies et l’UE
dans le domaine de la gestion civile et militaire des crises, notamment dans
les Balkans et en Afrique. »[7]
L’accord signé avec l’OTAN évoquait la création d’ « un cadre pour une
consultation et une coopération élargie entre [les] secrétariats respectifs
» en vue de « développer davantage la coopération entre [les deux]
organisations sur des questions d’intérêt commun, en matière de
communication et de partage de l’information (tout en ne se limitant pas à
cela), y compris sur les questions relatives à la protection des populations
civiles, au renforcement des capacités, à la formation et aux entraînements,
aux enseignements tirés de l’expérience, à la planification et au soutien en
cas d’urgence, et à la coordination et au soutien opérationnels. » Là aussi,
le document signé cinq ans auparavant avec l’UE renferme des formulations
quasi identiques. À cet égard, il importe de souligner le fait – préoccupant
par rapport à l’OTAN – que les termes de cet accord ne sont nullement restés
lettre morte. Suite à sa signature, l’UE et l’ONU ont mis sur pied un comité
de pilotage, auteur d’un « programme de mise en œuvre » dans lequel l’UE
vante ses compétences en matière de règlement des conflits et avance des
propositions portant sur la manière dont elle pourrait intervenir dans le
cadre d’opérations de l’ONU, voire compléter l’action de celle-ci ou s’y
substituer. L’UE a cependant également précisé, durant ce processus, qu’elle
n’entendait plus à l’avenir placer des soldats sous commandement de l’ONU,
mais tout au plus intervenir elle-même – si une telle intervention répondait
à ses intérêts.[8]
Cette étroite convergence entre UE et ONU a trouvé sa première traduction
deux ans plus tard environ, lorsque l’UE a décidé de déployer, parallèlement
à la MONUC, sa propre force d’intervention afin d’assurer le bon déroulement
des élections en République démocratique du Congo. L’intervention au Tchad
et en République centrafricaine, mandatée par les Nations unies, a elle
aussi été convenue de façon passablement informelle entre les deux
organisations. Depuis lors, certaines voix prétendent à Bruxelles qu’en ce
qui concerne l’Afrique en tout cas, on peut rapidement obtenir un mandat
d’intervention des Nations unies pour peu qu’on en manifeste la volonté. Si
cette certitude semble quelque peu présomptueuse, elle n’en témoigne pas
moins clairement de la suffisance dont l’UE fait désormais elle aussi montre
vis-à-vis de l’ONU. Et il semble à tout le moins exact que l’UE peut à tout
moment obtenir du Secrétariat général de l’Organisation une « invitation
officielle » ou une « demande officielle » pour mener les opérations
militaires qu’elle souhaite mener. En tout cas, c’est incontestablement
ainsi qu’a été présenté, en novembre/décembre 2008, un courrier de Ban
Ki-moon au ministre belge des affaires étrangères, courrier dont les
partisans d’une nouvelle intervention de l’UE en République démocratique du
Congo ont fait un argument de poids.


*Le couvert de l’ONU, la marionnette Ban Ki-moon*

Les deux déclarations ont par ailleurs pour point commun de faire fi de la
réalité ou de présenter une vision embellie des coopérations antérieures.
L’accord avec l’UE saluait l’engagement de cette dernière dans les Balkans
et au Congo, celui avec l’OTAN les missions de l’Alliance en Bosnie et en
Afghanistan. Autant de cas où l’ONU ne s’est pas précisément couverte de
gloire, en déléguant ses pouvoirs à l’UE et à l’OTAN ou en légitimant a
posteriori des guerres d’agression. Autant de cas où tant l’UE en Afrique et
dans les Balkans que l’OTAN dans les Balkans et en Afghanistan sont
parvenues à approfondir leur constitution en alliances basées sur
l’intervention militaire. Or, dans le cas bosniaque, mais aussi partout en
Afrique, on peut affirmer que l’UE et les États membres de l’OTAN ont
affaibli les Nations unies en n’apportant qu’un soutien marginal aux
missions menées par ces dernières et en se contentant d’attendre d’être
appelées pour éteindre le brasier.
L’accord récemment conclu avec l’OTAN menace d’entériner un peu plus une
coopération bien rôdée entre l’OTAN, l’UE et l’ONU: pendant que l’ONU
conduit elle-même des opérations de longue durée dans des régions sans
intérêt géostratégique, l’OTAN intervient – avec ou sans mandat de l’ONU –
là où elle entend faire valoir ses intérêts propres. Ensuite, l’UE, mandatée
par l’ONU, se charge de la stabilisation et déploie à l’occasion en Afrique
des missions comparables à des manœuvres pour renforcer ses capacités en la
matière. Pour toutes ces raisons, nombre de collaborateurs et de défenseurs
de l’ONU réclament aujourd’hui un débat poussé et sans préjugé sur ce
document toujours confidentiel et critiquent vertement Ban Ki-moon. À très
juste titre : par cet accord, il porte atteinte à la neutralité et, partant,
à la légitimité des Nations unies et est de plus en plus perçu comme une
marionnette des États-Unis. Comme l’affirmait dès 2006 le ministère fédéral
de la défense dans son projet de livre blanc sur l’armée fédérale, les
Nations unies semblent à vrai dire ne plus avoir pour seule justification
singulière que de légitimer en droit international le recours jugé
nécessaire à la force armée.[9]


Remarques:

[1] UN and NATO sign Secret Military Cooperation Agreement in Violation of
UN Charter - Ban Ki-moon acting beyond his powers [L’ONU et l’OTAN signent
un accord secret de coopération militaire, en violation de la Charte des
Nations unies – Ban Ki-moon outrepasse ses pouvoirs], RIA Novosti
(9.10.2008)

[2] "Russia stunned by UN-NATO cooperation deal" [La Russie choquée par
l’accord de coopération ONU-OTAN], RIA Novosti (9.10.2008)

[3] Alfred de Zayas: Verstoss gegen Uno-Charta [Violation de la Charte des
Nations unies], in: Zeit-Fragen Nr. 48.

[4] Karl Müller: Geheimabkommen zwischen Uno und Nato kann nicht im Sinne
der Weltgemeinschaft sein [L’accord secret entre ONU et OTAN ne peut servir
les intérêts de la Communauté internationale], in: Zeit-Fragen Nr. 48.

[5] TFF PeaceTips du 3.12.2008: Breaking News... Secret UN-NATO Cooperation
Declaration [Dernières nouvelles… Déclaration secrète de coopération
ONU-OTAN]

[6] Jürgen Wagner: Change We Can´t - Barack Obama, der Siegeszug der
"War-Democrats" und die Re-Vitalisierung der NATO [Change We Can’t - Barack
Obama ou la marche triomphale des « War-Democrats » et la relance de
l’OTAN], in: AUSDRUCK (décembre 2008)

[7] Conseil de l’Union européenne: Joint Declaration on UN-EU Co-operation
in Crisis Management [Déclaration commune relative à la coopération ONU-UE
sur la gestion des crises] (CL03-310EN)

[8] Christoph Marischka: Battlegroups mit UN-Mandat - Wie die Vereinten
Nationen die europäische Rekolonialisierung Afrikas unterstützen [Groupes de
combat sous mandat de l’ONU – Comment les Nations unies soutiennent la
recolonisation de l’Afrique par l’Europe], Studien zur Militarisierung
Europas [Études sur la militarisation de l’Europe] 31/2007

[9] Martin Kutscha: Abschied von der Friedensstaatlichkeit? - Stellungnahme
zum Entwurf eines „Weißbuchs zur Sicherheitspolitik Deutschlands und zur
Zukunft der Bundeswehr“ vom 28.April 2006 [L’État a-t-il renoncé à assurer
la paix ? Avis sur le projet de livre blanc du 28 avril 2006 relatif à la
politique de sécurité de l’Allemagne et à l’avenir de l’armée fédérale]


Christoph Marischka

*La brigade franco-allemande à Müllheim *



Lors du sommet franco-allemand de 1987, Helmut Kohl et François Mitterrand
s’accordèrent sur la création d’une unité militaire mixte, la brigade
franco-allemande. L’unité entra finalement en fonction en 1990 et transféra
son état-major en 1992 à Müllheim, dans le Bade-Wurtemberg. En 1993, la
brigade fut intégrée à l’Eurocorps (ou Corps européen), mis sur pied la même
année. L’Eurocorps est un détachement militaire multinationale comptant
environ 60 000 soldats, auquel participent l’Allemagne, la France, la
Belgique, l’Espagne et le Luxembourg. Les 5 000 soldats environ de la
brigade franco-allemande sont stationnés dans trois garnisons différentes en
Bade-Wurtemberg : Donaueschingen, Immendingen et Müllheim. Müllheim est
également le siège de l'état-major de la brigade franco-allemande, de la
compagnie d’état-major et du bataillon de commandement et de soutien.

L’Eurocorps (et donc la brigade franco-allemande) peut être utilisé aussi
bien par l’Union européenne que par l’OTAN : « Le corps est au service de
l’OTAN et de l’Union européenne. Dans cette perspective, son organisation
permet aussi bien des interventions autonomes que la coordination de troupes
multinationales. » [1] Les engagements concrets de la brigade
franco-allemande n’ont eu lieu jusqu’à présent que dans le cadre de l’OTAN,
mais l’envoi à la guerre de la brigade sous drapeau européen n’est qu’une
question de temps. Le profil de compétences de la brigade en fait un fer de
lance des troupes d’intervention occidentales, qui se caractérisent par une
haute flexibilité et une capacité de déploiement rapide et qui sont prévues
pour les interventions de guerre les plus extrêmes. « La brigade
franco-allemande devra répondre dans le futur aux exigences suivantes :

- Capacité d’être engagée en tant qu’unité d’éclaireurs de l’Eurocorps

- Capacité d’autonomie logistique de 30 jours [...]

- Capacité d’intervention en l’espace de 5 à 10 jours pour les forces
d’avant-garde aéroportées, et de 10 à 20 jours pour le reste des troupes,
pleinement opérationnelles

- Capacité de recevoir des contributions multinationales supplémentaires, de
préférence en provenance des autres nations de l’Eurocorps. » [2]


*Fer de lance du militarisme de l’Union européenne *

La brigade franco-allemande a été le premier projet commun de l’Union
européenne de former une composante militaire commune de l’UE : « La
création de la brigade franco-allemande a été une première étape dans la
constitution d’une Europe unie dans le domaine militaire. [Elle représente]
le noyau des forces terrestres européennes. » Au cours du deuxième semestre
de 2008, la brigade franco-allemande a formé la plus grande partie de l’un
des groupements tactiques européens (Battlegroups) : « La brigade peut ainsi
fournir une contribution déterminante à la capacité de réaction militaire
rapide de l’Union européenne. Sur les 2 300 soldats allemands, français,
belges, espagnols et luxembourgeois du groupement tactique, la brigade en
fournit 1 600. Ils doivent « être à tout moment en mesure d’intervenir
partout dans le monde en quelques jours. » [3] Même si la brigade
franco-allemande n’a pas encore pris part à des opérations de guerre pour le
compte de l’Union européenne, comme on l’a souligné, elle est entièrement
destinée à le faire tôt ou tard. La brigade a cependant déjà participé à des
nombreuses interventions dans le cadre de l’OTAN.


*Interventions de l’OTAN *

Les relations entre l’Eurocorps et l’OTAN ont été définies par l’accord
SACEUR du 21 janvier 1993. Cet accord détaille les missions de l’Eurocorps
dans le cadre de l’OTAN, les compétences concernant la planification des
interventions et la subordination de l’Eurocorps à une autorité de
commandement de l’OTAN. Il assure en principe que l’Eurocorps est à
disposition pour des interventions de l’OTAN.

La brigade franco-allemande a déjà pris part à de nombreuses missions sous
drapeau de l’OTAN : « La brigade a fourni des troupes à la mission de l’IFOR
en 1996 en Croatie et, à partir de 1997 et de façon durable, à la mission de
la SFOR en Bosnie, où le 292e bataillon de chasseurs allemand a perdu deux
camarades au cours d’un accident de tir lors de l’engagement dans le 2e
contingent de la SFOR, tandis qu’un autre soldat grièvement blessé dut être
rapatrié. De novembre 1997 à mars 1998, 30 soldats de la 4e compagnie du
292e bataillon de chasseurs furent engagés pour la sécurité du général
commandant en chef et prirent part en tant que garde rapprochée à l’ensemble
des rencontres de chefs de gouvernements destinées à la mise en application
des accords de paix de Dayton. La brigade fut ensuite engagée, en 1999, à
Ohrid (Macédoine). Les soldats de la 3e compagnie du 292e bataillon de
chasseurs ont été les premiers à pénétrer au Kosovo depuis la Macédoine et
ont ainsi lancé la mission KFOR. En 2000, la brigade a prêté secours afin de
faire face aux conséquences du naufrage du pétrolier Erika sur les côtes
bretonnes. En 2000/2001, la brigade intégrait à nouveau les missions SFOR et
KFOR. [...] En 2002/2003, la brigade est l’unité pilote du 6e contingent
SFOR, et participe à la TFF/OAH (Task Force Fox, Macédoine), à la KFOR, à
l’ISAF (Aghanistan) et à l’opération Enduring Freedom. En 2004/2005, elle
commande la Brigade multinationale de Kaboul dans le cadre de l’ISAF. » [4]

La brigade franco-allemande représente en outre un élément essentiel de la
force de réaction rapide de l’OTAN (NATO Response Force, NRF). Lors du
premier exercice NRF, « Steadfast Jaguar », destiné à tester la « reconquête
» d’une île le long de la côte riche en pétrole de l’Afrique de l’Ouest, la
brigade franco-allemande a engagé 1 200 soldats, sur le total de 6 500
soldats participant à l’exercice. En 2006/2007, la brigade franco-allemande
constitue le noyau des forces terrestres de la force de réaction rapide de
l’OTAN, et en janvier 2009, des éléments de la brigade sont à nouveau
déployés au Kosovo.


*Une cible de choix pour les manifestations contre le sommet de l’OTAN *

La brigade franco-allemande est un élément essentiel de la composante
militaire de l’Union européenne, mais aussi de l’OTAN. Du fait de la
proximité géographique de son quartier général, à Müllheim, avec les lieux
où se dérouleront le sommet de l’OTAN en avril 2009, la brigade est
particulièrement indiquée pour assurer une visibilité également régionale à
la protestation contre le militarisme occidental.


Remarque

[1] Site Internet du ministère de la Défense allemand : Eurokorps,
27.07.2007, URL : http://tinyurl.com/979gm9
[2] Site Internet de la Brigade franco-allemande, URL :
http://www.df-brigade.de/site_de/indexd1.htm
[3] Id.
[4] Deutsch-Französische Brigade, wikipedia (page allemande), URL:
http://de.wikipedia.org/wiki/Deutsch-Französische_Brigade<http://de.wikipedia.org/wiki/Deutsch-Franz%C3%B6sische_Brigade>


Tobias Pflüger

*La guerre menée depuis la province


l’état-major du « Corps germano-néerlandais »*


Münster est le siège de l’état-major du « Corps germano-néerlandais » et, ce
faisant, un rouage important de la politique belliciste de l’OTAN.

Au 71 de la Hindenburgplatz de l’ancienne capitale de Westphalie, on trouve
un grand bâtiment blanc surmonté d’un toit noir. Devant celui-ci flottent
sur plusieurs mâts les drapeaux nationaux de différents États – les couleurs
nationales de l’Allemagne et des Pays-Bas figurant au premier plan, juste à
côté des drapeaux de l’Union européenne et de l’OTAN. Ce bâtiment
insignifiant situé à proximité du château historique est le siège de
l’état-major du « 1er Corps germano-néerlandais » [1] et dans le même temps,
un important quartier général de l’OTAN.


*Chronologie d’un quartier général de guerre*

L’idée de créer une unité militaire binationale remonte à 1991.
L’inauguration de la nouvelle unité, formée à partir du « 1er Corps allemand
» et du « 1er Corps néerlandais » eut lieu le 30 août 1995, en présence du
chancelier fédéral de l’époque, Helmut Kohl, et du premier ministre
néerlandais Wim Kok. [2] Dès le début, la défense du territoire de l’OTAN
fut la mission principale du « 1er Corps germano-néerlandais », qui intégra
rapidement l’unité de défense principale de l’OTAN. En 1999, l’unité fut
choisie pour devenir un quartier général de Forces à haute disponibilité
dans le cadre de l'OTAN (NATO High Readiness Force Headquarter). Ayant
atteint la pleine capacité opérationnelle complète (FOC : Full Operational
Capability) en novembre 2002, le « 1er Corps germano-néerlandais » devient
une unité du Groupe des forces interarmées multinationales (CJTF : Combined
Joint Task Force) : il est ainsi en mesure d’intervenir dans le cadre de
missions militaires de l’OTAN dans un délai de 20 à 30 jours. À partir de
février 2003, le Corps germano-néerlandais de Münster assure pendant six
mois, en tant que quartier général, la coordination de la mission militaire
ISAF en Afghanistan. Étape suivante : les militaires allemands et
néerlandais aspirent à devenir le quartier général d’un commandement d’une
composante terrestre (LCC : Land Component Command Headquarter) au sein de
la force de réaction rapide de l’OTAN (NRF : NATO Response Force). Ce moment
marque définitivement le passage au second plan de la défense territoriale
et la réorganisation du quartier général de Münster au profit du
commandement de guerres d’agression. Pour ce faire, le corps fut subordonné
pendant un an, à partir de 2004, au Commandement de forces interarmées de
l’OTAN (NATO Joint Forces Command) basé à Naples, en Italie. En janvier
2005, l’unité militaire prit le commandement de la composante terrestre de
la force de réaction rapide de l’OTAN (NATO Response Force Land Component
Command). La direction de cette force de l’OTAN est assurée suivant une
rotation semestrielle par six sites de l’OTAN. Le quartier général a reçu le
nom de NRF-4 – il est donc le 4e quartier général depuis la création de la
force d’intervention rapide de l’OTAN. Durant l’année 2006, le Corps
germano-néerlandais procéda à quelques exercices militaires d’ampleur plus
réduite. En 2007, l’unité se prépara, à travers six exercices
d’intervention, à reprendre le commandement de la force de réaction rapide
de l’OTAN, qu’il assura durant le premier semestre 2008 (en tant que
NRF-10). Le 2 juillet 2008, le Corps basé à Münster transmit la quartier
général de l’OTAN à la France. Selon la rotation en vigueur jusqu’à présent,
le 1er Corps germano-néerlandais devrait commander à nouveau la force de
réaction rapide de l’OTAN en 2011. En janvier 2009, le commandant en chef du
Corps a communiquer que 400 militaires, hommes et femmes, seront déployés à
partir du mois d’août pour six mois en Afghanistan, en appui à la mission
ISAF. 170 membres du Corps renforceront le quartier général de l’ISAF à
Kaboul ; le Corps germano-néerlandais jouera ainsi à nouveau un rôle de
commandement dans la guerre en Afghanistan. Entre temps, douze nations ont
rejoint le Corps basé à Münster : Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Danemark,
France, Grèce, Italie, Norvège, Espagne, Turquie, Grande-Bretagne et
États-Unis.


*Quartier général de guerre à l’échelle mondiale *

Le « Staff Support Battalion » (soutien logistique), basé à Münster, et le «
Communications and Information Systems Battalion » (systèmes de
transmission), basé à Eibergen et Garderen (Pays-Bas), sont placés en
permanence sous les ordres du 1er Corps germano-néerlandais. Le Corps
lui-même est donc relativement réduit – les unités de l’OTAN sous son
commandement pendant la direction de la force de réaction rapide sont
d’autant plus nombreuses.

Les troupes de la NRF-4 comprenaient environ 8 500 soldats, provenant
d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Espagne, de France, de Turquie, du Danemark et
de Norvège. Lors de l’exercice IRON SWORD de l’OTAN, en mai et juin 2005, le
1er Corps germano-néerlandais a mis à l’épreuve pour la première fois sa
capacité d’engagement pour la force de réaction rapide de l’OTAN : plus de 6
000 soldats et 2 500 véhicules de six pays différents furent transportés sur
un terrain d’exercice militaire en Norvège. [3] Le scénario prévoyait un
conflit entre trois nations imaginaires – la présence de groupes criminels
et terroristes dans ces États fictifs étant également simulée. Les troupes
de l’OTAN devaient envahir les pays pour les contraindre à la paix.
L’objectif principal de l’exercice était le déplacement rapide des forces
armées de l’OTAN. Malgré deux petits accidents le long des 300 kilomètres de
route de campagne menant au terrain d’exercice au nord-est d’Oslo, le
scénario d’invasion s’est déroulé comme prévu.

La force de réaction rapide de l’OTAN commandée à intervalles réguliers
depuis Münster doit pouvoir intervenir en cinq jours en n’importe quel point
du globe. [4] En cas d’urgence, le quartier général de Münster peut, selon
ses propres déclarations, commander jusqu’à 60 000 soldats [5], ce qui est
une capacité énorme.


*La guerre menée depuis la province*

Peu de gens savent que l’intervention militaire de l’ISAF en Afghanistan a
été dirigée temporairement depuis Münster. L’importance de ce quartier
général pour l’OTAN est elle aussi relativement méconnue. Dans l’opinion
publique (locale), les militaires se montrent pacifiques, par exemple, en
plantant de nouveaux arbres dans le parc de la ville, dévasté par la tempête
Kyrill. [6] Ces « militaires de province » ont toutefois montré leur vrai
visage lors de l’exercice d’invasion IRON SWORD de l’OTAN. L’orientation
guerrière offensive de l’alliance militaire est apparue sous le commandement
germano-néerlandais. En tant que l’un des quartiers généraux de la force de
réaction rapide de l’OTAN, le 1er Corps germano-néerlandais de Münster est
un élément de la stratégie d’agression à l’échelle mondiale de l’OTAN – des
opérations militaires dans le monde entier peuvent être mises sur pied en
cinq jours depuis Münster.
Et ce, alors que l’exercice IRON SWORD semble déjà à lui seul incompatible
avec la Loi fondamentale allemande. [7]

En promouvant la force d’intervention rapide de l’OTAN, les responsables
militaires poussent en outre à déposséder définitivement les parlements de
leur pouvoir, au profit du Conseil de l’Atlantique Nord [8] – en effet, les
interventions peuvent aujourd’hui être souvent réalisées plus vite qu’elles
ne sont discutées et décidées par les parlements.
Le 1er Corps germano-néerlandais est un rouage important, mais peu connu de
l’opinion publique, de cette politique belliciste de l’OTAN.


Remarques

[1] www.1gnc.de
[2] Présentation du « 1er Corps germano-néerlandais »
[3] www.1gnc.de
[4] IMI Standpunkt 2003/111 - Claudia Haydt, « NATO Response Force – die
ultimative Koalition der Willigen » [La force de réaction rapide de l’OTAN,
ultime ‘Coalition des Volontaires’] – www.imi-online.de
[5] Brochure du « 1er Corps germano-néerlandais » sur la participation à
IRON SWORD
[6] www.1gnc.de
[7] Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne, article 26
[Interdiction de préparer une guerre d’agression] (1) : « Les actes
susceptibles de troubler la coexistence pacifique des peuples et accomplis
dans cette intention, notamment en vue de préparer une guerre d’agression,
son inconstitutionnels. Ils doivent être réprimés pénalement. »
[8] Des représentants de tous les États membres de l’OTAN siègent au Conseil
de l’Atlantique Nord.

Michael Schulze von Glaßer

*Le Centre Marshall et l’École de l’OTAN : l’OTAN dans les montagnes
bavaroises *



L’École de l’OTAN à Oberammergau et le Centre Marshall à
Garmisch-Partenkirchen, dans les montagnes bavaroises, jouent pour l’OTAN un
rôle qui, s’il n’est pas visible au premier regard, est tout de même
remarquable. Les deux institutions ont été impliquées dans les actions dont
il a déjà été question dans d'autres contributions – que ce soit la réforme
du secteur de la sécurité en Bosnie ou la délimitation de l’Europe orientale
et de l’Asie centrale.

Même si leurs origines et leurs responsabilités sont différentes, il
convient toutefois de les considérer ensemble, non seulement de par leur
proximité géographique (mais précisément aussi en raison de celle-ci) :
leurs sites sont voisins et sur la carte, elles semblent joliment lovées
dans les montagnes (voir par exemple la prise de vue satellite). Elles sont
à une heure et demie de train de Munich.

60 ans d’OTAN – cela mérite en Bavière aussi un coup de projecteur en
arrière ! Il est étonnant de constater que nous non plus, nous n’avons tout
simplement pas perçu pendant longtemps le rôle de ces institutions. Dans ses
activités à la fin des années 70 et par la suite (rappelons-nous : « Guerre
froide, Ostpolitik, détente... »), le mouvement pacifiste qui connaissait
justement une renaissance regardait « autour de lui » pour découvrir presque
de façon étonnée la militarisation de la région. Le document « Pulverfass
Südbayern » [« Le Sud de la Bavière, une poudrière »], publié en son temps
par le DKP (Parti communiste allemand), offre un aperçu de la situation de
l’époque. La carte de la région qu’il contient ressemble à une fourmilière :
partout, des casernes, des bases aériennes, des stations de radars et de
missiles, des usines d’armement. Une chose est claire : le Sud de la Bavière
se caractérise depuis longtemps comme centre d’armement. Pour Garmisch et
Oberammergau, des casernes de l’armée américaine et de la Bundeswehr sont
certes dessinées sur la carte, mais il en y avait à l’époque une quantité
imposante. Pour le mouvement pacifiste, il était généralement quasi
impossible de s’y intéresser en détail.

Depuis lors, la situation a changé de façon drastique. À première vue, la
situation apparaît plutôt réjouissante – il y a beaucoup moins de sites
militaires. Il y a cependant une réorganisation massive de l’armement, avec
une concentration des priorités sur quelques rares sites, dotés d’une
nouvelle palette de missions. La Bundeswehr elle-même est depuis lors
engagée dans des interventions à l’étranger, et les structures sont changées
de fond en comble. De même, les bases américaines se sont déplacées,
notamment vers l’est. À la place, les stratégies pour l’OTAN sont
aujourd’hui mises au point au beau milieu de l’Allemagne et la Bavière tient
lieu de thébaïde pour conférences et formations. L’École et le Centre
revêtent pour cette politique de l’OTAN une signification qui est
sous-estimée dans l’opinion publique. Ils sont un élément essentiel de la
structure militaire bavaroise (du Sud) d’aujourd’hui.

La BIFA (Initiative citoyenne munichoise pour la paix et le désarmement) a
arrêté son choix sur les deux institutions dans sa recherche d’objectifs
intéressants pour sa traditionnelle marche de Pâques pour la paix.


*Le Centre Marshall*

Il s’en est fallu de peu pour que l’armée américaine se retire de Garmisch
au début de sa restructuration. Après la chute du Mur, les États-Unis
découvraient l’opportunité de s’immiscer plus fort que jamais en Europe de
l’Est. La structure militaire de la caserne devait être abandonnée
(rappelons-nous que l’ennemi avait disparu), on en vint donc à une nouvelle
possibilité d’exploitation. L’US-EUCOM, le commandement des forces armées
américaines en Europe, dont le siège est à Stuttgart-Vaihingen, fonda en
1991 le Centre Marshall : lors de son inauguration en 1992, les parrains en
étaient Colin Powell (signataire de l’acte de fondation), Paul Wolfowitz et
Dick Cheney. En 1994, à la suite d’une convention gouvernementale passée
avec le ministère allemand de la Défense, il devient un partenariat
germano-américain. Concrètement, cela signifie que la direction et le
contrôle sont attribuées au commandant en chef de l’EUCOM, tandis que la
surveillance des lieux et une partie du financement échoient à l’Allemagne.

Le Centre Marshall est l’un des cinq centres régionaux des États-Unis pour
la « promotion de la coopération à la sécurité dans le monde ». Sa mission
est décrite comme suit : « Création d’un contexte de sécurité plus stable
par la promotion d’institutions démocratique et de relations, surtout dans
le domaine de la défense, par des contributions actives à une coopération
pacifique dans le domaine de la sécurité et par la promotion de partenariats
de longue durée entre les pays d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Eurasie. »
[1]

Dans ce cadre, un « soutien » est apporté en outre depuis plusieurs années
au Kazakhstan, à la Kirghizie, au Tadjikistan, au Turkménistan, à
l’Ouzbékistan, à l’Afghanistan et à la Mongolie. Mis à part le langage qui
dissimule sous de beaux traits les intentions réelles, la prétention à
influencer les décisions dans des pays étrangers est affichée dès l’abord.
[2] Ulrich Sander écrivait un court article à ce propos en 2006 dans le «
Zeitung gegen Krieg » et citait un tract de l’époque de la BIFA [3] :

« Les ‘Alliés’ n’ont pas seulement des bases aériennes et des champs de
manœuvres, ils ont aussi des instituts qui sont une sorte de porte-avions
idéologiques chez nous, dans notre pays. Ils ne laissent pas ce terrain aux
écoles supérieures de la Bundeswehr, à la Fondation Bertelsmann ou à la
Fondation Heinrich Böll – non, non, les États-Unis mettent eux-mêmes la main
à la pâte. »


*Géopolitique à Garmisch-Partenkirchen*

Petit, raffiné, luxueux, le Centre Marshall est l’un des creusets des
conflits mondiaux actuels. Un lieu idéal pour entretenir des contacts
personnels avec des représentants militaires, mais aussi politiques, venus
de l’étranger. Ces contacts servent l’objectif d’étendre l’influence
américaine en Europe et en Asie centrale avec pour but, à long terme,
d’élargir l’OTAN. Les considérations stratégiques qui se cachent derrière
ces activités sont clairement exprimées, par exemple, par l’ancien
conseiller à la sécurité nationale des États-Unis (et actuel conseiller
d’Obama !), Zbigniew Brzezinski :

« Les pivots de la géopolitique sont les États dont l’importance ne provient
pas de leur puissance ou des objectifs politiques qu’ils se sont fixés. Ils
tiennent davantage leur importance de leur situation sensible et de leur
état potentiellement vulnérable, qui influence le comportement des acteurs
géopolitiques. [...] L’Ukraine – qui constitue un pion nouveau et
déterminant sur l’échiquier eurasien – est un de ces pivots de la
géopolitique car sa simple existence en tant qu’État indépendant contribue à
la transformation de la Russie. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un
empire eurasien. » [4]

La plupart des pays qui longent les frontières de la Russie ou de la Chine
sont considérés comme des « pivots de la géopolitique ». Ce sont précisément
ces pays qui retiennent en particulier l’attention du Centre Marshall. Un
exemple particulièrement parlant en est donné par l’Ouzbékistan : le Centre
Marshall n’a pas ménagé ses efforts pour établir des relations avec les
autorités militaires de ce pays. Le directeur du Centre à l’époque, Robert
Kennedy, s’est même rendu lui-même en visite à Tachkent, capitale de
l’Ouzbékistan, le 10 septembre 2002. À ce moment, et depuis 1993, 89
fonctionnaires militaires et civils ouzbeks avaient déjà fréquenté le
Centre.

L’indifférence affichée par les gouvernements occidentaux pour les
violations des droits l’homme perpétrées dans le pays peut être constatée
dans ce rapport de Craig Murray (ancien ambassadeur britannique en
Ouzbékistan) : « Karimov est l’un des dictateurs les plus brutaux au monde,
un homme responsable de la mort de milliers de personnes. Dans les prisons
ouzbèkes, des détenus sont ébouillantés. » [5]

En 2002, Karimov était hôte à la Maison Blanche. De nombreuses photos
montrent George Bush lui serrer la main. Le Centre Marshall se targue de ce
genre de « success stories » : il joue en effet un rôle important dans
l’établissement de relations militaires entre les États-Unis et les pays
d’Europe centrale et d’Asie centrale. Selon l’avis du commandant en second
du commandement central des États-Unis, Michael DeLong, le Pentagone
n’aurait eu (en 2002) « aucun accès aux points d’appui en Asie centrale (par
exemple, l’Ouzbékistan) pour mener la guerre contre le terrorisme s’il n’y
avait pas eu ces relations », qui ont été établies en partie par le Centre
Marshall.

Certains anciens étudiants du Centre Marshall ont occupé par la suite des
postes importants dans leur pays d’origine – comme David Tevzadze, ministre
de la Défense géorgien ; Josip Stimac, commandant de la force aérienne
croate ; Gaidis Zeibots, chef de l’état-major de la défense en Lettonie ;
Valerii Muntiian, vice-ministre de la Défense ukrainien ; Oleg Shamshur,
vice-ministre des Affaires étrangères ukrainien.

Le « Partenariat pour la paix » (Partnership for Peace) constitue un autre
lien, une structure au service de la relation entre l’OTAN et les pays non
membres de l’OTAN qui sont prêts à coopérer avec elle. Il est
particulièrement frappant de voir combien même un État neutre comme la
Suisse soutient par cette l’OTAN voie de façon déterminante. Le Centre
Marshall a conclu des accords de coopération avec l’ETH de Zurich (Institut
fédéral suisse de technologie) et il utilise les ressources Internet de ce
dernier pour ses propres cours (tout comme le fait l’École de l’OTAN, voir
ci-dessous). Volontairement, l’Autriche elle aussi remet aussi en doute de
cette manière sa neutralité si importante pour une politique de paix.

En dépit du rôle politique massif que joue ces institutions, l’opinion
publique continue de ne leur accorder qu’une attention minimale. Avec sa
politique de lobbying, la Fondation Bertellsmann s’est entre-temps fait
connaître davantage ; des institutions comme le Centre Marshall ou l’École
de l’OTAN ne sont par contre que très rarement considérées sérieusement !
[6]


*L’École de l’OTAN à Oberammergau*

Le terrain actuellement occupé par l’École de l’OTAN fut, de 1937 à 1945,
celui du 54e détachement alpin de renseignement (compagnie de
communication), membre de la 1re division alpine allemande, rendue
tristement célèbre par ses crimes de guerre. Certains bâtiments furent
également utilisés pendant la guerre pour le développement de moteurs de
fusées (donc des V1 et V2, armes absolues d’Hitler) par Messerschmitt AG.
Après la guerre, le terrain servit d’abord de caserne pour l’armée
américaine ; il est utilisé par l’OTAN depuis 1953. Depuis lors, plus de 130
000 officiers et civils y ont suivi des séminaires. Actuellement, à peu près
80 cours sont organisés par an, pour environ 10 000 participants.

Dans la présentation que l’institution fait d’elle-même, on peut lire :

« L’École de l’OTAN constitue un centre pour la formation individuelle et
l’entraînement du personnel militaire et civil de l’OTAN, du Partenariat
pour la paix, des Nations Unies, du Dialogue sur la Méditerranée et des pays
qui coopèrent avec l’OTAN. » [7]

L’École de l’OTAN forme donc des militaires et toutes sortes de civils
travaillant dans leur environnement, dans le cadre de cours pour les cadres
supérieurs de l’OTAN. L’École de l’OTAN se décrit encore comme suit :

« Notre mission consiste en une formation individuelle et orientée sur les
engagements de forces armées, qui prend en compte la stratégie présente et
future de l’OTAN, c’est-à-dire les concepts, doctrines, politiques et
procédures qui doivent aider les deux commandements stratégiques à accroître
l’efficacité opérationnelle de l’Alliance atlantique. »

La mission consiste donc clairement en la « formation orientée sur
l’engagement des forces armées », c’est-à-dire en la formation militaire
pratique pour le combat. Le colonel James J. Tabak, commandant de l’École de
l’OTAN, a exprimé tout aussi clairement le sens de cette mission : « Nous
sommes la seule institution de formation internationale qui enseigne les
principes militaires pas uniquement sur le plan théorique. »

Le questionnaire d’inscription pour les participants, qui peut être
téléchargé depuis la page d’accueil du site de l’École, montre sans
équivoque combien les cours proposés seront concrets et orientés sur les
engagements militaires. Les participants doivent en effet mentionner si et
où ils seront engagés dans les 120 jours suivants dans des zones de guerre
ou de crise.

L’École de l’OTAN déclare être engagée envers la sécurité mondiale dans le
cadre de l’entente entre les peuples. Le contenu de ses cours reflète
cependant une tout autre image. Il y a ainsi, en plus des cours fondamentaux
pour les membres des hauts commandements, et de ceux sur la défense contre
les armes ABC, les armes de destruction massive, la planification et
l’analyse médicales, des cursus portant sur les interventions concrètes,
comme en Afghanistan ou sur les « opérations multinationales de maintien de
la paix » en général. Des cours plus spécifiques s’intéressent aussi au «
travail de presse » et aux « opérations d’informations », connues autrefois
sous le terme de guerre psychologique. L’offre de cours accorde une
importance sans cesse accrue à la « CIMIC », la coopération
civilo-militaire.

Plus de 10 000 inscrits suivent chaque année en Haute-Bavière ces formations
multiculturelles et multinationales. Des soldats pakistanais et afghans, par
exemple, ont ainsi pris part aux cours de l’École de l’OTAN à Oberammergau.
Outre les cours sur place, de nombreux cours aussi proposés par Internet –
comme dans le cadre du partenariat entre le Centre Marshall et l’ETH de
Zurich (et tant pis pour la neutralité suisse).


*Couveuses pour des mondes parallèles refermés sur eux*

Les deux institutions organisent donc des cours et des conférences et
véhiculent l’idéologie de l’Alliance atlantique. Mais en quoi se
distinguent-elles l’une de l’autre ? L’École de l’OTAN est « orientée sur
les engagements des forces armées » et vise donc l’instruction de troupes
d’occupation et leurs besoins. Un échange d’expériences militaires a donc
lieu, qui aide à mettre en œuvre des programmes politiques. Le personnel
enseignant provient régulièrement des interventions militaires elles-mêmes.
Le Centre Marshall est par contre orienté sur « la politique de l’Alliance »
et l’« exercice d’influence », par exemple dans le cadre de l’élargissement
de l’OTAN à l’est. Il s’agit donc ici plutôt d’un institut qui produit des
concepts à travers ses textes et promeut la coopération dans la recherche
autour des objectifs politiques de l’OTAN.

Les objectifs des deux institutions sont donc différents, et pourtant, elles
partagent de nombreux points communs. Nous avons dû assister dans les
dernières années à l’arrivée de troupes de l’OTAN de tous les pays possibles
dans des opérations d’occupation. Cela n’a naturellement plus rien à voir
avec de la défense. Alors qu’il n’est point besoin de beaucoup d’arguments
pour motiver un soldat à défendre son propre pays contre une attaque, il
faut développer d’autant plus de « force de conviction » pour que les
soldats aillent risquer leur peau à l’étranger pour de tout autres
objectifs. Outre le travail classique permanent de relations avec le public,
l’« allégeance » de l’opinion publique, mais aussi du personnel militaire
lui-même, est essentielle.

Dans la communauté de ces institutions, le « vocabulaire officiel » de
l’OTAN devient une chose allant de soi, et le côté pratique de la politique
d’occupation y est scandé sans cesse. Le double rôle consistant à jouer les
combattants d’une part et à se faire passer dans le même temps pour « ami et
soutien » n’est pas facile à remplir. À cela s’ajoutent les efforts
incommensurables pour endosser en tant que force d’occupation
l’administration directe des missions civiles, bref, ce que l’on appelle la
coopération civilo-militaire. Les deux institutions doivent être vues dans
le contexte de l’« offensive idéologique » des dernières années. L’enjeu
pour elles est d’imposer machinalement et sans le moindre espace pour la
contradiction la devise qui prétend que « Nous sommes la démocratie ». La
formation des personnes est vendue comme « exportation de la démocratie et
de la liberté », alors que la réalité est faite de protectorats et
d’occupation. Le Centre Marshall et l’École de l’OTAN sont des instruments
de cette politique de violence et s’apparente donc à un exercice de la
puissance avec des armes « visibles ». En effet, à la différence des guerres
où un ennemi est militairement vaincu, les « nouveaux » conflits consistent
à exercer le contrôle dans des pays étrangers, ce qui est une mission
fondamentalement différente. Les bastions que l’on a décrits et qui sont
situés dans les montagnes de Bavière sont au service ce colonialisme
d’aujourd’hui, un colonialisme « intelligent ».

On peut les considérer comme des « couveuses pour mondes parallèles refermés
sur eux », qui représentent un réseau mondial de fidèles de l’OTAN et de
décideurs politiques. Précisément avec un tel paysage, qui dégage à la fois
une atmosphère de vacances mais offre aussi un certain isolement, l’OTAN a
réussi un beau coup. On peut imaginer sans peine les contacts inoubliables
qui complètent le programme en dehors du « cadre formel ».

L’OTAN parvient ainsi chaque fois à faire croire ses propres mensonges aux
participants, ce qui est naturellement sans prix pour le degré d’efficacité
des opérations militaires. Parallèlement, l’économie locale en profite
volontiers : l’offre touristique et gastronomique du lieu s’adresse
clairement à la clientèle de l’OTAN, et les mandataires municipaux
s’empressent d’entourer les militaires de mille soins. En organisant des
visites guidées et une journée portes ouvertes, l’OTAN apparaît aux yeux des
habitants de l’endroit comme un partenaire amical (comme tous les militaires
tentent toujours de faire).


Remarques

[1] Annuaire 2006 du Centre Marshal, cité dans
www.bifa-muenchen.de/bf2006/Marshall-Center-FI-Bad-Toelz-Wolfratshausen.pdf

[2] C’est ce qu’affirme M. Ischinger (nouveau président de la Conférence sur
la sécurité de Munich) dans un article paru dans le Süddeutsche Zeiting,
lorsqu’il parle de gouvernement mondial ; cf. « Das Gute an der Krise » [«
Le bon côté de la crise »], Süddeutsche Zeitung du 15.12.2008

[3] www.bifa-muenchen.de/bf2006/OM-Draussen-2006.pdf

[4] Zbigniew Brzezinski: The Grand Chessboard : American Primacy and Its
Geostrategic Imperatives [Le Grand Échiquier : la primauté et les impératifs
géostratégiques de l’Amérique], 1997

[5] Craig Murray, ancien ambassadeur britannique aux États-Unis, 19.1.2006,
dans « Democracy Now »

[6] Cela se voit aussi sur Internet : lorsque l’on fait une recherche sur le
Centre Marshall, le site plutôt réduit de la BIFA se trouve juste après le
site du Centre Marshall dans l’affichage des résultats du moteur de
recherche. Idem pour l’École de l’OTAN : le site de la BIFA vient juste
après l'École dans le moteur de recherche – en d'autres termes, bien peu
sont ceux qui s'intéressent à ce sujet !

[7]Toutes les citations qui suivent proviennent de www.natoschool.nato.int



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