[Dissent-fr-info] G8, G20 : des mises en scènes de la puissance des grands de ce monde, entretien avec Francis Dupuis-Déri

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Fri Nov 12 00:40:51 UTC 2010


*G8, G20 : des mises en scènes de la puissance des grands de ce monde,
entretien avec Francis Dupuis-Déri*

*Par Maxime Combes*

À l’issue de la réunion du G20 de Séoul (11 et 12 novembre 2010) la France
en prendra la présidence, et accueillera plusieurs sommets (G8, G20, G20
thématiques en 2011). À travers l’exemple du Canada, Francis Dupuis-Déri
revient sur l’utilisation de tels rassemblements par les "grands de ce
monde", comme une mise en scène de leur puissance - jusque dans la
répression et le développement des dispositifs sécuritaires.

*Mouvements :* *Le Canada a accueilli le G8 et le G20 (25-27 juin) dans la
région de Toronto. Qu’en retenir, aussi bien au niveau international qu’au
niveau de l’utilisation qui en a été faite par le gouvernement fédéral et
Stephen Harper au niveau du Canada ?*

*Francis Dupuis-Déri :* Les discussions au Canada et au Québec qui ont
succédé à ces deux sommets ont surtout été mobilisées par la question de la
répression policière. Il faut savoir qu’environ 1 200 personnes ont été
interpellées dans les rue de Toronto. Il s’agit d’une des plus importante
arrestation de masse à frapper le mouvement altermondialiste en Occident.
C’est surtout à ce sujet qu’il y a eu débat, après les sommets.

Cela dit, les observateurs s’entendaient pour dire que les discussions entre
dignitaires n’avaient abouti à rien de tangible, et que cette rencontre ne
représentait qu’une étape vers d’autres sommets plus importants. Quant au
Premier ministre canadien, Stephen Harper, il faut savoir qu’il dirige le
gouvernement le plus conservateur qu’a connu le pays depuis mémoire d’homme,
ou de femme... Les conservateurs qui ont gouverné le Canada dans les années
1980, proches de Ronald Reagan aux États-Unis, s’intéressaient surtout à
l’économie. On leur doit les accords de « libre échange » entre le Canada et
es États-Unis, puis la fameuse zone de libre échange nord-américaine, qui
intégrait aussi l’économie mexicaine, et dont l’entrée en vigueur le 1er
janvier 1994 a été marquée par le soulèvement des zapatistes. Or le
conservatisme de Stephen Harper est beaucoup plus dur, c’est-à-dire qu’il
s’agit à la fois d’une droite économique, morale et religieuse. La base
électorale se situe surtout dans les provinces des prairies. L’Ontario, et
surtout la ville de Toronto, reste réfractaire au conservatisme. Le Sommet
du G20 était considéré comme un joujou de Stephen Harper, et n’a donc pas
été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme dans la métropole canadienne.
Personne du côté progressiste n’a été dupé par les prétentions de Stephen
Harper à s’intéresser sérieusement à la santé des femmes, lui qui depuis des
années pratique des coupures drastiques dans les programmes de subvention
pour les groupes féministes.

De toutes façons, selon moi, ces grands sommets sont avant tout des mises en
scène que les grands de ce monde s’organisent pour se donner en spectacle,
pour exprimer leur puissance. Les négociations se déroulent dans d’autres
espaces : il s’agit de processus qui filent sur plusieurs années et
s’articulent sur des axes bilatéraux et multilatéraux, dans des forums
beaucoup plus discrets, entre représentants de ministères stratégiques, par
exemple, mais aussi au sein d’institutions internationales comme le Fonds
monétaires internationaux et la Banque mondiale, ou des tribunaux
administratifs.

*Mouvements :* *Que retenir du côté des mobilisations citoyennes ? Quelles
revendications et exigences ressortaient le plus ? Y a-t-il une évolution de
ces revendications au cours des dernières années ? Malgré un spectre très
large d’organisations qui avaient appelé à plusieurs initiatives, comment
expliquer que le forum alternatif, le Sommet des Peuples, ou la
manifestation du 26 juin à Toronto n’aient pas drainé beaucoup plus de
monde ? Doit-on parler d’une mobilisation en demi-teinte, notamment du côté
québécois, alors que dans le même temps les décisions sécuritaires (1
milliard de dollars de dépense) d’Harper ont beaucoup fait jaser et auraient
pu inciter à une mobilisation au delà du spectre militant ? La coalition
canadienne n’était-elle qu’une coalition de façade ? Ou bien cela
signifie-t-il que ces organisations ne sont pas (plus) en mesure de
mobiliser largement la société canadienne ?*

*F. D-D. :* Les mobilisations et les discours contestataires du Sommet des
peuples, qui s’est tenu quelques jours avant le Sommet du G20, reprenaient
les thèmes classiques du mouvement altermondialiste, soit la justice
économique, les droits humains et les libertés fondamentales, avec une
attention particulière à l’environnement et aux changements climatiques. La
semaine précédant le Sommet du G20 a été ponctuée par des manifestations de
faibles ampleurs, organisée par le Toronto Community Mobilization Network,
un réseau associatif auquel participe l’Ontario Coalition Against Poverty
(OCAP). Une journée a été consacrée aux revendications des nations
amérindiennes, une problématiques propre aux Amériques et à l’État canadien
qui entretient un rapport postcolonial avec les nations autochtones qui
peuplent son territoire. La manifestation la plus important du Toronto
Community Mobilization Network avait pour thème les luttes anti-oppression :
elle a eu lieu le vendredi, soit la veille de la grande manifestation
appelée par les syndicats et les organisations non-gouvernementales, et
comptait entre 1 500 et 2 000 personnes, qui ont défilé dans les rues de
Toronto encadrées par des centaines de policiers en tenue anti-émeute.

Du côté du Québec, la montée vers Toronto a été orchestrée par la
Convergence des luttes anticapitalistes 2010 (CLAC2010), formée pour
l’occasion et qui marquait une renaissance ponctuelle de la CLAC qui avait
organisé les manifestations radicales contre le Sommet des Amériques à
Québec, en 2001, mais qui s’était dissoute en 2005. La CLAC 2010, dont les
principes organisationnels et d’action s’inspirent de l’Action mondiale des
peuples (AMP), est parvenue a mobiliser environ 1 000 personnes du Québec,
principalement de Montréal (à 6 heures de route de Toronto). Cette
mobilisation radicale était diversifiée : des anticapitalistes (anarchistes
et communistes), des antiracistes, une Coalition féministe radicale, des
queers, et des activistes de la mouvance radicale du mouvement étudiant. Les
organisations militantes plus institutionnelles du Québec, comme le
mouvement syndical ou le mouvement féministe, n’ont pas jugé utile de se
mobiliser pour effectuer le voyage à Toronto.

Le contexte était à la fois favorable et défavorable aux mobilisations.
C’est à un premier ministre canadien Jean Chrétien, ou à ses conseillers,
que l’on doit, après le chaos du Sommet du G8 à Gênes, en 2001, cette
manoeuvre d’évitement qui a consisté pendant près de 10 ans à tenir les
grands sommets dans des zones isolées. Le Sommet du G8 suivant Gênes, soit
en 2002, était présidé par le Canada et s’est déroulé dans les Montagnes
Rocheuses. La ville la plus proche de l’événement, Calgary, est un bastion
de la droite canadienne, et le siège de l’industrie pétrolière du pays ;
c’est tout de même là que la gauche canadienne avait décidé de se mobiliser
contre le Sommet du G8, retranché dans les montagnes. Les manifestations ont
été minuscules à Calgary, ne comptant que quelques centaines de personnes.
Les mouvements sociaux du Québec de sensibilité anarchiste avaient pris la
décision de manifester non pas à Calgary (à plusieurs milliers de
kilomètres), mais à Ottawa, la capitale canadienne, d’accès beaucoup plus
facile. Au final, les manifestations à Ottawa avaient été plus importantes
que celles à Calgary.

Depuis lors, la stratégie d’évitement préconisée par les élites a plutôt
bien fonctionné, malgré des manifestations importantes contre le Sommet du
G8 en Écosse en 2005, et en Allemagne en 2007. Sur une île à 40 miles marins
du continent, le Sommet du G8 aux États-Unis en 2004 n’avait provoqué que
des manifestations de quelques centaines de personnes, bien impuissantes sur
les rives du continent, tout comme le Sommet du G8 en Italie l’année
dernière, perdu dans la région des Abruzzes récemment dévastée par un
tremblement de terre.

Or c’est un autre premier ministre canadien, Stephen Harper, qui a décidé de
revenir à la tradition des Sommets en plein centre ville. Avec l’excuse de
la lourdeur logistique d’un G20, il a décidé d’organiser ce sommet au coeur
de Toronto, la plus grande ville du Canada. Il ne pouvait manquer d’y avoir
des mobilisations. Du point de vue de l’Europe ou de la France, les
manifestations semblaient sans doute bien modestes : la manifestation du
samedi, appelée par les centrales syndicales et les organisations
non-gouvernementales, n’a attiré qu’environ 20 000 personnes dans les rues.
Un échec ? À voir. Premièrement, l’annonce qu’il y aurait un Sommet du G20
est tombée tardivement. Deuxièmement, l’événement avait lui au milieu de
l’été, après la fin de l’année collégiale et universitaire, sapant d’autant
la capacité de mobilisation du mouvement étudiant. Troisièmement, les
mouvements sociaux institutionnels (syndicats, pacifistes, féministes, etc.)
en Ontario et dans le Canada hors Québec n’ont pas de capacités de
mobilisation très élevées. Et puis, les médias ont bien insisté pour
rappeler que 1 milliard de dollars seraient gaspillés en mesure de sécurité,
ce qui a pu également avoir un effet dissuasif.

Quelques jours avant le sommet, un communiqué de l’organisation de la grande
manifestation des syndicats et des organisations non-gouvernementales
révisait à la baisse ses prévisions : on n’attendait plus 10 000 personnes,
mais peut-être 7 000, avec de la chance. C’est pour dire que l’optimisme
n’était pas débordant...

Malgré ces obstacles, je tire un bilan plutôt positif des mobilisations. Les
centrales syndicales et les organisations non-gouvernementales ont
finalement attiré trois fois plus de personnes que prévu. Mais aussi : de
petites manifestations se sont déroulées tous les jours de la semaine
précédant le sommet. Puis les trois jours du Sommet du G20 ont été ponctués
par de nombreuses manifestations : une masse critique (manifestation à vélo)
d’environ 1 000 cyclistes, des manifestations plus ou moins spontanées
devant le centre de détention, des attroupements devant les clôtures de
sécurité, le tout malgré le dispositif répressif policier, et parfois des
bordées de pluie. Enfin, le centre des médias alternatifs a très bien
fonctionné.

Du côté des tactiques, la mobilisation aurait pu être plus diversifiée et
dynamique. Il n’y a pas eu d’opération de blocage, et le « tent city »
(campement dans un parc) d’une seule nuit a été plutôt modeste. Quant à la
street party « Saturday Night Fever », prévue le samedi soir après la grande
manifestation, elle a été annulée en catastrophe, les policiers ayant
quelques heures auparavant commencé à procéder à des arrestations en masse.

Le Black Bloc, qui comptait environ 150 membres, dont de nombreuses femmes,
a été particulièrement efficace. Après avoir marché avec le cortège
anticapitaliste dans la grande manifestation des syndicats et des
organisations non-gouvernementales, et tenté mollement de forcer des lignes
de policiers pour avancer vers les clôtures de sécurité, il s’est détaché de
la foule suivi par des centaines de sympathisantes et sympathisants, et a
filé dans les rues commerciales pour lancer des frappes contre des symboles
du capitalisme : vitrines de McDonald’s, de GAP, Nike et de banques. À noter
deux cibles qui relevaient plutôt d’une critique antipatriarcale : un
commerce de la firme American Apparel, dont la vitrine a éclatée et dont les
mannequins ont été couverts de merde, et un bar de danseuses nues, dont la
vitrine a été saccagée. Quatre voitures de la police ont été incendiées,
mais il n’y a pas eu d’affrontement avec les policiers. Si l’on oublie que
le Black Bloc a commencé par manifester dans la foule, plutôt que
d’apparaître de manière autonome dans un coin de la ville, on peut dire que
le Black Bloc de Toronto a renoué avec le choix du Black Bloc de Seattle,
dix ans auparavant : éviter la confrontation avec la police, et donc les
arrestations, et éviter de mettre en danger les autres manifestantes et
manifestants en agissant au loin, ciblant des symboles de l’oppression et de
l’exploitation. Et comme par le passé, des figures médiatisées du mouvement
altermondialiste, ici Judy Rebick, entre autres, ont malheureusement dénoncé
publiquement le Black Bloc, l’accusant de s’être fait piéger en incendiant
les voitures de la police (alors que ce ne sont pas les activistes du Black
Bloc qui ont posé ce geste) et d’être instrumentalisés par la police pour
justifier la répression.

S’il y a avait bien des activistes des États-Unis qui avaient traversé la
frontière pour rejoindre Toronto, il est dommage que le Forum social
américain se soit tenu, au même moment, à Détroit ; mais cet événement avait
été planifié bien avant l’annonce que le Sommet du G20 se tiendrait à
Toronto, et le temps a manqué pour modifier les plans.

*Mouvements :* *Revenons sur la déferlante sécuritaire organisée par le
gouvernement Harper : des zones interdites immenses, des dizaines de
milliers de policiers et militaires mobilisés, des provocations et
infiltrations, etc... Pourquoi cette volonté d’empêcher un déroulement
tranquille de ces manifestations qui étaient loin de pouvoir bloquer le G20
ou le G8 ? S’agit-il d’habituer les populations à la policiarisation
ultra-sécuritaire des sociétés et à un climat de peur ? Comment interpréter
les réactions assez hostiles de la population, au moins à travers les
sondages publics réalisés à cette occasion ? Faut-il y voir un sursaut
citoyen démocratique ou une simple expression assez éloignée des
préoccupations quotidiennes ?*

*F. D-D :* Il est risqué d’essayer de comprendre les choix des autorités
politiques et policières en ne disposant que d’intuitions, ou en
interprétant leurs actions et leurs discours. Le budget de 1 milliards de
dollars est le plus élevé de toute l’histoire canadienne, en matière de
mesure de sécurité, et le plus élevé — et de loin — des budgets de sécurité
pour des sommets du G8 ou du G20. Le gouvernement conservateur de Stephen
Harper est obsédé par les questions de sécurité : il est favorable à la
guerre en Afghanistan, mais aussi au durcissement des peines de prison, etc.
La guerre en Afghanistan sert d’excuse pour le plus important
réinvestissement pour l’armée canadienne depuis au moins 30 ans. Le même
phénomène a été constaté pour les sommets du G8 et G20 : il s’agissait d’une
excuse pour investir massivement dans les corps policiers, et une bonne
partie de cette somme constitue en fait des investissements à long terme.

Cela dit, la répression a été réelle et a eu des effets réels. Le réseau des
anarchistes ontariens a été infiltré pendant au moins un an par deux
policiers, qui ont enregistré des réunions préparatoires et procédé à
l’arrestation de 17 « leaders », sur qui pèsent de graves accusations.
Évidemment, comme le mouvement fonctionne de manière non hiérarchique et
décentralisé, ce coup de filet quelques heures avant la grande manifestation
n’a pas cassé l’ardeur des activistes. Mais des questions se posent quant à
la culture de la sécurité dans le milieu militant radical : les activistes
oublient trop souvent que tout ce qui est dit en réunion peut être écouté,
et même enregistré...

En termes d’arrestations, environ 80% des 1 200 personnes interpellées ont
été relâchées sans accusation. Elles intentent un recours collectif de
plusieurs dizaines de millions de dollars contre la Ville de Toronto et son
service de police. Cette procédure devra s’éterniser pendant de longues
années.

Plusieurs personnes sont revenues de Toronto en état de choc
post-traumatique. Des comités d’appui légaux et un comité d’aide
psychologique ont été mis sur pied, et des manifestations ont été organisées
très rapidement à Toronto (plus de 1 000 personnes devant le quartier
général de la police, le lendemain du Sommet, avec des discours de Naomi
Klein et de Judy Rebick), ainsi que dans plusieurs villes au Canada.

Certainement, cette répression dissuadera plusieurs de redescendre dans la
rue ; mais d’autres témoignent au contraire de leur radicalisation suite à
cette répression. Il me semble important, tout en restant solidaire des
personnes arrêtées, de chercher à rappeler le succès des mobilisations et
des manifestations, quelque peu oublié lorsqu’on l’on ne parle que de la
répression.

Enfin, l’ampleur de la répression a encouragé de nombreuses organisations
politiques qui ne s’étaient pas engagées dans les mobilisations contre le
G20 a prendre position publiquement pour dénoncer la répression, exiger des
explications (une enquête publique, par exemple), et participer à l’appui
juridique. De nouvelle entités politiques se forment, parfois dans des
perspectives peu radicales et plutôt libérales, comme « Pas de démocratie
sans voix ».

*Mouvements :* *Après le Canada, et l’intermède Corée du Sud pour un nouveau
G20 en novembre, la France prendra la présidence du G8 et du G20 pour
l’année 2011. Des discussions assez larges, d’ONG de solidarité
internationale à certaines branches du mouvement libertaire français en
passant par Attac, sont déjà en cours pour réfléchir et définir des
initiatives et modalités d’expression citoyenne lors de ces prochains
sommets. Selon vous, le mouvement altermondialiste doit-il continuer à
organiser de tels contre-sommets et manifestations ? Sous quelle forme ?
Avec quelles exigences ? A quels défis le mouvement altermondialiste, dans
sa diversité, est-il confronté face à ces sommets ? Quelles sont les parades
citoyennes à ces velléités sécuritaires assez éloignées d’un idéal
démocratique de confrontation de points de vue et d’expressions citoyennes
légitimes ?*

*F. D-D. :* Le passage du G8 au G20 pose quelques problèmes au mouvement
altermondialiste, entre autres raisons parce que plusieurs pensent que si le
G8 est illégitime, le G20 est légitime puisque plus inclusif, et qu’y
participent des pays du Sud (cela dit, on y trouve des pays aussi peu
libéraux que la Chine et l’Arabie Saoudite). Cette illusion se fonde sur le
mythe nationaliste ou républicain voulant que les chefs d’État représentent
réellement la population de leur pays respectif. Il est donc important, pour
le mouvement altermondialiste en Occident, de rester attentif aux discours
critiques et aux contestations des pays du Sud contre cette institution qui
reste, bien évidemment, très élitiste et peu représentative des intérêts de
la majorité de la population du globe, y compris des nations en principe
représentées dans ce forum.

Cela dit, il est embêtant pour moi de donner de conseils aux camarades en
Europe, surtout que je n’aurai sans doute pas l’opportunité de traverser
l’Atlantique et de me joindre au mouvement contre le Sommet du G20 en 2011,
en France. Je reste néanmoins convaincu que ces grandes mobilisations
populaires ont leur importance. Ne soyons pas naïfs : ces sommets ne sont
pas les lieux où s’organisent réellement le capitalisme mondialisé ou
national, ni les guerres, et il est vain de penser qu’en perturbant ces
sommets, nous enrayons la marche de ces puissances arrogantes et
destructrices. De même, les organisations, les groupes et les individus qui
se mobilisent en ces occasions font bien plus, par leur militantisme
quotidien, que de seulement participer à des manifestations.

Mais si ces sommets ne sont que des mises en scène, des spectacles
protocolaires que s’organisent les plus puissants de la planète, les
manifestations de rue et la turbulence de la foule peut, justement,
perturber ce spectacle, en proposant un contre-spectacle, qui attire
l’attention sur d’autres questions que celles discutées par les élites. Ces
moments militants sont d’autant plus importants qu’ils sont organisés en
amont et offrent des expériences politiques alternatives. Ma propre
expérience au Village alternatif, anti-capitaliste et anti-guerre (VAAAG), à
Annemasse, lors de la campagne contre le G8 à Évian, en 2003, a profondément
marquée mon parcours politique. La mise sur pied de tels campements
temporaires autogérés est une belle occasion à saisir, dans le cadre de
mobilisations contre des sommets officiels.

Quant à la fameuse tactique du Black Bloc, j’aimerais rappeler les propos du
philosophe suisse Nicolas Tavaglione, après le Sommet du G8 à Évian, qui
avançait que « les Black Blocs sont les meilleures philosophes politiques du
mouvement », parce qu’ils posent dans l’espace public, par leur turbulence,
le choix politique fondamental entre la « sécurité » telle qu’entendue par
l’État et ses partisans, et la liberté et l’égalité. Réduire l’analyse à un
rapport de cause à effet entre turbulence et répression et à la fois
simpliste, fallacieux et démobilisant. La turbulence de la contestation au
néolibéralisme peut évidemment prendre diverses formes, mais des
mobilisations sans turbulence et qui n’indisposent personnes restent,
conséquemment, sans grand effet ni grande signification politique. Quant à
la répression, des chefs d’État comme Stephen Harper au Canada, Nicolas
Sarkozy en France, ou sur un autre registre Vladimir Poutine en Russie
(membre du G20, évidemment) n’ont pas besoin d’excuses pour la pratiquer. La
répression est leur fonds de commerce et ils trouveront bien toujours une
bonne raison pour lâcher leurs chiens.

Je fais le pari que dans cent ans ou plus, quand des historiennes et des
historiens se pencheront sur ces mobilisations « altermondialistes », il n’y
aura pas de débat d’interprétation quant à l’efficacité ou non de la
« violence », ou la pertinence des contre-sommets. Primera sans doute, dans
l’analyse, la certitude qu’il s’agissait d’une expression claire et limpide
d’une crise de légitimité des élites mondiales, face à des foules en colère,
qui années après années, et malgré les vagues de répression, continuaient de
se rassembler pour dénoncer ces élites. En organisant et en participant à
ces événements contestataires, nous écrivons l’histoire des luttes
populaires et de la vraie démocratie.
Publié par Mouvements, le 1er novembre 2010.
http://www.mouvements.info/Les-grands-sommets-servent-a.html
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